Une pratique monarchique du pouvoir

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte met à jour des dispositions techniques et prévoit de nouveaux dispositifs pour les prochaines élections présidentielles.

Si certaines adaptations ne soulèvent pas notre opposition, d’autres suscitent des interrogations. Il en est ainsi des conditions de vote des détenus, qui mériteraient d’être précisées.

Nous ne sommes par ailleurs pas favorables à certaines autres mesures, comme la déterritorialisation de l’établissement des procurations. Le dépôt de l’amendement gouvernemental sur l’instauration d’une procédure de vote par anticipation, sur lequel je reviendrai, renforce encore nos interrogations. Ces deux points remettent en cause, selon nous, l’organisation de ce scrutin sous une forme citoyenne.

L’essentiel, toutefois, est ce qui ne figure pas dans le projet de loi organique.
L’élection présidentielle est la clé de voûte des institutions de la Ve République. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que l’élection présidentielle au suffrage universel direct donne des pouvoirs très forts et très singuliers au Président de la République, chef de l’État. Vous avez également rappelé comment, depuis vingt ans, la présidentialisation – je dirai même l’hyperprésidentialisation – s’est accrue.
Nous assumons la dénonciation d’une pratique monarchique du pouvoir et d’un dévoiement des institutions républicaines qui, rappelons-le, se fondent sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette présidentialisation, comme vous l’indiquiez, monsieur le rapporteur, a été précipitée par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
La dérive que nous vivons aujourd’hui exige de rendre au Parlement son pouvoir et de le rétablir comme pivot de la démocratie. Elle exige de revenir aussi vite que possible sur l’inversion du calendrier électoral. Elle exige encore de revenir sur la durée du mandat du Président de la République. Elle exige enfin d’ouvrir un débat sur les prérogatives de ce dernier.

La crise sanitaire, nous le voyons bien avec la captation du pouvoir par l’exécutif, accélère l’exigence d’une révision en profondeur de nos institutions. Oui, nous estimons qu’il faut changer de Constitution et faire advenir une VIe République.
Le texte, très technique, élude des questions essentielles.

Nous poserons la question de l’audiovisuel dans la campagne électorale officielle et non officielle par voie d’amendement : nous proposerons de revenir à une égalité entre candidats durant la période comprise entre le dépôt des candidatures et le démarrage de la campagne officielle.

Ces semaines sont en effet primordiales dans la détermination du vote. Les candidats doivent être traités sur un pied d’égalité et non sur le fondement d’une équité aux contours incertains, reposant souvent sur des sondages qui, rappelons-le, sont produits par des instituts aux mains de grands groupes privés, peu enclins à la neutralité dans le débat politique. Les sondages doivent être encadrés, limités, voire interdits durant une certaine période.

Nous le voyons bien dès à présent, plus d’un an avant l’élection, certaines forces font déjà l’impasse sur le premier tour : ce sera un duel Macron-Le Pen, point barre ! La messe serait ainsi déjà dite et le pluralisme étouffé.

Le système américain lui-même montre bien que la bipolarisation de la vie politique tue la démocratie à petit feu. La question de l’argent dans les campagnes présidentielles n’est abordée dans ce texte que par un biais lointain ; elle doit pourtant être posée clairement. Pour favoriser ce pluralisme si nécessaire, pour favoriser l’égalité des candidatures, il faut limiter le niveau des dépenses électorales. Nous proposerons de les abaisser significativement. Nous proposerons également d’abaisser le seuil de remboursement des frais de campagne.

Vous le constatez, ces trois thématiques, parmi d’autres, comme celle qui viendra en débat sur les parrainages, sont fondamentales.

Enfin, nous proposerons qu’une réflexion soit engagée sur les conditions de déroulement d’une campagne présidentielle dans les mois qui précèdent le scrutin. Le risque existe que, au moins à l’automne, nous ne soyons malheureusement pas sortis de l’épidémie, même si nous espérons toutes et tous le contraire.

Comment permettre à ceux qui n’ont pas au moins accès aux médias de mener leur campagne durant une telle période ? Il faudra par exemple réfléchir à élargir le temps d’antenne longtemps avant la campagne officielle ou à créer une plateforme numérique pour ouvrir dans l’égalité les nécessaires moyens technologiques à tous.

L’abstention ne se combattra pas de surcroît durant une crise sanitaire par des évolutions, voire des manipulations, techniques, comme le propose le Gouvernement par un amendement tendant à créer un droit à voter de manière anticipée.
M. Philippe Bas. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Notre groupe, comme d’ailleurs une majorité de nos collègues, est indigné, choqué, tant sur la forme que sur le fond, par la méthode du Gouvernement, méprisante, et par cette volonté permanente de remettre en cause la démocratie citoyenne par des artifices de modernité. Je rejoins ainsi les propos de M. le rapporteur.
L’abstention se réduira justement par le débat, par la démocratie, par la conviction que le vote est utile.

Nous ne voterons pas contre ce texte ; nous nous abstiendrons, car il est trop limité pour répondre à l’urgence d’un sursaut démocratique.

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