Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Avec un Ondam bloqué à 2,4 %, comment croire que l’on peut améliorer les soins ?
Moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé -
Par Le groupe CRCE / 22 janvier 2014Rejet par le Sénat d’une proposition de loi du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Laurence Cohen et Dominique Watrin vous ont exposé largement les raisons pour lesquelles un moratoire nous semble indispensable. Je ne reprendrai pas l’ensemble des arguments en ce sens, mais je veux, par des exemples précis, rendre plus palpable encore l’urgence qu’il y a à adopter aujourd’hui cette proposition de loi.
En effet, certains sont, aujourd’hui encore, tentés de croire que la taille des hôpitaux est une question centrale en matière tant de sécurité que de rationalisation de l’offre de santé. Il fallait en finir avec les hôpitaux de proximité nécessitant des investissements lourds, il fallait donc aller vers des hôpitaux géants, organisés comme des entreprises high tech. Pour autant, ces derniers ne sont pas exempts de toute critique. Ainsi, l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, ou l’hôpital privé issu de la fusion des hôpitaux Ambroise-Paré et Paul-Desbief à Marseille, qui sont des hôpitaux qualifiés d’« européens », permettent, il est vrai, des économies d’échelle, une rentabilisation accrue des matériels comme d’ailleurs des patriciens et des personnels infirmiers. Mais, dans le même temps, ils assèchent l’offre de soins dans un périmètre qui dépasse souvent la limite fixée comme tolérable des quarante-cinq minutes nécessaires à un patient pour se rendre de son domicile à l’établissement qui pourra le prendre en charge.
Malgré ce gigantisme, force est de constater que dans les classements de qualité publiés chaque année par la presse, ils ne brillent pas. Ces classements sont sans doute contestables, mais ils en valent bien d’autres, tels ceux qui ont servi à dénigrer la plupart des hôpitaux de taille modeste implantés sur nos territoires…
Ainsi dans celui du Point, Georges-Pompidou n’est que vingt-septième sur le plan national, sur un panel de vingt-quatre pathologies, et Marseille, qui fait un beau tir groupé avec la trente-troisième place pour l’hôpital privé Saint-Joseph, la trente-quatrième pour l’hôpital de la Timone et la trente-neuvième pour l’hôpital Nord, attendra le prochain classement pour savoir si l’hôpital privé européen atteindra des objectifs plus ambitieux.
Mme Catherine Génisson. Le CHU de Lille est premier !
Mme Isabelle Pasquet. Comment croire qu’une croissance ramenée cette année à 2,4 % de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, le fameux ONDAM, pourrait déboucher sur une amélioration de l’offre de soins ? La seule « solution » qui reste à la portée des directeurs d’établissement réside dans la compression de la masse salariale, accompagnée des fermetures de services à la rentabilité insuffisante et de nouvelles suppressions de lits.
Dans les Bouches-du-Rhône, tous les hôpitaux publics de proximité sont asphyxiés par les restrictions budgétaires, les déficits parfois virtuels, les plans de retour à l’équilibre. C’est vrai à Aix, à Arles, à Martigues ou à Aubagne, malgré la mobilisation des collectivités territoriales, de leurs élus, qui savent les besoins et les contraintes de leurs populations.
Plus récemment, ce sont les structures psychiatriques publiques Valvert, Montperrin et Édouard-Toulouse qui se sont vu fragiliser et qui ont été contraintes à des choix préoccupants pour l’accueil dans de bonnes conditions des patients dans ces hôpitaux.
Avec un déficit cumulé avoisinant les 300 millions d’euros, une dette de 1 milliard d’euros, pour un budget de 1,2 milliard d’euros, c’est le centre hospitalier régional de Marseille lui-même qui est désormais menacé.
De restructuration en restructuration, la dimension universitaire fait de plus en plus figure de parent pauvre de la carte hospitalière marseillaise, qui pourrait à très court terme se retrouver avec seulement deux sites CHU, et ce alors que la deuxième ville de France a par ailleurs une tradition reconnue internationalement en recherche médicale universitaire.
Ne croyez pas que je noircisse le tableau : nous avons combattu la volonté de fermer l’hôpital sud Sainte-Marguerite, et il est encore en service. Mais à quel prix ! Il a perdu son service d’urgences, a fermé son service de médecine chirurgie obstétrique, ce dans un périmètre géographique où sont implantées pas moins de vingt-six cliniques privées.
Là aussi, la « rationalisation » profite au secteur privé, dont le développement et la richesse sont pourtant en fait directement dépendants de notre politique publique d’accès aux soins et de leur remboursement par la sécurité sociale.
Mais, comme cela ne suffisait pas, le projet régional de santé a intégré dans ses préconisations la fermeture de l’hôpital de la Conception. Devant le tollé provoqué par cette nouvelle, l’Agence régionale de santé, l’ARS, a fait machine arrière, non sans avoir au préalable fermé le service des urgences.
La création d’une mission de chirurgie ambulatoire confiée à l’établissement de la Conception a servi par ailleurs à un jeu de chaises musicales, avec des lits et des services transférés entre les différents hôpitaux de Marseille, contribuant toujours davantage à la spécialisation au détriment de la pluridisciplinarité.
Le cœur de tous ces changements n’est à l’évidence pas la réponse aux besoins de la population marseillaise.
En revanche, dans ces établissements hospitaliers géants se regroupent les services fermés ailleurs.
Dans le même temps, l’hôpital Nord, qui rayonne sur les quartiers les plus populaires de la ville, lesquels concentrent une population importante souvent confrontée à la précarité dans l’emploi, le logement, l’éducation ou la culture, vient de se voir amputé de son centre d’odontologie et devrait voir – sauf à voter ce moratoire que nous vous proposons – fermer à l’horizon 2016 ses deux unités de chirurgie pédiatrique et ses cinq lits de réanimation pédiatrique. De l’aveu des médecins et des médecins anesthésistes eux-mêmes, cela hypothéquerait l’existence des urgences infantiles et des services de pédiatrie dans le secteur où le nombre d’enfants est le plus important de la ville.
Cette aberration, parmi d’autres, est contestée par la communauté aussi bien médicale que sociale, syndicale ou politique, mais l’ARS, forte de votre soutien, madame la ministre, campe toujours sur une attitude pour le coup dogmatique où le comptable primer les besoins en santé.
Si je disposais de plus de temps, j’aurais pu aussi vous entretenir des menaces qui pèsent sur l’hôpital Beauregard, qui ne dispose toujours pas d’un projet médical, alors que celui-ci aurait dû être mis en œuvre à compter du 1er janvier.
J’aurais pu vous parler des menaces qui pèsent sur les centres de santé du Grand conseil de la mutualité, qui participe largement, à Marseille, à l’offre de soins.
Je pourrais aussi vous parler de la lutte des sages-femmes, de l’inquiétude – des femmes, en particulier – quant au devenir des centres d’IVG.
Voter ce moratoire nous laisserait le temps d’engager enfin un réel débat démocratique dans nos territoires avec l’ensemble des acteurs sur une politique de santé répondant réellement aux besoins des patients, avec des équipes médicales mobilisées et des équipements modernes alliant proximité et excellence technique. Cela nous paraît une sage politique.
Certes, nous mesurons combien cette proposition de loi a un objectif limité au regard de l’enjeu, mais j’ai la faiblesse de penser que le Sénat peut, ici et maintenant, contribuer au changement.