Les trains de nuit présentent de nombreux avantages
Promouvons les auto-trains et les intercités de nuit -
Par Éliane Assassi / 20 novembre 2019Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons, sur l’initiative de mon groupe, la question du maintien et du développement des auto-trains et des trains de nuit. Alors que l’accord de Paris doit s’appliquer dès 2020, il nous semble utile de revenir sur les outils concrets permettant à la France de respecter les engagements qu’elle a contractés pour elle-même.
Notre pays peine à atteindre les objectifs de réduction de 27 % de ses émissions à l’horizon de 2028 par rapport à leur niveau de 2013 et de 75 % d’ici à 2050.
Selon les bilans de l’Observatoire climat-énergie des ONG, les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone n’ont pas été atteints depuis 2016.
Les émissions de gaz à effet de serre ont dépassé, en 2017, de 6,7 % le budget que l’État s’était fixé. Le dépassement était de 4,5 % en 2018.
Le secteur des transports, qui représente environ 30 % de ces émissions, a dépassé de 12,6 % son budget carbone en 2018. Cela, alors même que les objectifs de report modal sont à la traîne. Ainsi, le résultat de 2018 pour le report modal du transport de marchandises est en recul de 23 % sur l’objectif, avec seulement 10,9 % de parts de marché.
On voit bien la tendance qui se dessine, c’est celle d’une politique nationale du tout-routier et du tout-aérien, reléguant le ferroviaire au rang de parent pauvre des politiques publiques. Il s’agit pourtant d’un outil écologique et sécure de maillage des territoires, apportant une réponse aux besoins de mobilité de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d’État, au-delà de ces chiffres abstraits, il y a une réalité, celle d’une planète inhabitable et d’une humanité condamnée par l’augmentation des températures à un niveau supérieur à 2 degrés. Nous devons réagir ! Les marches pour le climat en France et dans le monde, l’action judiciaire engagée contre la France par une jeunesse outrée de tant d’inconséquence devraient nous faire réfléchir. La dernière tribune d’experts parue dans Le Monde nous y exhorte, d’autant que les changements pourraient être plus rapides que prévu.
Le Président Macron appelait au « make our planet great again », mais toutes les politiques menées sont à contre-pied de ces objectifs, puisqu’elles cassent les services publics, qui sont pourtant des outils extraordinaires pour la transition écologique et, singulièrement, pour le service public ferroviaire. La SNCF, dont l’État est l’unique actionnaire, se perd ainsi depuis des décennies dans une stratégie du tout-TGV et de la rentabilité à tout prix, sacrifiant ses autres activités jugées trop peu rentables : le fret, l’auto-train et les Intercités.
La logique de casse du service public est bien toujours la même : segmentation, externalisation et socialisation des pertes. On asphyxie le service public en le rendant inopérant et marginal pour l’abandonner ensuite ou le céder au privé au motif de sa dégradation et de son inadéquation avec la demande.
Le fret a été dépecé, au gré des différents plans d’entreprise, le comble étant aujourd’hui le renoncement à la ligne Perpignan-Rungis. Une démonstration, s’il le fallait, que la concurrence ne peut être l’alpha et l’oméga des politiques, publiques puisque le marché ne reconnaît pas l’intérêt général, ne s’intéressant qu’au profit immédiat. Le marché ne pense pas le temps long, il est dans le rendement immédiat. Il est donc incapable de répondre aux enjeux écologiques de développement du fret ferroviaire.
J’avais interpellé l’ancien président de la SNCF sur l’arrêt du service auto-train. Là encore, le scénario est le même. En trente ans, le service a perdu 80 % de trafic et les trains auto-couchettes ont totalement disparu, résultat d’une politique coupable de rétraction de l’offre.
Les possibilités de substitution promues par l’entreprise – le transport des voitures par camion ou leur acheminement par la route avec un chauffeur – sont un véritable contresens au terme duquel la SNCF devient elle-même pourvoyeuse de solutions routières ! Monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons a minima un engagement sur le maintien des installations pour permettre la reprise de cette activité prisée par certains publics, tels les seniors ou les motards.
Enfin, sur la question particulière des trains Intercités, la situation est différente. En effet, l’État a ici, en tant qu’autorité organisatrice, une responsabilité particulière, justifiée par l’intérêt de ces lignes en termes d’aménagement du territoire.
Alors qu’il existait plus de soixante lignes de trains Intercités au début des années 2000, les différents gouvernements, aidés par la SNCF, ont taillé dans l’offre. Aujourd’hui, il ne reste que six trains Intercités de jour et deux trains Intercités de nuit. Pourtant, l’offre continue d’être sabotée par les bugs informatiques constants, les travaux et les suppressions de dernière minute. On a ainsi constaté, en 2017, 47 % de déprogrammations sur le Paris-Irún. Le taux d’occupation de l’ordre de 47 % apparaît, dans ces conditions, un exploit, qui pourrait largement être dépassé.
Mme Borne annonce comme un succès un investissement de 30 millions d’euros pour rénover le matériel, faute de le remplacer. Pourtant, les sommes accréditées dans le cadre du compte d’affectation spéciale sont en diminution de 47 millions d’euros. Comment comprendre ce discours ? Pis, nous craignons, au regard de la faiblesse des investissements, le non-remplacement des sièges inclinables, ce qui serait dramatique pour l’attractivité du train de nuit. Nous attendons sur cette question des engagements fermes de la part du Gouvernement.
Notre groupe a déposé et fait adopter, dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM), un amendement engageant le Gouvernement à étudier le déploiement des trains de nuit. Cet amendement, voté ici, au Sénat, a été conservé à l’Assemblée nationale, ce qui signifie qu’il s’agit d’un objectif largement partagé.
Les usagers sont eux aussi très attachés à ce service, comme en témoigne le succès de la pétition « Oui au train de nuit ! », qui a recueilli plus de 160 000 signatures. Cette pétition demande la mise en chantier de quinze lignes nationales de nuit et de quinze lignes internationales à l’horizon de 2030. Une perspective qui permettrait, selon les estimations de l’association à l’origine de la pétition, d’économiser l’émission de 1,5 million de tonnes de CO2.
Les trains de nuit présentent de nombreux avantages.
Ils sont peu énergivores ; l’avion émet quatorze à quarante fois plus de CO2 que le train. Ainsi, sur les 164 millions de passagers aériens, 86 millions pourraient, avec une offre à la hauteur, se reporter sur les trains de nuit.
Ce mode de transport répond également aux enjeux de lutte contre la pollution aux particules fines, qui tue chaque année 48 000 personnes.
Peu coûteux, ce « report modal » sur le réseau classique a l’avantage d’être beaucoup moins onéreux que les projets sur les lignes à grande vitesse. Il est peu gourmand en artificialisation des sols, ce qui signifie une faible perte de biodiversité. Comme il utilise les lignes existantes, il permet directement d’arriver en centre-ville.
Il constitue un outil utile d’aménagement du territoire, notamment grâce aux liaisons transversales et à la possibilité d’une desserte fine.
Par son prix attractif, il permet de lutter contre les fractures sociales.
Pourtant, aujourd’hui, les analyses « officielles » sur ce mode de transport lui sont largement défavorables. Elles sont partielles et partiales. Il est injuste de pointer spécifiquement le déficit de cette offre. Le déficit du train de nuit est de 18 euros par voyageur sur 100 kilomètres. En comparaison, le déficit Intercités de jour est de 23 euros, quand celui des TER avoisine les 30 euros. Et je ne vous parle même pas des gouffres financiers de certains projets de TGV !
Par ailleurs, ce manque de rentabilité est à relativiser : la route coûte elle aussi très cher et même plus cher ! Ainsi, les chercheurs de l’université technique de Dresde ont évalué récemment ces dépenses à 50,5 milliards d’euros pour la France. Toujours selon cette étude, le coût des accidents de la route serait de 16,8 milliards d’euros en 2018.
À cela, il faut ajouter des dépenses globales des administrations de 15,2 milliards d’euros par an, dont 12,9 milliards d’euros pour les collectivités locales. Et je ne parle pas non plus de toutes les aides fiscales aux chargeurs routiers et autres exonérations de TICPE !
Quant à l’avion, celui-ci bénéficie d’un traitement de choix : subventionnement des aéroports régionaux et kérosène détaxé, ce qui représente pour le budget un coût de 3 milliards d’euros.
Le choix de l’abandon du rail sous toutes ses formes est donc un choix politique, celui du désengagement de l’État des secteurs clefs de l’économie au profit d’un système ubérisé et d’une économie libéralisée.
Nous sommes aujourd’hui dans un marché des transports structuré non pas autour des besoins des usagers et des territoires, mais autour de politiques marketing fondées sur le développement des offres low cost et, donc, sur le dumping social et environnemental. Une situation qui, vous l’avouerez, porte des risques lourds pour la sécurité des usagers et des personnels.
Nous appelons donc très directement le Gouvernement à changer de braquet. L’État doit prendre ses responsabilités. Premièrement, parce qu’il est l’actionnaire unique de la SNCF. Deuxièmement, parce qu’il lui revient, en sa qualité d’autorité organisatrice, d’affecter de nouvelles ressources à cette offre. Cela passe par un certain nombre de propositions sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre. Je pense que la France est confrontée à de nombreux enjeux et défis en la matière. Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, je l’ai dit, des engagements concrets dès maintenant.