C’est la création même d’un fichier permettant le fichage de l’ensemble de la population française qui pose problème

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la quatrième fois, nous débattons de cette proposition de loi. Le ping-pong qui s’est instauré entre l’Assemblée nationale et le Sénat depuis maintenant un an nous a quelque peu étourdis !

Le désaccord entre nos deux assemblées porte sur la nature du lien qui est institué au sein du fichier adossé à la création de la carte d’identité biométrique.

Pour l’Assemblée nationale et le Gouvernement, comme le démontre l’amendement que le Gouvernement a déposé sur ce texte, il doit s’agir d’un lien fort entre données biométriques et civiles. À l’inverse, le Sénat souhaite instaurer un lien faible, qui ne permette pas que ce fichier soit utilisé à des fins judiciaires, mais qui le rende suffisamment exploitable pour la lutte contre l’usurpation d’identité.

Certes, l’Assemblée nationale a revu sa copie au fil des différentes lectures et des avis de la CNIL et du Conseil d’État, en apportant à l’utilisation du fichier central biométrique un certain nombre de restrictions.

Pourtant, les nouvelles garanties ne sont pas suffisantes : au lieu de travailler aux qualités intrinsèques de ce fichier, l’Assemblée nationale a fait le choix de limiter simplement les possibilités de consultation de celui-ci. Force est alors de constater que les finalités du fichier pourront être élargies à l’occasion d’une nouvelle loi, en conservant intactes ses potentialités.

De plus, en l’état de la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, les limitations apportées restent incomplètes, permettant la recherche d’une identité à des fins judiciaires et non pas simplement de vérification. Pour cette raison, la commission des lois propose de rétablir un lien dit faible, plus respectueux de l’avis rendu par la CNIL le 25 octobre dernier, selon lequel la constitution d’un fichier biométrique aussi puissant et large que celui qui est prévu par la proposition de loi « doit s’accompagner de garanties solides et pérennes, qui interdisent l’utilisation de la base centrale pour un autre objet que celui pour lequel elle a été créée ».

Cependant, le fond du problème reste intact. Lien fort ou lien faible, nous estimons que c’est la création même d’un fichier permettant le fichage de l’ensemble de la population française qui pose problème. En effet, nous sommes particulièrement échaudés par la volonté de ce gouvernement de multiplier des fichiers dont les finalités sont souvent contestables puisqu’il s’agit d’instaurer un véritable contrôle social de la population.

En outre, nous n’approuvons pas que les services spécialisés, en particulier dans la lutte contre le terrorisme, soient autorisés à utiliser ce fichier. C’est en effet au nom d’une telle cause que ce gouvernement a engagé depuis plusieurs années une politique sécuritaire particulièrement attentatoire aux libertés individuelles et au respect de la vie privée de nos concitoyens.

Nous préconisons en la matière, une fois n’est pas coutume, de nous inspirer de la législation de nos voisins d’outre-Rhin, en ne constituant pas de fichier centralisé. Il s’agit à nos yeux de la solution juridique la plus équilibrée et la plus solide.

Je vous invite, à ce titre, à relire l’avis de la CNIL, selon lequel la création d’une base centrale était disproportionnée au regard de l’objectif de sécurisation des titres. La CNIL va même plus loin puisqu’elle considère comme légitime « le recours à des dispositifs de reconnaissance biométrique pour s’assurer de l’identité d’une personne, dès lors que les données biométriques sont conservées dans un support individuel exclusivement détenu par la personne concernée ».

Cela signifie bien que, a contrario, elle juge illégitime le recours à des données biométriques si celles-ci sont conservées dans un support qui ne serait pas détenu exclusivement par la personne concernée, ce qui est bien le cas en l’espèce, puisqu’un fichier centralisé est créé.

De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé à plusieurs reprises que la création de fichiers contenant des données biométriques pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucunes poursuites constituait une violation manifeste des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Pourquoi, dès lors, s’obstiner dans une voie juridiquement contestable et politiquement inadmissible ?

Les querelles liées à la nature de ce fichier centralisé ne doivent pas nous faire oublier que la création même, par cette proposition de loi, d’une carte nationale d’identité biométrique pose problème, une puce dite « e-service » devant y être intégrée, certes de manière consultative.

À ce sujet, la CNIL a également émis de sérieuses réserves, soulignant la possibilité ainsi créée de « la constitution d’un identifiant unique pour tous les citoyens français, ainsi que la constitution d’un savoir public sur les agissements privés ». Elle conclut son avis ainsi : « De telles fonctionnalités ne devraient pas permettre le suivi des personnes sur internet ou l’exploitation par l’État d’informations sur les transactions privées effectuées par les citoyens. »

Nous partageons cette analyse et ne cautionnons pas un tel mélange des finalités entre intérêt régalien et intérêt commercial. La carte nationale d’identité doit rester un titre d’identité et non un outil au service d’intérêts commerciaux privés.

Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur le coût d’un tel titre pour nos concitoyens. Sera-t-il fourni gratuitement ou sera-t-il payant ? Bien que n’ayant cessé de poser cette question simple, nous n’avons jamais eu de réponse !

Une nouvelle fois, nous alertons nos collègues sur les risques de charges supplémentaires que ces nouvelles dispositions font peser sur les collectivités, à l’image de ce qui s’est passé lors de la création du passeport biométrique. Or les collectivités sont déjà malmenées par la politique fiscale de ce gouvernement, nous sommes ici bien placés pour le savoir !

En outre, sur les 36 000 communes, seules 2 000 seront habilitées à délivrer la carte nationale d’identité électronique, ce qui laisse augurer, nous semble-t-il, de fortes disparités géographiques et renforcer l’inégalité d’accès aux services publics.

Pour finir, nous n’acceptons pas que le Gouvernement utilise une nouvelle fois une proposition de loi pour faire passer un projet gouvernemental. L’inscription de ce texte à l’ordre du jour gouvernemental apparaît ainsi comme un aveu de ce que nous n’avons eu de cesse de dénoncer. Une telle instrumentalisation du Parlement est intolérable.

Pour toutes ces raisons, nous voterons de nouveau contre cette proposition de loi.

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