Un mouvement de fond de défiance à l’égard du pouvoir politique
Introduction aux journées d’étude parlementaires -
Par Éliane Assassi / 16 septembre 2021Propos introductif au débat : « Face à l’abstention, à la réduction des pouvoirs du Parlement et au pouvoir solitaire du Président, quelles pistes pour redonner confiance aux citoyens en la politique ? »
Les résultats des dernières élections municipales et surtout régionales ont mis en évidence une abstention en forte progression.
Par exemple pour les régionales, elle était au premier tour de 22,1 % au premier scrutin du genre en 1986. En 2021, elle a bondi à 66 % contre 49,5 % en 2015.
Aux dernières municipales elle a atteint les 55,36 % contre 36 % en 2014 et 20 % au début des années 80.
De nombreux observateurs, et acteurs comme nous ont pu noter que si la crise sanitaire avait indubitablement joué un rôle dans cette fuite des urnes, ces chiffres sont le résultat d’une évolution incontestable sur plusieurs années ; évolution à laquelle n’échappent pas les législatives.
En 2017, l’abstention s’est élevée à 51,3 %, ce qui veut dire que moins d’un électeur sur deux a élu le Parlement. En Marche qui détenait la majorité absolue au lendemain du scrutin avait recueilli le suffrage de 13 % des électeurs inscrits, les partis dits de gouvernements, piliers de la vie politique française depuis plus de 40 ans, les Républicains et le Parti socialiste, recueillaient respectueusement 7 et 5 % des électeurs inscrits.
La baisse de la participation aux élections législatives s’est nettement accentuée avec l’inversion du calendrier qui place systématiquement ce scrutin après l’élection présidentielle.
Le score des législatives est ainsi une conséquence directe de celui des présidentielles. Le caractère de chambre d’enregistrement est ainsi clairement établi sur le plan institutionnel.
Il est possible d’affirmer que l’abstention aux législatives reflétait la présidentialisation du régime.
L’élection présidentielle, au fil des décennies, semble encore échapper à ce phénomène, à l’instar des européennes qui, elles, parties de haut, ne régressent pas plus, mais le second tour de 2017 a constitué un premier avertissement puisque la participation de moins de 75 %, fut la plus faible depuis 1969 et ce fut d’ailleurs la première fois depuis cette date qu’une participation au second tour était inférieure à celle du premier tour.
De toute évidence, le vote par défaut induit par la présence de Marine Le Pen au second tour a démobilisé l’électorat et rien ne dit que ce phénomène ne sera pas amplifié en avril 2022.
Des mesures conjoncturelles comme la crise sanitaire, mais aussi la crise climatique, la peur de la mondialisation, la crainte de nouveaux attentats terroristes peuvent expliquer en partie cette évolution, mais nous assistons à un mouvement de fond de défiance à l’égard du pouvoir politique, fondant une abstention fataliste ou colérique.
L’abstention ne peut plus être regardée comme un simple désintérêt. Le vote blanc ou nul qui doit s’ajouter aux 25,44 % d’abstention au second tour de 2017, s’est élevé à 12 %, un record qui conforte ce constat.
L’abstention n’est pas un phénomène homogène, ce qui explique les raisons pour lesquelles nous avons des difficultés, comme d’autres d’ailleurs, a bien l’analyser. Cela paraît une banalité tant de fois répétée : les promesses non tenues tuent la confiance.
Le quinquennat de F. Hollande a porté un rude coup à la mobilisation de l’électorat populaire.
L’effet novateur de Macron, comme l’avait d’ailleurs surjoué Sarkozy en son temps, s’est révélé bien éphémère.
En reste surtout une volonté de dégagisme persistante, mais aussi de complotisme qui se réfugient actuellement dans l’abstention.
Les régionales ont été démonstratives en ce sens.
Furent fortement mobilisés sur un fond d’abstention massive, les seuls soutiens aux sortants. La défiance à l’égard de la politique et des élus nationaux touche dorénavant et de plein fouet les élus locaux qui, pourtant, ne sont pas concernés par les mêmes problématiques que les élus nationaux.
La décentralisation erratique rendant de plus en plus incompréhensibles les gestions locales (qui décide ? Quelles compétences ? etc), participe grandement à ce rejet. La perte d’autonomie financière des collectivités ne leur permet plus la mise en œuvre de leurs propres projets les réduisant à jouer le rôle d’exécutantes de la politique nationale.
Pourquoi donc aller voter quand la fonction des élus locaux est ramenée à une gestion imposée d’en haut ?
Quant au Parlement, le quinquennat Macron a singulièrement accentué sa mise à l’écart.
Pour la population, que décide-t-il ? Qu’est-il d’autre qu’un entre-soi politique coupé du réel ? Nous, nous savons que beaucoup se fait et se décide encore dans les assemblées, mais le peuple en a-t-il cette perception ?
Cette défiance, voire ce mépris, n’est pas étonnante puisque tout est fait pour organiser son impuissance.
Cela a été évident lors de la crise sanitaire.
Nous avons assisté, et je pèse mes mots, à un véritable putsch en douceur d’E. Macron.
Jusqu’à présent, le domaine réservé du Président de la République ne concernait que la Défense, d’où son statut de Chef des armées.
La manipulation sémantique et institutionnelle autour du Conseil de Défense résume tout. Ce Conseil de Défense a été érigé en Conseil sanitaire sans aucune base constitutionnelle sérieuse, confiant au Président, entouré d’un aréopage mal défini, les pleins pouvoirs pour lutter contre la pandémie, pour faire –selon les termes du Président de la République- « la guerre à cet ennemi invisible ».
Plus besoin de Parlement avec le tour de passe-passe de l’état d’urgence perpétuel, ou presque, plus besoin de gouvernement, organe délibérant du pouvoir exécutif selon la Constitution, c’est dans le bunker de l’Élysée où se réunit le Conseil de Défense que tout se décide.
Aucune transparence donc, une concertation de façade, un pouvoir solitaire, un Parlement mis devant le fait accompli.
Comment expliquer au peuple la nécessité d’un Parlement puisque sur une question aussi centrale que celle d’une grave crise sanitaire, il est ravalé au rang de chambre d’enregistrement, quand on lui donne quelque chose à enregistrer ? En effet, l’essor dantesque de la pratique des ordonnances transfère le pouvoir législatif à l’exécutif.
L’inversion du calendrier électoral a préparé ce statut de chambre d’enregistrement. C’est maintenant vrai, pour l’essentiel, dans la pratique.
La question budgétaire est à ce titre assez démonstratrice.
Le Parlement, la représentation du peuple est exclu de l’élaboration de la loi de Finances. Oui, le Parlement vote la loi de Finances, mais il ne l’élabore plus.
Le débat est si encadré, contraint, enserré dans le carcan des dogmes européens qu’il se réduit à sa plus simple expression. La LOLF dont nous fêtons, ou plutôt, nous déplorons le 20e anniversaire, a peaufiné jusqu’à la caricature, la restriction de l’initiative en matière budgétaire.
Cela se voit et se voit trop.
Les majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat ont souhaité réaménager le dispositif soi-disant pour l’améliorer, mais plutôt pour le valider et l’aggraver, selon nous.
Cet étouffement du Parlement se voit et Le Monde y a d’ailleurs consacré un long article le 28 juillet dernier, suite au débat que nous avions demandé au Sénat sur la procédure budgétaire.
Avec le budget, nous touchons donc à quelque chose d’essentiel, à un moment de rupture démocratique dans notre pays, de rupture de confiance.
1992 et 2005 ont bien été deux étapes décisives dans la mise à mal de la souveraineté populaire.
Aujourd’hui, elle n’est plus seulement mise à mal ; elle n’existe plus sauf à être sollicitée, convoquée pour glisser un bulletin dans l’urne : pas de partage, pas de construction collective, pas de débat public ou, quand il y en a, aucune proposition retenue à l’instar de ce qui s’est passé avec la Convention citoyenne sur le climat. Il est donc quelque part logique que de facto nos concitoyens et nos concitoyennes n’usent plus de ce droit qu’est le vote alors que beaucoup d’entre elles et eux sont capables de se mobiliser dès lors que leurs droits et leurs libertés, dans l’entreprise comme dans toute la société, sont bafoués.
Le pouvoir, vérité ou simple sentiment, mais sentiment réel, a échappé au peuple de manière assumée.
Les répliques du référendum de 2005 et de la trahison - quel autre terme utiliser ? – qui a suivi par la ratification aux forceps du traité de Lisbonne, ne sont pas terminées.
Un Parlement étouffé donc, et au-dessus, un Président de la République dont les pouvoirs excessifs bloquent la démocratie, la mettent sous cloche.
La Vème République, le référendum de 1962 plus précisément, a introduit le ver de l’hyper-présidentialisation dans le fruit démocratique républicain.
L’hyper-présidentialisation est liée à la mondialisation qui a besoin de réactivité pour suivre les demandes du marché et non de la démocratie et du débat.
Une société post-démocratique où la nanominute devenant la règle ne fait plus guère place à l’échange et au pluralisme.
Cette hyper-présidentialisation a été poussée à son paroxysme par E. Macron qui décide de tout, de l’avenir des retraités, aux entrées au Panthéon et même de la prolongation des matches en nocturne à Rolland Garros.
Nous le répétons depuis des années, il faut en finir avec le présidentialisme, il faut inventer une réappropriation de la politique par le peuple.
Quelques pistes d’action pour tenter de stopper cette évolution mortifère pour la démocratie elle-même.
Nous devons pousser le débat sur tous les sujets sur lesquels nous sommes sollicités. Les groupes parlementaires que nous sommes ont une responsabilité particulière, ils doivent voter sur une multitude de sujets, plus ou moins importants.
Pour tenter de définir des positions rassembleuses, cohérentes avec ce que nous sommes, avec notre histoire et nos projets, nous travaillons inlassablement pour analyser les projets et nous positionner politiquement.
Nous devons sans doute ouvrir plus largement encore nos auditions, multiplier les débats contradictoires.
Peut-être faut-il aller vers la population sur les thèmes à l’ordre du jour, informer, écouter et apprendre.
Nous pouvons proposer aux citoyennes et citoyens d’intervenir vis-à-vis du Parlement, beaucoup plus souvent et fortement.
L’effort que nous avons fait sur ADP a montré évidemment les limites du RIP, que nous connaissions, mais a souligné les possibilités d’actions concrètes à condition, bien sûr, de frapper fort ensemble, au bon moment, sur le bon sujet.
L’essor récent du droit de pétition est une piste à explorer. Les limites sont toujours là, mais cet exercice peut réenclencher une mobilisation citoyenne vers le Parlement. Au Sénat, une pétition relative à l’AAH a été ainsi signée par plus de 100 000 personnes.
Il nous faus sans doute travailler avec encore plus de précision sur les projets et sur nos propositions, mieux les diffuser.
Cette pédagogie de longue haleine est nécessaire pour remettre le débat à l’endroit.