Nous refusons de choisir de répondre à la terreur par la peur

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a tout juste trois mois, j’intervenais ici même pour présenter une motion du groupe communiste républicain et citoyen tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Vous ne serez donc pas surpris qu’aujourd’hui notre position sur le texte issu de la commission mixte paritaire soit sensiblement la même.

La motion de rejet défendue par M. Ciotti lors de la commission mixte paritaire, qui est à l’opposée de nos positions, ne saurait servir d’argument au Gouvernement, lequel estime que le projet de loi final est équilibré entre mesures de sécurité et maintien des valeurs de liberté.

Madame la ministre, le Gouvernement a été hermétique aux voix extérieures des associations de protection des libertés publiques et autres syndicats vertement opposés à l’état d’urgence, mais aussi du Défenseur des droits, Jacques Toubon, ou encore des experts de l’ONU.

Il a été également hermétique aux voix des parlementaires opposés depuis bientôt deux ans à ce déferlement de mesures administratives toujours plus sécuritaires.

Plus encore, il n’a pris en compte les maigres améliorations proposées par la commission des lois du Sénat qu’en dernier recours. L’obligation pour une personne soumise à une mesure individuelle de surveillance de déclarer les numéros d’abonnement et les identifiants techniques de ses moyens de communication électronique, que la commission mixte paritaire a supprimée, était d’ailleurs la mesure la plus inconstitutionnelle du texte.

En revanche, la demande des sénateurs, qui souhaitaient que le juge des libertés et de la détention donne son accord pour la retenue sur place des personnes dont le domicile est perquisitionné, a été rejetée.

Finalement, l’accord en commission mixte paritaire sur quelques points plus ou moins anecdotiques qui ne remettent pas en cause l’économie générale du texte est révélateur du jeu de postures des uns et des autres. Cette question mérite pourtant mieux que cela, au lendemain d’un renouvellement présidentiel et législatif.

En juillet, nous demandions l’organisation en urgence d’un débat public sur les politiques à mener pour lutter contre le terrorisme. Quand allons-nous enfin comprendre que le terrorisme appelle la prévention, bien davantage que la répression ? Qu’en est-il dans le texte qui nous est soumis ? Un seul mode opératoire est à l’œuvre : toujours plus de répression, pas une ligne sur la prévention.

Je vous le dis solennellement, madame la ministre : le terrorisme n’est pas de ces menaces que le droit peut définitivement éradiquer.

M. Philippe Bas, rapporteur. Elle a raison.

Mme Éliane Assassi. Et pour cause, il échappe aux règles de l’État de droit. C’est pourquoi celui-ci n’aurait pas dû faiblir et devrait se donner les moyens de l’éradiquer autrement, en allant aux sources de sa formation, aux racines du mal. Les propositions faites à l’Assemblée nationale pour lutter contre le financement du terrorisme n’ont pas été retenues par le Gouvernement, nous le déplorons amèrement.

Je le dis pour la énième fois : le terrorisme se nourrit de la guerre du pétrole et du trafic d’armes. Il faut enfin dénoncer le rôle trouble des puissances régionales comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, mais aussi le rôle scandaleux de certaines entreprises françaises, telles que le cimentier Lafarge.
Nous le disons depuis le Congrès de Versailles du 16 novembre 2015, il faut rapidement repenser les choses et cesser d’agir en ordre dispersé. Une large coalition internationale sous mandat de l’ONU doit être mise en place, avec, au-delà du combat contre Daech, l’ambition de reconstruire les régions concernées, d’établir une paix durable et ainsi de permettre le retour de milliers de réfugiés. Sans cette perspective, il n’y a pas d’issue au terrorisme.

Sur le plan national, enfin, il faut refonder le vivre ensemble. D’un côté, l’accent doit être mis sur les politiques publiques de la culture et de l’éducation, le tissu associatif doit être renforcé, nos éducateurs et nos conseillers en insertion et probation doivent être valorisés ; de l’autre, parce que notre discours n’est pas angélique et antisécuritaire,…

M. François Grosdidier. À peine !

Mme Éliane Assassi. … nos forces de l’ordre, épuisées par l’état d’urgence, subissent depuis 2002 la politique du chiffre, exacerbée ces dernières années.

M. François Grosdidier. Ce n’est pas cela qui a engendré le terrorisme !

Mme Éliane Assassi. Je le dis avec force, leur rôle est également d’être au plus près de la population pour prévenir et combattre les crimes et les délits, mais aussi de lutter contre toute forme de radicalisation en récupérant les renseignements à la source. En ce sens – vous le savez, monsieur Grosdidier –, nous sommes à l’initiative d’une proposition de loi visant à rétablir, voire à réhabiliter, la police de proximité, que nous soumettrons à l’examen de notre assemblée avant la fin de l’année.

M. François Grosdidier. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, l’heure est grave. À l’issue de cette séance, des modifications législatives d’ampleur seront définitivement adoptées. Des mesures d’exception, telles que la possibilité pour l’autorité administrative de décider de l’instauration d’un périmètre de sécurité, de la fermeture de lieux de culte, de perquisitions administratives et d’assignations à résidence, seront gravées dans notre droit commun.

En votant une énième fois contre ces dispositions, contre cette dernière mouture du projet de loi, nous refusons de choisir, en toute responsabilité, de répondre à la terreur par la peur et à la menace sur nos libertés par moins de liberté. Nous resterons extrêmement vigilants quant aux applications, que nous savons déjà néfastes, de ces mesures.

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