Les questions d’actualité
Notre peuple est las de ces vaines promesses
Un an de crise sanitaire -
Par Éliane Assassi / 17 mars 2021Monsieur le Premier ministre, depuis un an jour pour jour, pour faire face à la pandémie, la France va de confinement en couvre-feu et de couvre-feu en confinement.
Notre peuple souffre, et la maladie frappe, avec plus de 91 000 morts et des milliers de personnes hospitalisées. Elle frappe socialement : la barre des 10 millions de pauvres a été franchie. Elle frappe psychologiquement, particulièrement notre jeunesse.
Ce matin, le conseil de défense a décidé de nouvelles mesures. Elles devront être à la hauteur de la nouvelle dégradation de la situation dans nos hôpitaux.
En Île-de-France comme dans de nombreuses autres régions, la situation dans les services de réanimation est dramatique, car il n’y a plus de lits pour accueillir des patients en phase critique. Des malades sont transférés, mais les médecins préviennent que la vague est trop forte et que les transferts annoncés ne suffiront pas à l’endiguer.
Monsieur le Premier ministre, pourquoi n’avez-vous pas ouvert de lits de réanimation ?
Vous aviez déclaré péremptoirement : « Il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea pour ouvrir des places en réa. »
M. Jean Castex, Premier ministre. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Hier soir, vous affirmiez encore : « On ne peut pas créer des lits de réanimation supplémentaires d’un claquement de doigts. »
M. Jean Castex, Premier ministre. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, le temps ne s’est pas suspendu pendant un an. Avec d’autres, nous demandons depuis mars 2020 un changement radical de politique de santé publique, rompant avec la loi de marché.
Le 27 août dernier, M. le ministre de la santé annonçait : « Si la situation le nécessite, 12 000 lits de réanimation pourront être disponibles. » Où sont-ils, ces lits, monsieur le Premier ministre ?
Notre peuple est las de ces vaines promesses. Il constate l’affaiblissement de notre système de santé publique et la perte de notre souveraineté sanitaire, puisque nous n’avons pas encore produit notre vaccin.
Masques et tests, puis lits et vaccins : notre destin nous échappe, monsieur le Premier ministre.
Aussi, quels choix allez-vous effectuer pour ouvrir en urgence, dans les jours à venir, des lits de réanimation ? Allez-vous prendre des dispositions pour sortir les vaccins de la logique du marché, en levant les brevets, et pour accélérer considérablement la réalisation et la production d’un vaccin français ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean Castex, Premier ministre. Permettez-moi avant tout, monsieur le président, de vous remercier, au nom du Gouvernement, de l’hommage que vous avez bien voulu rendre, en cette date anniversaire, au personnel soignant, qui a tant donné pour notre pays et qui donne tant encore.
Ces hommes et ces femmes sont en première ligne, ils sont fatigués ; pour autant, comme je peux le constater très régulièrement, en me rendant aussi souvent que possible auprès d’eux dans les établissements de santé, ils sont toujours là et ne désarment pas !
Madame la sénatrice, vous me posez une question qui revient régulièrement, au sujet des lits de réanimation. J’ai déjà eu l’occasion d’y répondre plusieurs fois ; la répétition étant à la base de la pédagogie, je vais revenir une nouvelle fois sur ce sujet devant vous.
Tout d’abord, je veux évoquer la gestion de l’épidémie du point de vue hospitalier. Nous disposons en France de lits de réanimation ; je vous remercie de rappeler que ces lits, ce sont d’abord des professionnels hautement spécialisés qui s’en occupent : des médecins, des anesthésistes-réanimateurs, des infirmières spécialisées. Tout cela, vous ne l’ignorez pas, tout comme vous savez parfaitement que, pour former un médecin, un anesthésiste-réanimateur, ou une infirmière spécialisée, il faut de nombreuses années ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe LR.)
Il ne serait pas raisonnable de laisser accroire que l’on peut, en six mois ou un an, former des personnels aussi spécialisés. (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui l’avez dit !
M. Jean Castex, Premier ministre. Que faisons-nous depuis le début de la crise ? (« Rien ! » sur des travées des groupes CRCE et LR.)
Nous reconvertissons d’autres lits, en mobilisant d’autres professionnels hospitaliers, pour accroître nos capacités d’accueil. C’est ce qui se passe depuis le début.
Je voudrais à ce propos rendre un hommage appuyé aux progrès qui ont été réalisés, dans ce registre, quant à la gestion des lits hospitaliers : des progrès thérapeutiques ont permis de réduire les durées de séjour, voire de laisser chez eux des malades rudement atteints – c’était impossible lors de la première vague –, en ne les hospitalisant qu’en dernier recours ; d’autres ont permis de placer dans d’autres lits des malades qui, lors de la première vague, seraient restés dans des lits de réanimation.
Évidemment, quand la pression épidémique augmente, comme c’est le cas aujourd’hui, cela cause des déprogrammations et des transferts de patients, lorsque cela est possible. Cependant, tout est mis en œuvre pour augmenter les capacités d’accueil dans les proportions qui ont été indiquées. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et LR.)
M. Philippe Pemezec. Vous vous comportez comme des amateurs !
M. Jean Castex, Premier ministre. Il vaudrait mieux parler, mesdames, messieurs les sénateurs, des capacités d’accueil à l’hôpital des patients gravement atteints de la covid-19.
Ensuite, derrière cette question précise se posent des questions structurelles. Comment réarmer notre système de santé ? (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Quels enseignements tirons-nous de cette crise ? Il est important de se poser cette question, après un an. Je voudrais d’ailleurs dire au Sénat que l’on aurait pu attendre la fin de la crise pour le faire, mais qu’on ne l’a pas fait : ce que nous avons fait, cela s’appelle le Ségur de la Santé ! (M. Martin Lévrier applaudit – Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et LR.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. Il n’y a rien dedans !
M. Jean Castex, Premier ministre. Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a rien dedans ? Il y a 9,5 milliards d’euros ! Voulez-vous que je rappelle le niveau de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie depuis dix ans ? Voulez-vous que je le rappelle ? (« Oui ! » sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je viens d’annoncer que 19 milliards d’euros seraient consacrés, dans le second volet du Ségur de la santé, aux investissements hospitaliers. C’est extrêmement important ; pour avoir connu – et j’en suis fier ! – les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, je peux vous dire que celui-ci prévoit des sommes supérieures de 50 % à ces deux plans réunis !
Voilà ce que vous allez, ce que nous allons, ce que la Nation va engager au bénéfice du service public de santé, et ce n’est que justice !
Enfin, madame la sénatrice, vous avez évoqué à juste titre la recherche et les innovations dans le domaine de la santé. Oui, nous payons aujourd’hui trente ans de retard accumulé ! Eh bien, nous allons réinvestir dans ce domaine, nous avons même déjà commencé de le faire, vous le savez ; ce sera le troisième volet du Ségur de la santé.
Nous sommes donc pleinement mobilisés pour soutenir les établissements hospitaliers et leur personnel, afin de faire face à la résurgence de la pandémie, en même temps que nous travaillons à leur renforcement et à leur transformation structurelle.