Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une remise en cause du financement solidaire, qui repose historiquement sur les cotisations sociales

Financement de la sécurité sociale pour 2014 -

Par / 12 novembre 2013

Rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille.

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en 2013, pour la sixième année consécutive, la branche famille afficherait un niveau élevé de déficit : 2,8 milliards d’euros. Ce triste record – le dernier remontait à 2010 – s’explique par un ralentissement marqué des recettes, lui-même imputable à la mauvaise conjoncture économique.

Cette dégradation est toutefois moins importante que celle qui était initialement prévue, grâce au milliard d’euros de recettes supplémentaires affecté à la branche par la loi de finances rectificative d’août 2012 et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Ce que j’avais alors qualifié de « bouffée d’oxygène » a mis fin à une fragilisation sans précédent des recettes de la branche opérée sous le précédent quinquennat, dont le transfert, en 2011, de 0,28 point de CSG vers la CADES, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, a été la mesure la plus emblématique.

Je souligne, à ce sujet, que le rendement des trois taxes affectées à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, en contrepartie de cette perte de CSG, ne cesse de diminuer d’année en année.

Malgré les efforts entrepris l’année dernière en recettes, le déficit de la branche continuerait de se creuser en 2014, pour atteindre 3,3 milliards d’euros. Pour éviter ce dérapage, le présent projet de loi de financement prévoit un nouveau transfert de recettes à la branche famille pour un montant de 1 milliard d’euros, qui permettrait de ramener le déficit à 2,3 milliards d’euros.

Ce milliard d’euros supplémentaire provient de l’affectation à la CNAF du gain financier attendu de la baisse du plafond du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros par demi-part, mesure prévue à l’article 3 du projet de loi de finances pour 2014. Environ 1,3 million de foyers fiscaux seront concernés par cet abaissement du plafond, soit 12 % des ménages avec enfants.

La CNAF se voit également attribuer la compensation de la perte de 0,15 point de cotisations patronales « famille », soit 1,16 milliard d’euros, destinée à assurer la neutralité de l’augmentation des cotisations patronales « vieillesse » sur le coût du travail.

La rétrocession à la branche famille des économies escomptées de la réforme du quotient familial et la compensation de la diminution des cotisations patronales famille, pour un montant total d’environ 2,19 milliards d’euros, reposent sur un schéma de financement pour le moins complexe.

Le dispositif retenu comprend en effet deux étapes : tout d’abord, un transfert de recettes du budget de l’État vers la sécurité sociale, au moyen d’un accroissement de la fraction du produit de la TVA affectée à la CNAM ; ensuite, l’attribution à la CNAF d’un panier de recettes en provenance de la CNAM composé de divers impôts et taxes.

Bien sûr, on ne peut que partager l’objectif du Gouvernement de redressement des comptes de la branche famille. Je considère cependant que les modifications apportées par le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 en matière de recettes remettent profondément en cause son financement solidaire, qui repose historiquement sur les cotisations sociales. L’affectation du produit de l’abaissement du plafond du quotient familial et, surtout, le remplacement d’une part des cotisations patronales « famille » par des impôts et taxes, sont, à mes yeux, révélateurs d’un basculement vers un financement fiscalisé dont les premiers contributeurs sont les ménages.

Je crains par ailleurs que ce nouveau montage financier, outre le fait qu’il complexifie encore un peu plus la structure de financement de la branche, n’offre pas les garanties suffisantes quant à son financement pérenne.

Enfin, il est particulièrement regrettable que la recette supplémentaire occasionnée par la fiscalisation de la majoration de pension pour trois enfants et plus – mesure prévue à l’article 6 du projet de loi de finances – soit affectée au financement de la réforme des retraites plutôt qu’à la branche famille, alors que c’est cette branche qui supporte la charge de cette prestation pour le compte du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, depuis 2009 ! Cette injustice s’ajoute à celle qui consiste à élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu des familles, et donc à diminuer leur pouvoir d’achat déjà largement impacté par les effets de la crise.

Les mesures relatives à la famille inscrites en dépenses sont, quant à elles, la traduction législative des annonces faites par le Premier ministre le 3 juin dernier, à l’occasion de la « rénovation de la politique familiale ». Deux objectifs étaient annoncés : l’amélioration du caractère redistributif du système actuel en ciblant certaines prestations sur les familles qui en ont le plus besoin ; la participation au redressement financier de la branche en lui faisant réaliser des économies.

L’intention est louable, mais ces objectifs remettent en cause le principe, auquel je suis profondément attachée, d’universalité des prestations familiales. En outre, ils s’inscrivent clairement dans une logique d’austérité que je ne peux cautionner.

La première mesure consiste en une majoration du complément familial de 50 % sur cinq ans pour les familles vivant sous le seuil de pauvreté, conformément à l’engagement pris dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Cette majoration, qui devrait bénéficier à 400 000 familles, va de pair avec celle qui est annoncée de l’allocation de soutien familial de 25 % à l’horizon de 2018.

La deuxième mesure est la modulation du montant de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, selon le niveau de ressources des familles : ses bénéficiaires, définis comme les plus aisés, verront son montant diminuer de moitié, tandis que ses bénéficiaires les plus modestes continueront de la percevoir à taux plein. Ce sont 10 % des familles éligibles, soit 180 000 d’entre elles, qui percevront désormais l’allocation de base à taux partiel.

La troisième mesure concerne la majoration du complément de libre choix d’activité, le CLCA, qui, on le sait, est favorable aux familles dites « les plus aisées ».

Afin que tous les allocataires, quel que soit le niveau de leurs ressources, perçoivent un montant de CLCA identique, il est proposé de supprimer cette majoration.

La quatrième mesure consiste en un mécanisme de plafonnement des tarifs pratiqués par les microcrèches. Il ressort en effet d’une enquête réalisée par la CNAF en 2012 que certaines de ces structures ont recours à des pratiques abusives du fait de la liberté tarifaire dont elles bénéficient. Le dispositif prévu, qui repose sur le complément de mode de garde versé aux familles utilisatrices, conduirait à une limitation des tarifs facturés, donc à une diminution du reste à charge des familles.

Trois autres dispositions relèvent, à mon sens, de la rigueur budgétaire, ni plus ni moins.

Il en est ainsi de la non-revalorisation du montant de l’allocation de base de la PAJE jusqu’à ce que le montant du complément familial, régulièrement revalorisé selon les règles de droit commun, atteigne le même niveau. Le rattrapage entre ces prestations étant prévu pour 2020, cela signifie que le montant de l’allocation de base n’évoluera pas pendant six années consécutives !

À ce gel s’ajoute celui des montants des primes à la naissance et à l’adoption.

L’allocation de logement familiale subira le même sort l’année prochaine, de même que l’allocation de logement sociale et l’aide personnalisée au logement.

Dans le contexte économique et social que nous connaissons, ces mesures vont pénaliser encore un peu plus les familles les plus fragiles. C’est d’autant plus incompréhensible, madame la ministre, que vous admettez vous-même dans l’étude d’impact que l’augmentation des aides au logement est liée à la mauvaise conjoncture économique et à la hausse du chômage. En somme, plus il y a de besoins, plus on contracte les budgets !

Je conclurai sur la nouvelle convention d’objectifs et de gestion qui a été signée entre la CNAF et l’État le 16 juillet dernier, après plus d’un an et demi de négociations longues et difficiles, et sur laquelle j’ai pu m’entretenir avec les représentants syndicaux des salariés des CAF.

Les deux premières orientations stratégiques retenues – le développement des services aux familles et l’amélioration de l’accès aux droits – me semblent pertinentes. Elles s’accompagnent d’ailleurs d’une augmentation significative des crédits du Fonds national d’action sociale sur la période 2013-2017.

En revanche, le troisième axe, qui vise « un choc de production », selon les termes mêmes de la convention, ne résoudra en rien la profonde crise que traversent les CAF depuis deux ans maintenant. Au contraire, il risque de l’aggraver, en raison des économies de gestion qu’il prévoit.

Alors que la convention d’objectifs et de gestion repose sur un renforcement des moyens humains des caisses sur les deux premières années à hauteur de 700 équivalents temps plein, il est acté que les effectifs du réseau devront diminuer de 1 000 équivalents temps plein en cinq ans. Autrement dit, on reprend d’une main ce que l’on donne de l’autre !

En résumé, madame la ministre, je crains que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ne soit un pas de plus vers la remise en question de la branche famille, et ce malgré vos déclarations.

L’approche que vous avez de la redistribution pose plusieurs problèmes.

D’abord, plus on soumet les prestations à condition de ressource, plus on s’éloigne de l’universalité, sans compter que les dossiers vont voir leur traitement se complexifier. Cela va à l’encontre du « choc de simplification » réclamé par le Président de la République et c’est contraire aux économies de gestion demandées aux CAF.

Ensuite, on prend aux uns pour donner aux autres, aux classes moyennes pour donner aux plus modestes,…

Mme Michelle Meunier. Ce n’est pas vrai !

Mme Isabelle Pasquet, rapporteur. … voire à personne, dans certains cas ! Il serait plus pertinent, pour combler les inégalités, d’engager une grande réforme de la fiscalité pour rendre l’impôt plus juste et plus progressif qu’il ne l’est aujourd’hui.

Enfin, le budget de la branche famille sert largement la politique de lutte contre la pauvreté. Loin de moi l’idée qu’elle ne doit pas y contribuer, mais ce n’est pas sa vocation première. En outre, recentrer les prestations sur les ménages les plus modestes au détriment des autres risque de renforcer la stigmatisation des plus démunis. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Tout cela pose la question du financement de la branche famille. Si on la détourne de sa vocation première, on est amené à se demander qui la finance et comment. À ce titre je rappelle que les prestations familiales font partie du salaire socialisé. En conséquence, toute remise en cause des cotisations sociales, tout gel ou toute baisse, équivaut à une baisse des salaires, donc à une perte de pouvoir d’achat.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : ces doutes et ces craintes m’amènent à émettre un avis défavorable sur ce PLFSS. Cet avis est d’ailleurs partagé par une majorité d’organismes sociaux, associations et syndicats.

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