Un exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat, organisé sur l’initiative de la commission des lois du Sénat pour faire suite à l’important rapport, qu’elle a approuvé, cosigné par mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne. Ils ont accompli un travail complet et remarquable.

Durant ses dix-sept années de mandat sénatorial, Nicole Borvo Cohen-Seat s’est attachée, avec toute la force de ses convictions, au travers de ses écrits, de ses interventions, de ses amendements et parfois de ses interpellations, à combattre toute forme d’entrave à l’accès à la justice pour tous, sans lequel il n’y a plus de droits fondamentaux. Ceux-ci ne sont en effet pas effectifs si leur non-respect ne peut être sanctionné par un juge.

Le titre choisi par nos deux rapporteurs – « La réforme de la carte judicaire : une occasion manquée » – est révélateur, me semble-t-il, du peu de cas dont la majorité d’hier, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, a fait de ce principe.

D’ailleurs, la réforme de la carte judiciaire n’est qu’un exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice. Menée dans la précipitation, sans concertation réelle avec les organisations syndicales, elle a visé un objectif exclusivement comptable, qu’elle n’a même pas atteint, du fait de son coût. Elle a bel et bien entraîné, en revanche, une dégradation des délais de traitement des affaires et de l’accessibilité de la justice. Le rapport d’information cosigné par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne le montre parfaitement. Il démontre en outre comment cette réforme a abouti à une suppression nette de postes de magistrat ou de greffier. Au nom de la sacro-sainte RGPP, 80 postes de magistrat et 428 postes de fonctionnaire ont été supprimés entre 2008 et 2012, sous couvert d’économies. C’est un choix politique qui vise selon nous à casser le service public.

Ce rapport montre également que la concentration des tribunaux s’est faite de manière aveugle. En général, le niveau d’activité a été le seul critère retenu pour décider du maintien ou de la fermeture des juridictions. Il n’a été tenu aucun compte, ou presque, du critère d’éloignement géographique ou de l’existence de difficultés de communication, qui auraient pourtant dû être déterminants.

Cette concentration a été aveugle et aussi parfois incohérente, puisque certaines juridictions qui présentaient des chiffres d’activité nettement supérieurs aux minima requis par la garde des sceaux de l’époque ont tout de même été supprimées.

C’est ainsi que s’est opérée la suppression de près du tiers des implantations judiciaires, alors que, en parallèle, l’activité judiciaire s’est accrue, notamment en raison de la multiplication des réformes pénales.

Cette situation est d’autant plus préjudiciable que les structures concernées sont principalement des juridictions de proximité. L’éloignement des juridictions compétentes pour les petits litiges décourage le justiciable de saisir le juge. Le principal effet négatif est donc d’entraver l’accès à la justice.

Le rapport envisage des pistes de réflexion en vue de pallier ces nombreux dysfonctionnements. Chacune d’entre elles comporte des inconvénients.

Ainsi, l’organisation d’audiences foraines pose des problèmes d’ordre matériel et nécessite le déplacement de nombreux auxiliaires de justice. Or ces derniers ne sont pas en nombre suffisant et leur charge de travail est déjà très lourde.

De même, la création ou le maintien, à la place du tribunal supprimé, d’une structure plus légère – une maison de justice et du droit, une antenne juridique ou une borne de visioconférence permettant d’échanger ponctuellement avec un représentant du greffe – ne règle que partiellement le problème.

Ces pistes peuvent donc être envisagées, mais seulement le temps d’aboutir à des solutions pérennes, qui devront être élaborées en totale concertation avec les professions judicaires, quelque peu malmenées sous l’« ère Sarkozy ». Les professionnels de la justice auditionnés par nos rapporteurs ont d’ailleurs souligné à quel point ils se sont sentis négligés, voire méprisés.

Le rapport rend hommage à ces personnes qui ont rempli leur mission tant bien que mal, en dépit des atteintes portées à leurs conditions de travail, parfois même à leurs conditions de vie, et ainsi montré leur dévouement. Je voudrais m’associer à cet hommage.

Il est aujourd’hui de la responsabilité du Gouvernement de s’approprier les conclusions de ce rapport, qui a été adopté à l’unanimité par la commission des lois. Nous veillerons, dans un premier temps, à ce qu’elles trouvent un prolongement dans la loi de finances pour 2013. Si la création de 500 postes est confirmée, nous nous en réjouirons, même si cela ne saurait suffire au regard de l’ampleur des besoins. Ensuite, une réflexion globale devra être menée sur les thèmes de la proximité judiciaire, de l’organisation judiciaire ou de la spécialisation des magistrats.

Tous les moyens devront être mis en œuvre, car, en matière de justice, on ne saurait faire d’économies !

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