Les questions d’actualité
Vos annonces vont continuer à faire coaguler toutes les colères
Réforme des retraites -
Par Éliane Assassi / 11 décembre 2019Monsieur le Premier ministre, ce midi, vous avez franchi la ligne rouge : vous êtes hors-jeu et vos annonces vont continuer à faire coaguler toutes les colères !
Avec votre projet de casse des retraites, les Français vont travailler plus longtemps – jusqu’à 64 ans – et toucheront des pensions plus basses.
Alors que les salariés du secteur privé comme du secteur public, ainsi que les jeunes, sont massivement mobilisés depuis jeudi dernier, vous maintenez votre projet funeste d’instauration d’un système de retraite par points soumis aux aléas économiques et financiers.
Monsieur le Premier ministre, vous n’avez effectivement pas fait d’« annonces magiques ». En revanche, vous vous êtes lancé dans un excellent numéro de bonneteau dont personne n’est dupe !
Malgré l’illusion de la concertation sociale, la majorité de la population a bien compris les dangers de votre projet de réforme des retraites.
Malgré vos belles promesses qu’il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus, ceux qui vont pouvoir se frotter les mains sont les marchés financiers, à l’instar de ces financiers casseurs reçus par le Président de la République – les BlackRock – qui attireront les salariés qui en seront capables vers les retraites par capitalisation.
Les lignes directrices de votre réforme n’ont pas bougé d’un iota.
Il s’agit toujours de mettre fin aux régimes spéciaux de retraites existants,…
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme Éliane Assassi. … alors que ces régimes, contrairement à vos mensonges, sont tous solidaires du régime général.
Il s’agit toujours d’un système de retraites par points. La valeur de ces points servira de variable d’ajustement pour vos politiques d’austérité avec, à la clé, une baisse générale des pensions !
Permettez-moi de rappeler ici une chose : ce qu’une loi fait un jour, une autre peut le défaire le lendemain !
M. Roger Karoutchi. Eh bien voilà !
Mme Éliane Assassi. Vous confirmez aussi, monsieur le Premier ministre, que les salariés travailleront plus longtemps, puisque vous fixez à 64 ans le fameux âge pivot.
Monsieur le Premier ministre, deux autres points ont attiré mon attention : d’une part, votre volonté de diviser pour mieux régner en opposant les générations et, d’autre part, le fait que vous ne touchez pas au capital, l’argent-roi que vous défendez bec et ongles, avec le Président de la République.
Ce midi, monsieur le Premier ministre, vous n’avez convaincu personne hormis le Medef. C’est pourquoi, à l’instar de nombreuses organisations syndicales, nous demandons le retrait de votre projet de réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente Éliane Assassi, nous ne sommes pas d’accord ; personne ici n’en sera surpris.
Vous avez rappelé à juste titre que, ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire. Vous avez parfaitement raison : c’est vrai dans une démocratie.
En revanche, madame la présidente, vous reconnaîtrez que, compte tenu de cette évidence démocratique, la bonne façon de procéder est de s’engager au moment des élections sur ce que l’on fera. C’est ce que le Président de la République a fait quant au régime universel de retraites. C’est ce que la majorité de l’Assemblée nationale a fait lors des dernières élections législatives : elle s’est engagée en faveur de ce régime universel. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
Permettez-moi de vous dire, madame la présidente, qu’avec le respect que vous et moi avons à l’évidence pour la démocratie, le fait qu’un gouvernement mette en œuvre une promesse présidentielle ne devrait susciter, me semble-t-il, ni surprise ni interrogations. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Il y a donc – premier point crucial – une légitimité politique à ce que nous faisons.
En second lieu, on peut sans doute ne pas être d’accord sur les mesures à prendre, mais une chose au moins me paraît évidente : d’une certaine façon, aucune loi, faite ou défaite, ne changera la réalité de nos systèmes de retraite.
Mme Éliane Assassi. Il y a d’autres solutions !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette réalité est la suivante, madame la présidente : lorsque les systèmes de retraite actuels ont été conçus, il y avait quatre actifs pour un retraité ; aujourd’hui, ce ratio n’est plus que de 1,7. À long terme, cette mécanique est inexorable ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Gérard Longuet. Nous l’avions dit lors de l’élection !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Tous les autres pays du monde l’ont compris et l’ont assumé ; ils en ont tiré les conséquences. Pour préserver le pouvoir d’achat des retraités, ce que nous voulons faire, pour préserver le pouvoir d’achat des actifs, ce que nous voulons faire aussi, ils ont fait en sorte que l’élément d’équilibre ne soit pas la valeur du point, mais bien la capacité de chacun à travailler progressivement un peu plus.
M. Pascal Savoldelli. Et les riches ?
Mme Éliane Assassi. Vous touchez toujours aux mêmes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette réalité ne changera pas. Autrement dit, ne pas régler ces sujets revient à s’exposer immanquablement, que ce soit dans six mois, dans deux ans, ou dans dix ans, à une vérité cruelle : une perte de pouvoir d’achat massive des retraités et des actifs.
Mme Éliane Assassi. C’est ce qui se passe déjà !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Non, madame la présidente : c’est ce qui se passerait si nous ne faisions rien !
C’est la raison pour laquelle nous créons un régime universel dans lequel les Françaises et les Français auront tous les mêmes droits, quelle que soit leur activité professionnelle : les mêmes droits et les mêmes devoirs ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Enfin, madame la présidente, cela devrait vous parler ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)
C’est sain dans une démocratie et une république : c’est même la promesse initiale du régime de retraite. Vous le savez parfaitement, car cette promesse, à cette époque, était portée par votre camp, par votre parti ! Peut-être même n’aurions-nous pas réussi à créer les régimes actuels s’il n’y avait pas eu cette promesse initiale : vous le savez parfaitement !
Mme Éliane Assassi. Il faut réduire les inégalités ! Vous touchez toujours aux mêmes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Aujourd’hui, certains abandonnent cette promesse ; c’est peut-être pour préserver des situations acquises ou des intérêts. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. C’est honteux !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pour ma part, je trouve un tel revirement regrettable. Je préfère construire un système universel, conformément aux engagements qui ont été pris, dans un dialogue avec les organisations syndicales et patronales, et en toute clarté.