Face à la gravité de la situation en Afghanistan, il est indispensable d’activer ce mécanisme prévu par des textes européens
Protection temporaire (proposition de résolution européenne) -
Par Éliane Assassi / 10 février 2010Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la fin de l’année dernière, la brutale évacuation par les forces de police d’un lieu de regroupement de jeunes clandestins afghans près de Calais et l’expulsion de quelques-uns d’entre eux vers leur pays d’origine avaient de nouveau attiré l’attention de l’opinion publique sur la situation humainement dramatique que connaissent ces hommes. Tous, sans exception, avaient d’abord été placés dans des centres de rétention administrative, puis remis en liberté sur décision judiciaire. Cet enchaînement d’événements avait légitimement suscité une grande émotion et indigné nombre de nos concitoyens.
Ces événements, qui venaient s’ajouter à d’autres, ont clairement démontré que le dispositif mis en place par le Gouvernement pour lutter contre l’immigration irrégulière est inadapté et inefficace. J’ai déjà eu l’occasion de le souligner : il manque de cohérence et ne peut donc résoudre de façon juste et humaine le problème posé par cet afflux de réfugiés. La tentative de plusieurs associations, ces derniers jours, pour ouvrir un nouveau centre d’hébergement à Calais en a encore fait la démonstration.
C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de résolution européenne soumise au vote du Sénat par nos collègues du groupe socialiste.
Par cette résolution, ils demandent au Gouvernement de transmettre à la Commission, conformément à la directive européenne du 20 juillet 2001, une demande de déclenchement du mécanisme dit de « protection temporaire ».
Ils souhaitent également que la France incite ses partenaires européens, qui par ailleurs sont, comme elle, engagés dans des opérations militaires en Afghanistan, à négocier entre eux afin que ces populations soient accueillies temporairement et dans des conditions décentes.
Face à la gravité, à l’urgence et à la dégradation de la situation, nous pensons qu’il faut absolument activer ce mécanisme prévu dans les textes européens afin de régler au plus vite un problème auquel la politique du Gouvernement est incapable de répondre.
La fermeture de la « jungle » de Calais n’a abouti, vous le savez bien, mes chers collègues, qu’à masquer ce problème et à le déplacer désormais à Paris, autour des gares du Nord et de l’Est.
Sur le fond, nous nous opposons avec vigueur à ces « retours forcés », qui, bien que leur nombre soit très limité, se font au mépris de toute considération humanitaire et ne tiennent aucun compte de la situation en Afghanistan, qui se dégrade. Je vous l’ai dit en son temps, monsieur le ministre, et je le répète encore : on n’expulse pas des gens vers un pays en guerre !
Comme le propose la résolution, la solution pourrait résider dans la protection temporaire, ou bien être trouvée grâce à une discussion au niveau européen qui se fixerait pour objectif l’harmonisation par le haut des systèmes d’asile communautaires.
Or le rapporteur de la commission des lois et celui de la commission des affaires européennes se réfugient derrière une argumentation spécieuse pour justifier l’opposition de la majorité de notre assemblée à cette résolution. Ils considèrent principalement que les trois conditions nécessaires au déclenchement du mécanisme de la protection temporaire ne sont pas réunies.
Comment, pourtant, peut-on prétendre qu’il n’y a pas d’afflux de ressortissants afghans alors que plus de 9 000 sont entrés dans l’Union européenne au premier semestre de 2009, ce qui les place au troisième rang derrière les Irakiens et les Somaliens ?
Certes, cet afflux ne désorganise pas, au sens de la directive, le système d’asile des États membres. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de créer un système d’asile subsidiaire, comme nous y autorise une autre directive de 2004.
Mes chers collègues, si vous craignez que cela ne crée un « appel d’air » pour l’immigration clandestine, comme nous l’entendons souvent,…
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Éliane Assassi. Pas vous, monsieur le rapporteur, mais M. le ministre !
Si donc vous craignez que nous ne puissions régler seuls cette question, raison de plus pour en discuter au niveau européen, comme nous y invite la proposition de résolution du groupe socialiste.
Enfin, comment pouvez-vous considérer que la situation actuelle en Afghanistan est suffisamment sûre pour permettre aux personnes qui ont quitté ce pays d’y retourner ?
Mais ces arguties juridiques ne m’étonnent guère de votre part, vous qui soutenez la politique très restrictive en matière de droit d’asile menée par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, notre politique d’asile ne fonctionne plus correctement. Bien que la France soit encore le premier pays européen et le deuxième dans le monde en termes de nombre de demandeurs d’asile, le pourcentage de réponses favorables accordées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, ne cesse de diminuer.
Observant l’activité de l’OFPRA, le dernier rapport de la CIMADE publié avant-hier fait craindre « un rabaissement du droit d’asile ». Il dénonce notamment l’accélération des procédures, qui a pour effet d’augmenter le nombre de rejets.
Cette politique ne fonctionne pas non plus au niveau européen, et elle sera même durcie avec la directive « retour », qui allongera considérablement la durée d’enfermement dans les centres de rétention.
Par ailleurs, la création d’un bureau européen d’appui en matière d’asile à Malte ira incontestablement, je le crains, dans le sens d’un alignement par le bas des procédures d’asile européennes.
Lorsque cette directive sera transposée dans notre droit interne, nous combattrons fermement cette tendance à faire qu’un enfermement « exceptionnel » des personnes en situation irrégulière devienne peu à peu un banal outil de politique migratoire.
Pour ma part, j’estime, au contraire, que toutes les conditions sont réunies pour adopter cette proposition de résolution européenne, dont les termes sont très acceptables, monsieur le rapporteur. Nous la voterons, car elle a le grand mérite de poser clairement les données de l’enjeu que représente l’immigration clandestine et de proposer des solutions alternatives, et crédibles, à la politique gouvernementale.