Les questions orales

L’ensemble des questions orales posées par votre sénatrice ou votre sénateur. Au Sénat, une question orale peut, suivant les cas, être suivie d’un débat. Dans ce cas, chaque groupe politique intervient au cours de la discussion.

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Bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002

Par / 7 novembre 2006

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

La question de notre collègue Jean-Claude Peyronnet portant sur le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 est bien évidemment à regarder à la lumière des récents évènements qui se sont produits dans une partie du pays - un an après ce que l’on appelle communément la « crise des banlieues » de novembre 2005.
Les délits commis à l’occasion de ces évènements aussi dramatiques soient-ils, aussi condamnables soient-ils, viennent une fois de plus confirmer l’échec de la politique du ministre de l’Intérieur et du gouvernement tout entier tant sur le plan sécuritaire certes mais aussi sur le plan économique et social.

Force est de constater que cette politique aussi libérale que répressive a conduit- en moins de cinq ans - le pays dans une impasse.
Comment expliquez-vous en effet, Monsieur le Ministre, -vous qui représentez votre Ministre d’Etat une fois de plus absent dans cet hémicycle- comment expliquez vous que l’on en soit arrivé à la situation que l’on connaît aujourd’hui alors que vous êtes aux commandes du pays depuis plus de 4 ans ?

Alors que vous avez toutes les cartes en main ?
Alors qu’on ne compte plus le nombre de lois modifiant notre dispositif pénal que ce gouvernement a fait voter par sa majorité parlementaire au nom de la lutte contre l’insécurité ?
Alors que Nicolas Sarkozy a occupé au sein du gouvernement tour à tour les postes de ministre de l’intérieur et de ministre des finances, quand il ne s’est pas pris pour le ministre de la justice ?
Qu’en est-il aujourd’hui, lui qui a eu toute latitude depuis 2002 pour légiférer, pour envoyer des circulaires aux préfets, pour dicter sa politique aux forces de l’ordre etc. etc. ?
Alors pourquoi un tel échec ?

Serait-ce à cause des magistrats -boucs émissaires tout trouvés de ses échecs manifestes - jugés trop laxistes et donc responsables, selon lui, de la situation actuelle singulièrement en ce qui concerne le traitement de la délinquance des mineur ? Non. D’ailleurs un récent rapport a salué le travail de ces juges. De plus, il faut savoir que le taux de réponse pénale aux affaires impliquant des mineurs est supérieur à celui des majeurs (85% contre 77% en 2005).

Serait-ce alors à cause de l’ordonnance de 1945 qui organiserait l’impunité des mineurs ? Non. D’ailleurs, la justice des mineurs prend un tour de plus en plus répressif. Les sanctions sont de plus en plus lourdes, le nombre de mineurs en prison est en hausse.

Le principal défaut de cette ordonnance qui offre un large panel de mesures est le manque cruel de moyens humains et matériels qui empêche sa bonne application essentiellement dans sa partie éducative. C’est cette carence en terme de moyens qui fait que ce texte est très partiellement appliqué et qui fait dire à ses détracteurs qu’elle est inefficace et qu’il convient par conséquent de la réformer.
Or, rapprocher le droit pénal des mineurs de celui des majeurs comme le veut la droite n’est qu’un pis-aller, une solution simpliste et démagogique censée rassurer l’opinion publique.

Serait-ce enfin à cause des politiques menées avant lui ? Non. Ce serait trop facile et très réducteur comme raisonnement.
Les raisons de cet échec sont ailleurs. Et elles sont multiples.

Loin de répondre aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité -d’ailleurs est-ce vraiment l’objectif du Ministre de l’Intérieur, permettez-moi d’en douter - sa politique pénale axée essentiellement sur la répression se révèle pour ce qu’elle est : injuste et inefficace.

Ses choix incohérents en matière de sécurité -suppression de la police de proximité/déploiement de CRS dans les quartiers jugés sensibles - n’ont pas fait reculer les violences, loin s’en faut.
En revanche, ils ont conduit à une stigmatisation de la population, à un véritable harcèlement des jeunes des quartiers populaires, soumis à d’incessants contrôles d’identité, voire à des humiliations.

Or, on le sait, la seule répression ne peut pas tout régler. Vous aurez beau démultiplier les réformes pénales, augmenter autant que vous voudrez le quantum des peines, accroître le nombre de places en prison, rien n’y fera si la répression - qui est nécessaire - ne s’accompagne pas d’une politique globale de prévention, d’une politique économique et sociale digne de ce nom.

Je le dis haut et fort pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté quant à mon propos : je condamne avec la plus grande fermeté tout acte violent et, à cet instant comment ne pas penser à cette jeune fille de Marseille encore entre la vie et la mort ? ; je condamne tout incendie et destruction de biens publics et privés quels qu’ils soient, d’autant plus que les premières victimes de ces actes sont les populations qui sont déjà les plus défavorisées, les plus précarisées, celles qui subissent de plein fouet les injustices de la mal vie et les effets de votre politique libérale.

En effet et ainsi que vous l’aurez constaté, les « Ã©meutes » se font très rare à Neuilly sur Seine...comme à Nice d’ailleurs !
Les auteurs de ces actes doivent donc être punis. C’est une évidence.

Mais à chaque infraction commise, il faut une réponse (mesure éducative, réparation, sanction, ...) permettant de donner des repères à des jeunes qui n’en ont plus ni au sein de la cellule familiale ni à l’école.
Pour qu’elle soit comprise et efficace, la sanction doit être individualisée en opposition au traitement global qu’est l’enfermement, lequel doit demeurer autant que faire se peut l’ultime recours.

La sanction qui doit être proportionnée à la gravité de l’acte devrait toujours prendre place au sein du triptyque « prévention-dissuasion-sanction/réparation ».
Ce n’est évidemment pas la voie choisie par le Ministre de l’Intérieur qui privilégie la « surveillance » et la « punition » comme si cela allait permettre à la France de se mettre à l’abri des flambées de violence qui l’assaillent.
La répression ne permet de prévenir ni le passage à l’acte délictuel ni la récidive.

En réalité, la crise des banlieues permet au Ministre de l’Intérieur de justifier sa politique sécuritaire et de susciter le rappel à l’ordre, le tout dans un climat de pré campagne électorale dans laquelle, lui, le gouvernement et la majorité parlementaire aimeraient imposer leur thème favori -celui de l’hystérie sécuritaire- comme en 2002.
Mais cette stratégie de la tension est très dangereuse.
La droite porte une grande responsabilité dans la violence de ces derniers jours en répondant à la violence par la violence et la provocation et surtout en n’ayant rien fait ni depuis 2002 pour les jeunes, les quartiers et les populations qui y vivent, ni a fortiori depuis novembre 2005 pour apporter des solutions aux problèmes de ces quartiers.

La motivation sociale des auteurs des émeutes de novembre 2005 ne peut plus être niée, ni le fait qu’on avait affaire non pas à des voyous tous connus des services de police mais à des primo délinquants.
L’effusion de violence de l’automne 2005 a bel et bien traduit une crise profonde qui trouve son essence dans les mesures toujours plus inégalitaires faisant le jeu du libéralisme, dans l’abandon des politiques publiques volontaires.
Malgré les efforts du Ministre de l’Intérieur pour l’occulter, le débat sur la question sociale, sur le chômage de masse et l’inégalité d’accès des jeunes des quartiers populaires au marché du travail s’est imposé à l’issue de la crise de l’an dernier.

Débat qui a mis en lumière l’exigence de changements radicaux au profit d’une politique de cohésion, d’intégration et de solidarité en faveur des hommes et des territoires là où le gouvernement n’a su qu’apporter une réponse policière à de lourds problèmes sociaux.
Alors qu’on était en droit d’attendre des réponses permettant une politique porteuse de justice sociale et de respect mutuel, ce gouvernement a répondu dans un premier temps par la répression puis par l’extension des zones franches, le retour du travail des enfants avec l’apprentissage à 14 ans et le fameux CPE !
Un an après les violences urbaines de 2005 force est d’admettre que les inquiétudes, les questions, les colères, sont toujours là.

Les problèmes qui ont conduit à cette situation de crise demeurent : le chômage, la précarité, la dégradation de l’habitat, la ghettoïsation, l’éclatement des ZEP, la réduction des subventions accordées aux associations de terrain, la fermeture des services publics de proximité, l’étranglement financier des collectivités en raison de transferts de charges non compensées par l’Etat, les discriminations, etc.

Aucune réponse sociale n’a été apportée au profond malaise qui s’est exprimé alors.
Au contraire, l’UMP et le MEDEF en ont même profité pour poursuivre leur politique injuste au mépris de la population, tout en accroissant le climat sécuritaire et en aggravant les communautarismes.
Que sont devenues les promesses faites à l’époque par M. de Villepin ? Où est passé son « plan d’urgence pour l’emploi » ?

Quid des propositions avancées par le Président du Conseil Général de Seine-Saint-Denis le 15 novembre 2005, en pleine crise des banlieues, pour répondre à l’urgence sociale et aller vers plus de justice et de dignité ?
On le voit, rien de significatif n’a été fait depuis l’an dernier. Si, pardon ... nous avons eu la loi CESEDA, celle dite de prévention de la délinquance et celle -parmi d’autres- relative à la privatisation de GDF : un florilège de certitudes libérales, d’atteintes aux libertés et d’attaques contre le service public !

En revanche, les inégalités à l’origine de la colère sont toujours là. Et surtout elles s’aggravent d’année en année ; je vous renvoie à l’enquête menée par le Président de l’observatoire des inégalités.
Les petites phrases, les effets d’annonce et les provocations sont également toujours présentes. Sans parler des descentes de police dans les cités qui se font sous les feux des projecteurs !!
Pour résumer, le bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 par la droite est assez éloquent :
On assiste à des flambées de violences comme le pays en a rarement connu.

Le malaise et le mécontentement grandissent dans la population, singulièrement celle des quartiers dits sensibles, et surtout chez les jeunes même si on ne partage pas la forme que prend leur colère.
Mais comment pourrait-il en être autrement ? Peut-on sincèrement penser que l’aggravation de la précarité, la privatisation de pans entiers de la vie sociale, économique et culturelle, le racisme et les humiliations permanentes, n’auraient aucune conséquence sur toute une génération ?
Le mécontentement gagne aussi les forces de l’ordre en sous-effectif chronique dans les zones dites sensibles qui se font agresser sur le terrain et paient ainsi, d’une certaine manière, le prix des propos tenus par leur ministre de tutelle.

Il faut arrêter la surenchère sécuritaire qui est contre productive et dangereuse pour tout le monde.
Je pense qu’il faudrait un grand débat public sur l’utilisation démocratique des forces de police et se poser cette question : « quelle police pour quel usage ? »
Si le maintien de l’ordre est nécessaire, en revanche ce ne peut pas être l’unique voie à suivre en matière de sécurité. On ne réglera rien avec les seuls BAC, CRS, GIR...
Il faut rétablir une police de proximité en y apportant certaines adaptations tirées de l’expérience passée. Chacun doit se rappeler tout l’intérêt du travail de l’îlotage.
Il faut renouer le dialogue entre les policiers et la population et mettre à nouveau en place un travail de discussion avec les associations de locataires, sportives, culturelles.
Il faut contribuer à apaiser les tensions, retisser le lien social.
Nous avons besoin d’une police républicaine, respectée et formée.

Pour cela, il faut arrêter d’affecter dans les quartiers les plus difficiles les jeunes fonctionnaires de police tout juste sortis de l’école de police et fidéliser ceux qui par leur expérience de terrain ont acquis une bonne connaissance des quartiers les plus difficiles, il faut revoir la répartition des effectifs de police sur le territoire qui est inchangée depuis 50 ans, arrêter la culture du chiffre - cette politique du rendement axée sur la seule répression - dangereuse pour tous et qui fait peser sur les forces de l’ordre une forte pression hiérarchique.

Et je voudrais dire au Ministre de l’Intérieur, que cette fois-ci il ne va pas s’en tirer avec des cas particuliers -souvent horribles- érigés en vérités avérées ou avec ses pirouettes habituelles à savoir : l’énumération de chiffres faisant l’éloge d’une politique sécuritaire ou encore l’annonce de mesures législatives visant à durcir encore le dispositif pénal français en proposant d’amender le texte sur la prévention de la délinquance, le tout sous couvert du sempiternel leitmotiv qui lui est cher « je dis tout haut ce que d’autres pensent tout bas » ; leitmotiv qui tourne -selon la version- soit à la fanfaronnade soit au populisme le plus primaire et donc le plus dangereux !
A chaque incident dans le pays, la réponse s’exprime par un article du code pénal ou du code de procédure pénale. Mais ce n’est pas de cela dont ont besoin nos concitoyens.
Le sujet est trop sérieux, la situation trop grave pour se laisser aller à des querelles stériles sur les chiffres de la délinquance que chacun interprète d’ailleurs à sa façon, ou à des discours d’autosatisfaction en pleine campagne électorale.

Ce que nous attendons cette fois-ci de la part du gouvernement ce sont des annonces concrètes en terme de logements, de santé, d’amélioration de l’habitat, de services publics de proximité en milieu urbain et rural, d’éducation, de loisirs, de lutte contre les discriminations, de police de proximité, bref tout ce qui est susceptible de reconstituer le lien social, afin que le « vivre ensemble » soit plus que des mots.
Le tissu social ne pourra se reconstituer à mon sens qu’au prix de réformes radicales et d’une véritable ambition sociale.
Mais ceci suppose bien évidemment de débloquer des moyens financiers conséquents et surtout une réelle volonté politique.

Tel est le prix à payer pour enrayer la spirale de la violence et de l’insécurité engendrées par le fonctionnement même de notre société.

Hélas, à regarder le budget de la France pour 2007 actuellement examiné à l’Assemblée nationale, force est de constater que tel n’est pas la priorité de ce gouvernement qui se préoccupe davantage d’éponger la dette publique et de supprimer des postes de fonctionnaires que d’apporter des réponses ambitieuses à la hauteur des besoins qui s’expriment.

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