Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Si le gouvernement a fourni le papier, c’est bien l’encre du MEDEF qui est imprimée sur ce projet de loi
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 : question préalable -
Par Le groupe CRCE-K / 15 juillet 2014Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la seconde fois depuis l’adoption de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, Assemblée nationale et Sénat sont appelés à examiner un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
L’exercice est singulier, chacun en conviendra, puisqu’il ne s’agit pas uniquement de modifier des tableaux adoptés en loi de financement initiale afin de tenir compte d’évolutions économiques et budgétaires ; il s’agit en réalité d’acter dans la loi une évolution politique, un renversement de doctrine.
Si l’on peut débattre du bien-fondé des mesures proposées dans ce PLFRSS pour 2014, personne ne peut raisonnablement soutenir que le prétendu pacte de responsabilité est conforme aux engagements pris devant le peuple de France par le candidat socialiste à la présidence de la République.
Singulier, ce PLFRSS l’est également pour une autre raison : quoique présenté par le Gouvernement, il puise selon nous son inspiration dans les dogmes libéraux défendus depuis plus de vingt ans par la partie du patronat français la plus hostile aux notions de « mutualisation » et de « partage des richesses », pourtant au cœur de notre pacte social depuis 1945.
Incontestablement, si le Gouvernement a fourni le papier, c’est bien l’encre du MEDEF qui est imprimée sur ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale !
La genèse du « pacte de responsabilité », imaginé par Pierre Gattaz et appelé par lui « pacte de confiance », suffit à confirmer mes propos. Cela à tel point, mes chers collègues, que le Premier ministre lui-même, en visite à Berlin, a assuré que « la France a engagé des réformes importantes, des réformes de structure », parlant à cet égard du « pacte de confiance et de solidarité [pour] soutenir la croissance ». Il n’a même pas pris la précaution oratoire imaginée par les communicants du Gouvernement, qui pensaient qu’en rebaptisant le « pacte de confiance » du MEDEF « pacte de responsabilité » du Gouvernement, l’assimilation entre les deux projets ne serait plus possible.
Malheureusement pour le Premier ministre, les efforts du Gouvernement pour dissimuler la paternité de ce projet sont gâchés par son initiateur. Le « patron des patrons », à la suite de cet incident, a en effet immédiatement déclaré à la presse : « Nous avons salué le pacte de responsabilité que nous a servi le Président de la République le 31 décembre et qui était inspiré, je ne le dis pas trop fort, du pacte de confiance que nous lui avons apporté sur un plateau ».
Tout est dit, du moins sur le processus de co-élaboration législative entre le Gouvernement et le MEDEF. Même les organisations syndicales qui soutiennent le pacte ont publiquement regretté de n’avoir pas été associées à la construction du projet et de l’avoir appris, comme nous tous, par voie de presse. C’est là une curieuse conception du dialogue social !
Pour autant, cette méthodologie très contestable n’est pas la seule raison qui justifie notre opposition au pacte de responsabilité et à ce PLFRSS pour 2014.
Ce sont bien le contenu de ce texte et les régressions qu’il comporte, l’appauvrissement et l’affaiblissement programmés de la sécurité sociale, qui nous conduisent, notamment, à considérer que l’adoption de ce PLFRSS serait un nouveau coup porté à notre modèle social, sans que soit pour autant garantie la sortie de crise économique et sociale que nos concitoyens attendent impatiemment.
Si j’insiste sur la notion de « crise sociale », c’est que les observateurs, les journalistes, les économistes et, d’une certaine manière, le Gouvernement lui-même ont tendance à ne parler que de la crise économique, oubliant trop vite combien celle-ci pénalise et frappe les plus modestes, les précaires, les retraités, les jeunes et les malades.
En effet, le dernier rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale fait apparaître un accroissement spectaculaire de ces inégalités depuis le tournant du siècle. Au point que, sous l’impulsion d’une crise économique sans précédent – elle s’apparente à un épisode nouveau dans la crise du capitalisme financiarisé –, le revenu moyen des 20 % des Français les plus riches, qui équivalait à 4,1 fois celui des 20 % les plus pauvres en 2000, représentait 4,6 fois ce revenu en 2011. En dix ans, l’écart s’est donc creusé de 12 %.
Ce mouvement d’accroissement extraordinaire des richesses de certains et d’appauvrissement radical pour d’autres est la conséquence des mesures prises en faveur des plus riches par Nicolas Sarkozy…
Mme Catherine Procaccia. Cela nous manquait !
Mme Isabelle Pasquet. … et de l’absence de décisions courageuses contre le capital et la finance depuis l’élection de François Hollande. Ces mesures, nous les avions ensemble – socialistes, écologistes, radicaux et communistes – condamnées au Sénat, lorsque la Haute Assemblée était majoritairement à gauche et que le Gouvernement et l’Assemblée nationale étaient encore à droite.
Depuis, si les aspirations de nos concitoyennes et de nos concitoyens n’ont pas changé, conduisant à l’élection de François Hollande à la présidence de la République, les réponses que le Gouvernement leur apporte, elles, ont bien changé.
Plutôt que de sécuriser l’emploi en interdisant les licenciements boursiers, le Gouvernement a transposé l’ANI – l’accord national interprofessionnel – qui autorise les employeurs à licencier pour motifs économiques, même en l’absence de réelles difficultés économiques.
Quant à la formation professionnelle, levier indispensable pour permettre aux salariés d’anticiper les évolutions technologiques, vous avez permis aux entreprises les plus grandes de réduire leur part de financement aux plans de formation, et vous avez supprimé une partie de la mutualisation du financement, qui profitait aux salariés des petites entreprises.
Plutôt que d’assurer une réforme solidaire de l’impôt en instaurant une plus grande progressivité, vous avez maintenu durant un an le gel du barème de l’impôt sur le revenu.
M. Dominique Watrin. Oui !
Mme Isabelle Pasquet. Vous avez imposé une taxe aux retraités, censée financer la perte d’autonomie, mais dont les fruits sont en réalité détournés de sa mission première depuis sa création.
Vous avez augmenté la TVA et soumis à l’impôt sur le revenu des salariés la participation des employeurs au financement des contrats d’assurance santé complémentaire.
Plutôt que de garantir le droit à la retraite pour toutes et tous dès soixante ans, vous avez allongé la durée de cotisation en repoussant l’âge effectif de départ à la retraite à taux plein, tandis que vous réduisiez dans le même temps – déjà, serais-je tentée de dire ! – les cotisations patronales.
Vous avez repoussé une première fois – d’avril à octobre – la date de la revalorisation des retraites pour décider finalement, aujourd’hui, de les geler.
Chacune des mesures que vous avez consenties aux employeurs, chacun de vos renoncements au profit du monde de la finance, les salariés, les familles et les retraités en ont supporté les conséquences.
Et vous voudriez aujourd’hui, à travers ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, que soit amplifié ce mouvement ! Mais dans quelle voie, si ce n’est l’impasse libérale dans laquelle la droite, le baron Seillière, Laurence Parisot et les Gattaz père et fils ont conduit notre pays depuis plus de vingt ans ?
Le pacte de responsabilité dont il est question ici s’inscrit dans la lignée des mesures d’allégement de cotisations sociales consenties aux employeurs sur les bas salaires, que la loi Fillon a étendues. Et, comme il y a vingt ans, patronat et Gouvernement promettent que ces mesures, censées répondre à la question de la nécessaire réduction du coût du travail, seront accompagnées de contreparties. Là encore, la technique est rodée.
Souvenez-vous, dans les années quatre-vingt, Philippe Séguin – alors ministre de l’emploi – et Yvon Gattaz décidaient ensemble de supprimer l’autorisation administrative de licenciement. L’ancien président du CNPF affirmait alors, en échange : « Je m’engage à échéance de trois ans à créer 540 000 emplois. » Trois ans plus tard, la France comptait 200 000 chômeurs de plus…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et voilà !
Mme Isabelle Pasquet. Pour se justifier, le patronat se réfugiait alors derrière la crise économique et une demande atone.
L’histoire se répète et, comme dans les années quatre-vingt, les victimes sont du côté des travailleurs.
La technique proposée ici, à savoir la réduction d’une partie des cotisations patronales, n’est pas nouvelle et, au regard de la courbe du chômage depuis vingt ans, force est de constater qu’elle n’a pas fait la preuve de son utilité –, tout du moins pour ce qui est de favoriser l’emploi et donc de relancer l’économie, objectifs dont se recommandent gouvernements et patrons. Cette politique a toutefois réussi à réduire considérablement la part du financement des employeurs à la sécurité sociale !
Contrairement au discours erroné du MEDEF en la matière, le coût du travail, et notamment du financement de la sécurité sociale, ne tend pas à croître. Le poids des cotisations sociales des employeurs dans la valeur ajoutée a en effet baissé : il s’établissait à 18,2 % en 1992, mais à 16 % en 2006. Sans compter les 22 milliards d’euros d’exonérations de cotisations employeurs consenties chaque année, les 6 milliards d’euros du crédit impôt-recherche, les 6 milliards d’euros de baisse de la taxe professionnelle, les 20 milliards d’euros accordés au titre du CICE...
Et pour quels résultats, si ce n’est un tassement généralisé des salaires, une paupérisation grandissante des salariés et un chômage record, jamais atteint, même au plus fort de la crise économique ?
Parce qu’il reprend les dogmes du passé, critiqués par tous les observateurs sérieux, y compris la Cour des comptes, le pacte de responsabilité produira mécaniquement les mêmes effets.
Il conduira probablement les employeurs à continuer à verser aux travailleurs des salaires de misère afin de conserver le bénéfice des exonérations de cotisations sociales, et participera même à détruire des emplois qualifiés et rémunérateurs.
À l’occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative, la rapporteure générale à l’Assemblée nationale explique même, ce que confirme une étude des services de Bercy, que le pacte de responsabilité aura un effet récessif qui se traduira par la suppression de 60 000 emplois, ni plus ni moins ! Or, 60 000 emplois en moins, ce sont autant de salariés privés d’emplois à indemniser et de prestations sociales à servir, en échange d’une réduction des recettes sociales de l’ordre de 8 milliards d’euros, rien que pour l’année 2015.
Là encore, nous disposons en la matière d’un recul suffisant pour bien voir que les mesures d’allégement, d’exonération ou de suppression de cotisations sociales sont, dans les faits, inefficaces pour réduire le chômage. Les Économistes atterrés ont récemment rendu public une analyse du pacte de responsabilité évaluant le rapport entre l’efficacité et le coût des allégements Fillon, qui inspirent le pacte de responsabilité.
Pour eux, « en rapportant ces dépenses au volume d’emplois créés ou sauvegardés, on peut estimer le coût annuel pour les finances publiques de chacun de ces emplois à près de 75 000 euros, un coût exorbitant pour des emplois souvent à bas salaire, de qualité incertaine, et mis à la disposition des entreprises privées ». Cette somme astronomique est à rapprocher du budget consacré aux contrats aidés. En 2010, ils ont coûté 5 milliards d’euros pour 520 000 contrats conclus, ce qui porte le coût du contrat pour la collectivité publique et les comptes sociaux à tout juste 10 000 euros.
On peut faire la même démonstration avec le CICE. L’Observatoire français des conjonctures économiques a estimé l’effet de ce dispositif sur cinq ans à 150 000 emplois créés pour un coût annuel estimé à 20 milliards d’euros à partir de 2014.
Alors que notre pays connaît une situation économique douloureuse et que chaque dépense est comptée au point même d’imposer des dispositions injustes et antisociales comme le gel des retraites, il nous semble, au groupe CRC, qu’aucune mesure ne doit être prise dès lors qu’elle fragilise la sécurité sociale, le seul outil qui sert encore d’amortisseur social.
À moins que l’emploi et la baisse du coût du travail ne servent en réalité à dissimuler le projet réel du MEDEF, validé par le Gouvernement, d’une suppression totale du financement de la branche famille par les cotisations sociales…
La satisfaction de cette exigence ancienne du patronat, qui voit dans la suppression de la branche famille de la sécurité sociale une première étape de l’explosion du système tout entier, est déjà en bonne voie. Les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls y auront contribué en réduisant par deux fois le taux des cotisations alimentant cette branche – une première fois à l’occasion de la réforme des retraites de 2013 et une seconde fois dans ce PLFRSS pour 2014.
Pour justifier cette rupture majeure avec les avancées contenues dans le programme du Conseil national de la Résistance, qui constitue notre pacte social, le patronat avance l’idée que les prestations familiales seraient sans lien avec le travail.
Cet argument a été entendu et même assimilé par Michel Sapin, puisque ce dernier affirmait, lorsqu’il était ministre du travail : « Le fait que vous ayez des enfants n’est pas en lien avec votre travail, donc il n’y a pas de raison que ce soit financé par les entreprises. Tout le monde bénéficie de la politique familiale […] le seul critère est d’avoir des enfants. Il n’y a pas de raison qu’elle soit financée principalement par le travail ».
Et pourtant, lorsque l’on se penche sur les mécanismes de compensations des allégements consentis aux employeurs sur la branche famille, on s’aperçoit qu’ils pèsent majoritairement sur les salariés et reposent sur des ressources qui sont précisément en lien avec le travail et les salaires. On y trouve la CSG – elle représente 18 % de ces ressources – tandis que, parmi les autres impôts et taxes affectés, la plus grosse ressource – pour près d’un tiers en 2010 – se trouve provenir de la taxe sur les salaires, c’est-à-dire une taxe qui porte sur le travail, mais qui est acquittée par les salariés !
Comme le soulignent les Économistes atterrés, avec cette taxe sur les salaires, « une taxe qui porte sur le travail se [substitue] donc à des cotisations sociales employeurs au motif affiché que les prestations familiales ne devraient pas être financées par des prélèvements portant sur le travail ».
Cette politique de substitution du financement des salariés au financement des employeurs s’accompagne, dans le même temps, d’une remise en cause des prestations servies par la branche famille. Je pense naturellement aux modifications que vous avez apportées au quotient familial et aux tentations de certains de remettre en cause l’universalité des prestations familiales, pilier de notre politique familiale.
Et ce qui se joue aujourd’hui avec la branche famille n’est que le préambule de ce qui se passera demain !
L’application totale du pacte de responsabilité, qui permettra aux employeurs de réduire leur participation au financement de la sécurité sociale, s’accompagne d’un corollaire : la réduction des dépenses sociales de plus de 11 milliards d’euros.
Cette réduction conduira de fait à des mécanismes d’exclusion et de renoncement aux soins. Nos concitoyens seront poussés à opter pour des mécanismes de type assurantiel et commercial venant se substituer à la sécurité sociale, tant sur la santé ou l’assurance chômage que les retraites. Enfin, cette réduction accroîtra les inégalités sociales, alors même que les mesures d’exonération de cotisations sociales conduiront à la généralisation des « trappes à bas salaires », donc de la précarité.
La voie dans laquelle le Gouvernement et le MEDEF veulent nous conduire avec l’adoption de ce PLFRSS pour 2014 pourrait bien être irréversible : elle acte la priorité donnée au capital sur l’humain et contre l’humain ; elle substitue à notre pacte social un pacte d’irresponsabilité.
C’est pour toutes ces raisons, et non pour couper court au débat ou pour l’éviter, que nous avons choisi, mes chers collègues, de déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, que je vous invite à adopter.