Le droit d’asile ne saurait être soumis aux vicissitudes de nos politiques d’immigration

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 1 770 : c’est le nombre de personnes mortes ou disparues en mer Méditerranée depuis le début de l’année, selon l’Organisation internationale pour les migrations, soit un mort toutes les deux heures en moyenne.

Qui sont ces migrants ? Pourquoi ont-ils quitté leur pays ? Voilà les questions que chacun devrait se poser, avant de s’interroger sur leur arrivée. Pourquoi partent-ils de leur pays ? Pour fuir la guerre, la misère et, bientôt peut-être, le dérèglement climatique.

Avant même d’examiner des textes comme le projet de loi qui nous a été soumis, monsieur le ministre, nous devrions tous nous poser les questions de fond. Quel nouvel ordre international, dans le cadre d’une ONU refondée, avons-nous à proposer ? Quelle politique de développement économique digne de ce nom pouvons-nous adopter ?

Le but de la Commission européenne est d’abord de stopper les flux migratoires en direction de l’Europe, et non d’en éteindre les causes. Avec l’opération Triton confiée à FRONTEX, la priorité est non pas de sauver les migrants, mais bien de surveiller les frontières de l’Union européenne.

Si François Hollande a fait un distinguo très net entre migrants économiques et demandeurs d’asile, il a aussi précisé qu’il était favorable à une « meilleure répartition » de ces derniers entre pays européens. Comment « mieux répartir » des migrants sans établir de quotas ou fixer des seuils concernant les dossiers des demandeurs d’asile ?

C’est avec cette contradiction – car c’en est une – que se débat le Gouvernement depuis une semaine. À Matignon, on évoque désormais non pas des « quotas », mais une « quote-part ». De votre côté, monsieur le ministre, vous avez plaidé pour un « mécanisme de répartition solidaire de ce qui relève du statut du demandeur d’asile » tenant compte « des efforts déjà faits » par les pays « en matière d’accueil ». On joue sur les mots, mais, dans les faits, qu’en est-il ?

Bruxelles propose de répartir le traitement des demandes d’asile entre les pays européens. Ce mécanisme d’urgence, qui devrait être finalisé demain, ne s’appliquera qu’aux étrangers qui « ont manifestement besoin d’une protection internationale ». Ces personnes seront réparties entre les vingt-huit, selon une clé fondée notamment sur la démographie, la richesse et les efforts menés précédemment. Ainsi, l’Allemagne devra en accueillir 18,42 % et la France 14,17 %, soit, en se fondant sur les chiffres de 2014, un « surplus » – j’insiste sur les guillemets –, dans l’Hexagone, de 26 000 demandeurs d’asile et de 7 000 personnes régularisées.

Est-ce donc ce « surplus » de 7 000 personnes régularisées qui fait sourciller l’exécutif ? À en croire le Gouvernement en effet, la France assumerait déjà plus que sa part dans la prise en charge des migrants, notamment ceux qui relèvent de l’asile.

Pour leur part, les élus du groupe CRC s’opposent fermement aux quotas, pour une seule et unique raison : le droit d’asile est un principe de valeur constitutionnelle, qui ne saurait être soumis aux vicissitudes de nos politiques d’immigration. Je le rappelle, l’asile est un droit. Aussi déplorons-nous que l’examen du texte ait été en quelque sorte pollué par le débat sur l’immigration, qu’a relancé la proposition européenne d’instaurer des quotas de migrants au sein de l’Union européenne. Dans ce contexte, les termes du débat sont les suivants : l’asile est une charge.

Quand ce projet de loi nous a été soumis, nous ne pouvions que nous réjouir qu’une réforme ait lieu pour améliorer le droit d’asile dans notre pays. C’est pourquoi nous avons soumis plusieurs amendements visant à aménager le texte. Je pense à la suppression des mesures tendant à élargir la procédure accélérée, dont le champ d’application est bien trop vaste par rapport à la procédure prioritaire existante et qui permettra à l’OFPRA de traiter de manière expéditive l’essentiel des demandes. Je pense aussi à l’établissement d’un véritable rôle pour le conseil lors de l’entretien, à l’évaluation de la vulnérabilité par des professionnels sociaux et des professionnels du soin. Je pense encore à la possibilité pour les demandeurs de bénéficier de l’allocation financière, sans être contraints d’accepter l’offre d’hébergement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII.

Force est de le constater, aucune de ces propositions n’a retenu l’attention de la commission des lois ou du Gouvernement, pas même celle qui visait à revenir sur les dispositions restrictives du droit d’asile introduites par la commission des lois.

Bien loin de porter la moindre attention aux mesures que nous proposions, la droite sénatoriale s’est acharnée à rendre ce projet de loi encore plus dur, en y accumulant des dispositifs qui ne sont pas acceptables.

Les délais de traitement des dossiers ont ainsi été réduits à trois mois, contre neuf mois dans le texte initial. « On va, par l’effet d’une procédure qui rend impossible de déposer et préparer les dossiers dans le délai requis, rendre impossible le droit d’asile en France », s’insurge à cet égard Stéphane Campana, le bâtonnier du barreau de Seine-Saint-Denis.

L’accès au marché du travail a également été supprimé pour ceux dont l’affaire est en cours d’examen depuis plus de neuf mois. Les entretiens ont été vidés de leur sens, en maintenant le droit pour le tiers accompagnant de se taire et en instaurant la vidéoconférence pour les entretiens conduits par l’OFPRA, afin de déshumaniser davantage la procédure.

Pis encore, les mesures les plus dures visent les personnes déboutées de leur demande d’asile.

Ainsi a été introduite dans ce projet de loi l’accélération de la procédure d’éloignement, puisque la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant par la CNDA, vaudra obligation de quitter le territoire français et interdiction de solliciter un titre de séjour sur un autre fondement, telle la situation familiale ou médicale. Il s’agit, pour le président de la commission des lois, M. Bas, de lutter contre « le détournement massif des procédures de droit d’asile » à des fins d’immigration illégale.

En outre, l’assignation à résidence des déboutés dans des centres dédiés en vue de préparer leur éloignement confine, selon nous, à un véritable enfermement administratif.

Par ailleurs, l’accès à l’hébergement d’urgence est restreint pour ces personnes.

Enfin, le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile prises sur avis conforme de l’OFPRA est transféré à la CNDA, plutôt qu’au juge administratif de droit commun.

Toutes ces mesures vont dans le sens d’une surenchère sécuritaire et démagogique.

Tel est l’un des leitmotivs de la droite et de l’extrême droite : puisqu’un quart seulement des demandeurs d’asile voient leurs demandes aboutir, c’est que les trois quarts seraient des « fraudeurs ». Rhétorique trompeuse et infondée ! Dans la plupart des cas, les déboutés sont avant tout des personnes n’ayant pas eu la chance d’être pleinement entendues.

Nous le disons avec force, ces dispositifs ne doivent pas trouver leur place dans notre législation. Le droit d’asile mérite mieux que cela. Nous ne devons pas en rabattre s’agissant des moyens destinés à défendre une composante intrinsèque des valeurs de notre République.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette version du projet de loi, telle qu’elle est issue des débats sénatoriaux.

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