On nous demande de proroger des restrictions de liberté prises sur simple décision administrative

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour comprendre ce dont nous débattons aujourd’hui en nouvelle lecture, il me semble nécessaire de revenir un instant sur l’origine des principales dispositions que comporte ce projet de loi, sans faire d’erreur sur les dates. Il s’agit des quatre mesures phares de la loi qui, en 2017, a entériné certaines mesures de l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015. Ce sont donc des mesures temporaires, datant d’il y a trois ans, mais instaurées il y a cinq ans déjà.

La commission mixte paritaire sur le texte a échoué, non pas sur le fond de ces mesures, mais sur la forme que doit prendre leur application. Alors que ces dernières doivent prendre fin au 31 décembre prochain, le Gouvernement et l’Assemblée nationale nous proposent de les proroger de six mois. Le Sénat, quant à lui, propose de les entériner immédiatement. Aucune de ces deux positions ne nous convient et ne nous convainc, même si je serais tentée de dire que la prorogation pure et simple reste la solution la moins pire, ou du moins la plus démocratique, en ce qu’elle permettrait un débat de fond sur ces mesures plus que problématiques à notre sens.

En effet, de quoi s’agit-il ? Il est demandé à la représentation nationale de proroger, en procédure accélérée – sans bilans détaillés et exhaustifs de l’efficacité de nos outils législatifs de lutte contre le terrorisme –, des mesures préventives ordonnées sur la base de simples soupçons, restrictives de libertés, décidées par l’autorité administrative et soustraites, pour la plupart, au contrôle judiciaire. Si la loi SILT a transformé les assignations à résidence en mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les perquisitions en visites et saisies, il s’agit bien – ne nous y trompons pas – des mêmes mesures liberticides que celles de l’état d’urgence, qui contournent la justice pénale ordinaire et les protections qui lui sont associées.

Je ne reviendrai pas sur les différents arguments que nous avons développés en première lecture pour vous démontrer l’inefficacité, en plus de leur dangerosité, de ces mesures. Mais je continue de m’étonner de la logique qui prévaut dans cette inflation législative, qui a pourtant fait les preuves de son échec.

Malheureusement, nous venons encore d’essuyer cette année plusieurs attentats terroristes, dont celui commis à l’encontre de Samuel Paty, le plus terrifiant sans doute, car dirigé contre tout notre modèle éducatif et la liberté d’enseigner ; celui perpétré à la basilique de Notre-Dame de Nice n’en est pas moins atroce. Mes chers collègues, nous pouvons être d’accord sur un point : ces attentats ont eu lieu sous le régime de ces mesures.

En parallèle, de nombreux autres outils se sont accumulés au fil des années, comme Pharos. Hélas, cette plateforme avait repéré et signalé l’assassin de Samuel Paty, plusieurs mois avant qu’il ne commette son crime abject, en vain.

Ces trente dernières années, seize lois ont été adoptées contre le terrorisme, auxquelles s’ajoutent trente-deux lois de lutte contre la délinquance, la plupart s’attaquant davantage à réduire nos libertés, sous couvert de sûreté, qu’à enrayer véritablement le terrorisme. Ainsi, le problème perdure...

Ne s’agirait-il pas à présent de faire le point sur notre stratégie en matière de lutte contre le terrorisme ? Il faudrait repenser, avec la hauteur de vue qui devrait être la nôtre, ce qui nourrit le terrorisme comme les relations commerciales et diplomatiques que Paris entretient avec certains pays complaisants à l’égard de ceux qui nous portent atteinte.

Pour ce qui est de notre territoire national, les services de renseignement doivent être renforcés humainement et pas uniquement sur la base d’outils algorithmiques insensés ou pas. Notre police doit retourner au contact de nos concitoyens, non seulement pour y faire de la prévention, mais aussi pour remonter les informations nécessaires aux services de renseignement.

Quoi qu’il en soit, un débat digne de ce nom doit se tenir sur le sujet, et l’échec des mesures dont il est question aujourd’hui doit être rapidement constaté, pour passer à la suite. Comme en première lecture, nous voterons contre ce projet de loi.

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