Les débats

Un droit constitutionnel entravé par le gouvernement

Organisation d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris -

Par / 6 février 2020

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 10 avril dernier, 248 parlementaires de tous bords ont signé la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, après le vote par l’Assemblée nationale de la privatisation d’Aéroports de Paris, au mépris du vote du Sénat, pourtant majoritaire.

Cette initiative quasi inédite se justifie d’abord par les caractéristiques d’ADP. Ce groupe détient 13 aéroports franciliens et des participations dans 26 aéroports de 30 pays différents. Il constitue la première frontière du pays puisque 100 millions de passagers transitent chaque année par ses aéroports. Ce nombre pourrait être porté à 120 millions d’ici à 2023, ce qui ferait des aéroports parisiens les premiers aéroports européens. ADP rapporte 342 millions de dividendes par an, dont la moitié pour l’État, et est propriétaire de 6 680 hectares d’infrastructures et de terrains et de 355 hectares de réserves foncières dédiées à de futures activités immobilières.

Cette initiative se justifie ensuite par le fait qu’ADP représente un enjeu de portée nationale en matière économique, sociale, stratégique, en termes de mobilités, d’aménagement du territoire et de protection des populations et de l’environnement.

Grâce à cette initiative, pour la première fois, la procédure du référendum d’initiative partagée a été engagée pour permettre, en ces temps d’exigences démocratiques toujours plus fortes dans notre société, à nos concitoyens de décider, avec l’intelligence qui les caractérise, du devenir des biens et des richesses de la Nation.

Au-delà du débat sur le bien-fondé ou non de cette privatisation, il s’agissait – et il s’agit toujours, et avant toute chose – de laisser enfin aux citoyens la possibilité de décider de l’avenir d’une infrastructure essentielle.

Cette exigence est d’autant plus forte que les arguments utilisés pour justifier la privatisation d’ADP ont largement été remis en cause lors des débats parlementaires, mais aussi en dehors de nos hémicycles par des économistes de tous bords, par des juristes, des collectifs citoyens et des syndicats. Nombre d’études, de rapports démontrent l’aberration que constitue cette privatisation, mais aussi celle des aéroports de Toulouse et de Lyon, des autoroutes et d’un nombre effarant de grandes entreprises publiques. À cet égard, une commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières a été créée au Sénat, ce dont je me félicite. Monsieur le secrétaire d’État, devons-nous, dès à présent, prévoir la mise en place d’une telle instance sur la privatisation d’ADP d’ici à deux ou trois ans ? (Sourires.)

De nombreux travaux et contre-exemples étrangers, mais surtout le sentiment d’abandon d’une partie toujours plus importante de nos concitoyens, nous invitent à réfléchir à la réduction comme peau de chagrin de notre secteur public, au désengagement de l’État de toutes ses activités stratégiques au profit d’actionnaires privés, dont le seul horizon est la rentabilité à court terme.

Ces travaux nous invitent à agir contre l’abandon de toute volonté de s’appuyer sur un secteur public fort pour développer une politique économique et sociale au service du plus grand nombre, sur tout le territoire national, et non d’une caste de nantis. C’est vrai dans tous les domaines, qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, des postes et télécommunications, des banques ou de la finance. La liste n’est pas exhaustive.

C’est pourquoi il est impératif de rappeler que, aujourd’hui, des privatisations de cette ampleur ne peuvent être décidées par des technocrates nourris aux dogmes de la concurrence libre et non faussée, au nom de la compétitivité, de retours financiers à court terme, du versement toujours plus important de dividendes à des actionnaires avides et peu enclins à œuvrer pour l’intérêt national. Pour nous, que les choses soient claires : c’est non !

Pouvoir se prononcer par référendum sur la privatisation d’ADP est une exigence démocratique. Un tel référendum devrait également être possible sur d’autres privatisations, annoncées ou larvées, comme celles des activités rentables d’EDF et des routes nationales par exemple. Il devrait également être possible de se prononcer sur des mesures sociales aussi essentielles que la réforme de notre système de retraite, ou plutôt sa destruction.

Certes, cette procédure référendaire exige un nombre de signatures démesuré puisqu’il doit correspondre à 10 % des électeurs, soit 4 717 396 signatures. Nous le savions déjà lorsque nous avons rejeté cette procédure lors de la révision constitutionnelle de 2008. Nous le savions lorsque nous avons déclenché collectivement la procédure en avril 2019. Nous ne sommes pas naïfs, mais le plus marquant, c’est la position déloyale du gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État.

En premier lieu, le ministre de l’intérieur a mis en place un site internet de recueil des soutiens particulièrement rébarbatif et peu fonctionnel. On aurait pu s’attendre à des outils beaucoup plus efficaces et ergonomiques de la part de la start-up nation ! (Sourires.)

En second lieu, le pouvoir refuse obstinément d’agir pour que l’information sur l’exercice de ce droit constitutionnel soit fournie à l’ensemble de nos concitoyens, et ce malgré de nombreuses sollicitations.

Je dis « droit constitutionnel », car cette procédure référendaire est encadrée par l’article 11 de la Constitution. La validation par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi référendaire originelle, déposée par 248 parlementaires, ouvre un droit constitutionnel : celui d’apporter son soutien à la tenue d’un référendum. En ce sens, ce droit s’apparente au droit de vote. Il ne s’agit en rien d’une simple pétition, contrairement à ce qu’affirment souvent le Gouvernement et ses soutiens. Je le répète : il s’agit de mettre en œuvre l’article 11 de la Constitution.

En démocratie, les citoyens doivent être informés de la possibilité d’exercer un tel droit. L’État doit affecter des moyens en ce sens, les parlementaires, qui sont pourtant à l’origine de la procédure référendaire, ne pouvant financer sa mise en œuvre du fait des imprécisions et imperfections d’une loi organique.

L’État doit ainsi intervenir auprès des chaînes publiques d’information, qui ont un rôle citoyen à jouer en la matière, afin qu’elles diffusent largement l’information sur ce sujet. C’est cela le respect du pluralisme, fondement de tout État démocratique ! Or nous en sommes loin.

La comparaison entre la médiatisation du grand débat national et celle du RIP est sans appel : 13 000 articles ont été publiés sur le grand débat, contre 500 sur le référendum d’initiative partagée ; 12 millions d’euros ont été dépensés pour le fameux grand débat, rien pour le RIP ! Idem du côté de la presse audiovisuelle : couverture sans précédent du grand débat, directs à rallonge et diffusion des discours présidentiels, spots pour le lancement de la privatisation de la Française des jeux, mais rien sur le RIP, bien évidemment. Pis, Radio France a refusé de diffuser les communiqués financés par les parlementaires eux-mêmes, sur leurs deniers personnels.

Que dire encore des mairies qui n’ont pas mis en place de bureau d’aide pour que les citoyens puissent apporter leur soutien au RIP alors qu’elles y sont obligées par la loi, sans être aucunement inquiétées ? (M. François Bonhomme ironise.)

C’est la loi, monsieur !

Que dire enfin du refus de la Commission nationale du débat public (CNDP), dont c’est pourtant la vocation, d’organiser un débat sur le projet de privatisation d’Aéroports de Paris, en complément du projet de référendum d’initiative partagée ?

La CNDP a été saisie non par le Gouvernement, mais par les parlementaires signataires de la proposition de loi référendaire, alors même que la privatisation d’ADP est une réforme « qui aura un effet important sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ».

Pourtant, malgré les dysfonctionnements du site internet, malgré le silence assourdissant des grands médias et du Gouvernement, malgré l’absence de campagne officielle, plus d’un million de personnes ont apposé leur signature pour la tenue de ce référendum.

Le Président de la République, à l’issue du grand débat national, a annoncé qu’il abaisserait de 4,7 millions à 1 million le nombre de signatures nécessaires à la tenue d’un RIP. Nous y sommes ! Même si la Constitution ne l’oblige pas à organiser ce référendum, la promesse politique doit être tenue.

Aujourd’hui plus que jamais, nous constatons chez nos concitoyens une sourde colère, un rejet profond des injustices sociales, un soutien fort aux services publics – hôpitaux, écoles ou transports. Ils exigent des droits démocratiques réels sur les questions concernant la société tout entière et un contrôle sur les biens communs et les services publics.

Mais plus que la question de la maîtrise des biens communs, ce sont les limites de la monarchie républicaine qu’est le régime présidentialiste de la Ve République et la méfiance croissante des citoyens envers la démocratie représentative, qui sont aujourd’hui en jeu. Le RIP est une occasion constitutionnelle historique de redonner du souffle à notre démocratie en améliorant cette procédure de démocratie participative.

Alors que se déroule dans notre pays un mouvement social sans précédent, Emmanuel Macron a tort de ne pas écouter le peuple de France, sur cette question comme sur d’autres. À aucun moment, sauf lorsqu’il câline sa majorité parlementaire, il ne lui envoie de signaux apaisants et rassembleurs. Il préfère s’enfermer dans une posture qui illustre bien les dérives d’un pouvoir à bout de souffle, pétri de certitudes, dans un système institutionnel vermoulu, plutôt que d’ouvrir en grand la porte à l’expression citoyenne. C’est profondément regrettable, monsieur le secrétaire d’État.

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