Affaires économiques
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Au lieu d’accroître leurs moyens, qui sont rognés depuis vingt ans, vous proposez de démanteler les conseils de prud’hommes
Loi Macron : Article 83 -
Par Éliane Assassi / 6 mai 2015Nous abordons le sujet important de la justice prud’homale.
En préambule, monsieur le ministre, permettez-moi de m’étonner de l’absence de Mme la garde des sceaux et de M. le ministre du travail à vos côtés. On peut s’interroger sur l’objectif visé au travers de cet article !
La justice prud’homale est une institution vitale pour la protection des salariés. Si nous partageons le constat de la longueur des délais d’attente, nous ne partageons pas votre analyse et n’approuvons pas les solutions que vous préconisez.
Au lieu d’accroître leurs moyens, qui sont rognés depuis vingt ans, vous proposez de démanteler les conseils de prud’hommes, dont l’utilité est pourtant démontrée.
De fait, les organisations professionnelles, tant de salariés que patronales, rejettent vos propositions. Je tiens à souligner ici l’importance du travail réalisé par les conseillers prud’homaux, qui suivent des formations et acceptent de siéger de manière quasiment bénévole. Cette attitude civique devrait être valorisée par le Gouvernement ; hélas, il n’en est rien !
Au prétexte de délais trop longs et d’un détournement de la mission initiale de conciliation des prud’hommes, le Gouvernement propose de recourir de plus en plus à des juges professionnels. Outre que son efficacité financière et en termes de réduction des délais apparaît très discutable, une telle mesure constituerait un profond désaveu pour les conseillers prud’homaux et une source certaine de démotivation. La démotivation touchera également les salariés, qui risquent de voir les délais de traitement de leur dossier augmenter, empêchant toute compensation et la prise d’un nouveau départ.
Ensuite, le Gouvernement propose l’instauration d’une justice à trois vitesses en rendant possible la modulation de la composition de la formation de jugement. Pour une même situation, le dossier pourra être traité soit par un bureau de conciliation restreint statuant dans un délai de trois mois, soit par un bureau classique composé de quatre conseillers, soit par un bureau où siégera un juge professionnel. Cette démultiplication des possibilités conduira immanquablement à la justice à trois vitesses que j’évoquais, ce qui remettra de fait en cause le principe d’égalité entre les justiciables.
À vous en croire, monsieur le ministre, l’enjeu serait de raccourcir les délais de jugement. Permettez-moi de m’interroger : comment deux personnes dépourvues de moyens pourront-elles statuer plus rapidement que quatre ? En multipliant deux ou quatre par zéro, on obtiendra toujours zéro !
Il existe une autre pierre d’achoppement : la possibilité, pour les juges, de s’appuyer sur un référentiel plus proche de l’évaluation forfaitaire pour déterminer l’indemnité préjudicielle allouée dans le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Avec cette mesure, sous prétexte d’harmonisation – vers le bas, on l’aura compris –, on déshumanise la justice à l’égard de victimes bien souvent fragilisées, qui ont besoin du lien spécifique entre juges et justiciables. En outre, les indemnités versées risquent de ne pas couvrir le préjudice subi. Enfin, on offre aux entreprises désireuses de licencier la possibilité de calculer au préalable combien leur coûterait un licenciement.
Par ailleurs, l’alinéa 5 de cet article particulièrement volumineux vise à limiter les moyens d’action des conseillers prud’hommes. S’il nous paraît naturel que ces conseillers observent, pour le bon fonctionnement de l’institution et de la justice, un certain nombre de devoirs, il ne nous semble pas opportun de demander à des syndicalistes et à des employeurs engagés de restreindre leurs moyens d’expression, car celle-ci constitue la richesse paritaire des prud’hommes.
Pour conclure, j’aimerais revenir quelques instants sur la proposition de supprimer l’alinéa 2 de l’article 2064 du code civil, qui protège le salarié en prévoyant qu’ « aucune convention ne peut être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail ».
Le fondement de cet alinéa est la reconnaissance du lien de subordination existant entre l’employé et l’employeur, notamment au regard de la dépendance économique du premier par rapport au second. Le salarié et l’employeur ne sont pas sur un pied d’égalité, même si la rupture conventionnelle du contrat de travail promue par le Gouvernement occulte cette réalité. Cette mauvaise appréciation de votre part, monsieur le ministre, conduira inévitablement à des situations dramatiques pour les travailleurs de ce pays.
J’ose espérer que vous n’ignorez pas que, chaque année, des cas de pressions exercées par les employeurs sur les salariés sont recensés et condamnés. Si la présence d’un avocat est obligatoire lors des discussions de concertation, celui-ci ne peut pas suivre à la trace le salarié tout au long de sa journée, au travail et en dehors !