Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une privatisation des prisons très coûteuse pour l’État

Exécution des peines : nouvelle lecture -

Par / 27 février 2012

Monsieur le président, madame la rapporteuse, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons adopté, entre août 2005 et novembre 2010, pas moins de dix-huit lois pénales, dont l’objectif affiché était la lutte contre la récidive : renforcement des sanctions contre la récidive, instauration de peines planchers, rétention de sûreté, ou encore instauration des obligations de soins. Autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique, mais qui ne parviennent pas à masquer un bilan particulièrement négatif, pour ne pas dire désastreux, dans ce domaine comme dans d’autres.

Votre acharnement à produire, via une montagne de textes, une idéologie sécuritaire, n’a d’autre source que votre intention d’en récolter les fruits électoraux, ce qui semble aujourd’hui plus qu’incertain. Comment expliquer, sinon, votre souhait de construire des établissements spécialement conçus pour accueillir des personnes condamnées à de courtes peines et ne présentant pas de dangerosité particulière ? Il est en effet permis pourquoi ces personnes doivent nécessairement purger leur peine de prison, alors même que toutes les études recommandent plutôt, pour mieux prévenir la récidive, l’exécution de telles peines en milieu ouvert.

De même, vous souhaitez construire de gigantesques usines carcérales, alors qu’il est démontré – quel dommage que M. Bockel ne soit plus présent ! – que se produisent, dans les établissements comptant plus de 200 détenus, des tensions, et donc des échecs multiples, beaucoup plus fréquemment que dans les établissements de moindre taille. L’augmentation de la capacité d’accueil des prisons ne peut engendrer que plus de tensions, de dysfonctionnements et de violences, ce qui s’avérera en définitive contre-productif en termes de prévention de la délinquance.

Ce projet de programmation tend aussi à renforcer les services d’application et d’exécution des peines, sans prévoir pour autant une augmentation des effectifs des services d’insertion et de probation, dont l’importance est pourtant indéniable. C’est bien la preuve, là aussi, d’une politique d’affichage !

De la même manière, le texte prévoit la généralisation des bureaux de l’exécution des peines et des bureaux d’aide chargés d’informer, d’accompagner et d’orienter les victimes d’infractions pénales. Ces mesures vont certes dans le bon sens, mais aucuns moyens humains et matériels ne sont prévus en vue de les aider à accomplir leurs missions, ce qui voue celles-ci à l’échec.

Votre politique en direction des mineurs n’échappe malheureusement pas à ces visées électoralistes. Votre grande spécialité est en effet d’agiter l’épouvantail de la délinquance des mineurs, avant de vous auto-congratuler !

L’article 9 du projet de loi impose une prise en charge du mineur par le service éducatif dans un délai de cinq jours à compter de la date du jugement. Encore un article aussi ambitieux qu’impossible à mettre en œuvre puisque le nombre d’éducateurs de la PJJ n’a cessé de baisser ces dernières années. Rappelons que 632 emplois y ont été supprimés et que son budget a diminué de 6 % depuis 2008. S’il est vrai que, pour 2012, le budget de la PJJ a été présenté en augmentation, c’est uniquement parce qu’un certain nombre de foyers éducatifs ont été transformés en CEF, en centres éducatifs fermés.

Le projet de loi prévoit d’ailleurs d’accroître la capacité d’accueil dans les CEF. Le Gouvernement considère en effet qu’ils se sont révélés, depuis leur création, comme des outils efficaces contre la réitération. Il a visiblement ignoré les multiples critiques dont ils font l’objet, notamment de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mais peu importe puisque l’objectif est de donner l’impression d’agir, quitte à le faire au détriment des foyers classiques, remplacés par des CEF, qui constitueront la réponse unique à la prise en charge de mineurs délinquants aux parcours divers.

Enfin, ce projet de loi de programmation est focalisé sur l’augmentation du nombre de places, passant totalement sous silence les conditions de détention, alors même que la situation continue de se dégrader dans les prisons françaises. Comme le souligne à juste titre l’Observatoire international des prisons, l’OIP, « on se contente d’y entasser des individus, qui sont mis pour un temps à l’écart de la société, mais on empêche, en outre, leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les brise pas carrément, avec des conditions de détention dégradantes ».

Il faut lutter contre la récidive, nous dit-on depuis plusieurs années. Soit, mais il semble vous échapper que la plupart des personnes emprisonnées ressortiront un jour. En maintenant cette politique du « tout enfermement », qui plus est dans des conditions peu respectueuses des droits de la personne humaine, vous fabriquez ces récidivistes et ces exclus que vous montrez ensuite du doigt.

Cette politique d’affichage a un prix. Le nouveau programme de 24 397 places qui est envisagé engagerait l’État dans un investissement de plus de 3 milliards d’euros. Au coût de la construction, il convient d’ajouter des frais de fonctionnement annuel évalués à 708 millions d’euros. Et il faut aussi y ajouter le coût du programme de 13 200 places lancé en 2002, toujours en cours.

Il convient de rappeler que la prison, tout en étant moins efficace dans la lutte contre la récidive, coûte bien plus cher au contribuable que les réponses pénales alternatives. Le coût d’une journée en prison est évalué à 84 euros, contre 27 euros pour une journée en placement extérieur.

Pour notre part, nous estimons qu’il est primordial d’utiliser une partie de cet argent pour remettre aux normes les établissements pénitentiaires existants, afin de les rendre conformes aux réglementations européennes.

Nous réaffirmons que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. Pour cela, la législation en matière pénitentiaire doit se fonder sur une approche éducative, sur la responsabilisation, ainsi que sur le respect des droits et de l’expression des détenus. C’est là le seul moyen efficace pour lutter contre la récidive.

Il nous semble absurde de se focaliser sur l’accroissement constant de places de prison, d’autant plus que les partenariats public-privé se multiplient. Cette privatisation des prisons est très coûteuse pour l’État. Les loyers versés dans le cadre de ces partenariats, que l’on retrouve dans les crédits de la mission « Justice », sont passés de 31 millions d’euros en 2009 à près de 60 millions en 2010. Lorsque la part prise par les loyers au sein des crédits de fonctionnement s’accroît, la marge diminue pour l’entretien des établissements pénitentiaires et d’autres dépenses, comme celles qui sont liées à la protection de la santé des détenus.

Le projet de loi tel que l’avait modifié le Sénat à rebours de votre politique, en concertation et avec l’accord des professionnels, visait à mettre un terme à l’accroissement continu du parc pénitentiaire. Ce texte progressiste et respectueux des droits des personnes détenues était sous-tendu par la conviction que, dans l’intérêt de tous, la peine d’emprisonnement doit se concevoir comme une sanction de dernier recours.

En rejetant quasi systématiquement les dispositions votées par le Sénat, vous restez, encore une fois, sourds aux alertes de l’Observatoire international des prisons, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et d’autres organisations reconnues, qui ont pourtant toutes exprimé leur accord avec notre position. Puisque vous faites le choix du refus du dialogue, nous ne pouvons que rejeter votre texte.

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