Les questions orales
En prison, les risques infectieux sont multipliés par quatre, voire par dix
Droits sanitaires et sociaux des détenus -
Par Le groupe CRCE / 3 avril 2013Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème retenu par la conférence des présidents pour cette séance de question orale avec débat est particulièrement important, et nous pouvons remercier Aline Archimbaud de l’avoir proposé.
Aujourd’hui, force est de constater que les détenus ne sont pas seulement privés de leur liberté de mouvement. Ils sont également privés de la pleine application des droits sanitaires et sociaux qui, inhérents à la personne humaine, ne peuvent théoriquement faire l’objet d’aucun aménagement ni d’aucune restriction dans notre République. Je pense particulièrement au droit à la santé, au sens où l’entend l’Organisation mondiale de la santé.
Déjà, en 2010, la Cour des comptes rendait public un rapport dans lequel elle soulignait la gravité de la situation en ces termes : « La santé est un secteur très défaillant en prison », précisant par ailleurs que l’environnement pénitentiaire était inadapté pour les détenus atteints des pathologies les plus lourdes, telles que le VIH, et pour ceux qui se trouvent en fin de vie ou en situation de dépendance.
Cette situation s’explique notamment par le nombre insuffisant des médecins intervenant dans les prisons. Toutefois, elle est aussi inhérente aux conditions mêmes d’incarcération des détenus. La surpopulation provoque naturellement des maladies, tout comme l’état des structures.
Comment ne pas faire le lien entre des conditions de détention extrêmement difficiles, qui ressemblent parfois aux conditions de vie en situation d’extrême pauvreté, et une prévalence de la tuberculose dix fois plus élevée en milieu carcéral qu’à l’extérieur ? Je pense ici à un article du Monde concernant la prison des Baumettes, qui a défrayé la chronique en décembre dernier. Assez effrayant, il laisse perplexe quant à la situation sanitaire des détenus.
Depuis lors, la situation ne s’est pas améliorée ; elle s’est même considérablement détériorée si l’on considère la santé mentale des détenus. Selon les sources de l’administration pénitentiaire elle-même, en 2011, 80 % des détenus souffraient de troubles psychiatriques ; 7°% des détenus souffriraient ainsi de schizophrénie, quand seulement 1 % de la population totale est concernée en France. La proportion est strictement identique pour les détenus atteints de paranoïa. Cette surreprésentation des maladies mentales en milieu carcéral doit nous inviter à trouver de meilleures réponses pour l’accompagnement des détenus, ainsi qu’à réviser notre législation pénale.
Pour notre part, nous insistons sur la nécessité de réintroduire un mécanisme permettant de réduire réellement la sanction pénale pour les personnes qui sont reconnues pénalement responsables d’une infraction mais qui présentent une altération du discernement en raison d’une pathologie mentale. Cette mesure appellerait à son tour une réforme, sans doute tout aussi ambitieuse, de l’offre de soins psychiatriques en ville. Elle devrait reposer sur une approche bienveillante et non sécuritaire, ainsi que sur une politique de secteurs renforcée et modernisée.
En outre, au regard du nombre de détenus souffrant d’addictions aux drogues ou à l’alcool, je ne puis, dans la continuité du rapport remis par ma collègue Laurence Cohen en qualité de rapporteur pour avis sur la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, que regretter l’insuffisance, pour ne pas dire l’indigence, des politiques préventives de traitement et de réduction des risques en prison.
Cette absence de politique volontariste n’est pas sans conséquence pendant et après la détention. En prison, le risque infectieux est bien plus élevé qu’à l’extérieur : celui d’une contamination par l’hépatite C est multiplié par dix et celui de l’hépatite B, par quatre.
Si certains efforts ont été accomplis pour permettre l’accès des détenus à des traitements de substitution, il faut faire preuve de plus de détermination et d’imagination. Faisons confiances aux professionnels de santé et aux associations. Donnons-leur la parole pour qu’ils puissent formuler des propositions qui répondent à l’urgence sanitaire que représentent les détenus souffrant d’addictions.
Si le milieu carcéral présente d’importantes déficiences pour l’accès à la santé, il apparaît comme une véritable zone de non-droit au regard des droits sociaux. La prison, qui devrait être un temps de réinsertion sociale et professionnelle, ne remplit pas, loin s’en faut, sa mission.
L’article 27 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 prévoit tout de même que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée [...] dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ».
Pourtant, dans les faits, seuls 39,1 % des personnes détenues exercent un emploi ou suivent une formation professionnelle. Et lorsqu’ils travaillent, les détenus ne sont pas protégés par les règles de droit commun qui s’appliquent aux salariés. Ils ne disposent pas d’un contrat de travail, mais d’un contrat d’engagement. Les exigences contractuelles imposées aux employeurs sont quasi-inexistantes en prison, et certains contrats ne précisent ni les tâches qu’auront à effectuer les détenus ni le nombre d’heures travaillées.
Cette situation, particulièrement l’absence de contrat, produisait encore, il y a peu, un effet surprenant : les conflits liés à l’exercice d’une activité professionnelle en prison ne relevaient pas des conseils de prud’hommes, dans la mesure où cette juridiction n’était compétente que pour les conflits nés à l’occasion d’un contrat de travail.
Très récemment, comme vient de le rappeler Aline Archimbaud, le conseil des prud’hommes de Paris s’est déclaré compétent, considérant que la fin de la collaboration d’un détenu avec une entreprise, sur l’initiative de cette dernière, devait s’analyser comme un licenciement ouvrant droit au bénéfice de toutes les protections et dispositions prévues dans le code du travail.
Cette décision doit nous inciter collectivement à élaborer un dispositif qui puisse être enfin sécurisant pour les détenus. Nous ne pouvons accepter que le respect de leurs droits dépende de décisions de justice rendues au cas par cas et qui soufrent, par définition, d’une certaine instabilité.
Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer la position du Gouvernement, ainsi que les mesures qu’il entend prendre dans le sens d’un renforcement réel des droits des détenus en prison, mais aussi après leur détention, notamment en matière de droits à la retraite ?