Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte est le reflet des valeurs délétères que vous entendez imposer à notre société

Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure (deuxième lecture) -

Par / 18 janvier 2011

Monsieur le ministre, à vous entendre, on croirait que rien ne va plus dans notre pays et, surtout, que vous n’y êtes pour rien !

Vous ne cessez, en effet, de nous assener que, si délinquance il y a, c’est parce que la gauche a été trop laxiste, voire angélique, tout en rejetant la faute sur « les complaisants », qu’ils soient de gauche, magistrats ou autres voyous en instance de « karcherisation ».

C’est à se demander, monsieur le ministre, qui a empilé, depuis bientôt dix ans, pléthore de textes répressifs d’inspiration sécuritaire à la tête du ministère de l’intérieur, puis de la présidence de la République, avec votre irréductible soutien.

Vous persistez néanmoins à nous conter que, si la France va mal, c’est à cause du mal national qu’est la « complaisance », théorie que vous tentez d’infuser dans les consciences pour justifier votre politique ultra-sécuritaire, dispendieuse, inefficace, et qui est un échec sur toute la ligne.

De cette complaisance, tous les acteurs publics et tous les partis politiques, excepté bien évidemment le vôtre et celui du Front national, auraient été coupables. Votre discours se synthétise aisément tant il multiplie les raccourcis.

Puisque les juges ne font pas leur travail, parce que trop complaisants, vous entendez l’effectuer à leur place en les cantonnant au rôle de simples exécutants.

Si le nombre de primo-délinquants augmente, c’est exclusivement la faute des parents, trop complaisants et n’assumant pas leurs responsabilités. Une telle situation n’aurait, selon vous, rien à voir avec la saignée opérée dans l’éducation nationale, qui a subi 66 000 suppressions de postes depuis 2007.

Vous incriminez donc les seuls parents : vous menacez de leur ôter leurs droits à prestations, en leur faisant signer des papiers contractualisant leur choix d’être parents. Au passage, vous rétablissez les maisons de correction, dénommées pudiquement « centres d’éducations fermés », car, si la France va mal, c’est sans doute aussi en raison de la perte de ce que l’on appelle les « valeurs d’antan »…

Mais ce sont là des valeurs contestables, aux relents souvent nauséabonds et xénophobes, que nous ne voulions plus voir à la tête de notre État, et pour cause.

Ainsi, toujours selon votre discours bien ancré, si le nombre de crimes et de délits augmente, c’est bien évidemment aussi la faute des étrangers, envers qui les dirigeants de gauche se sont montrés, encore une fois, trop complaisants.

Vous accusez les migrants de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui sont présumés, eux, en être naturellement imprégnés. Les autres doivent s’intégrer ; pis, ils doivent maintenant s’assimiler, selon ce nouveau vocable qui a eu un franc succès sur vos bancs à l’Assemblée nationale.

Et ce n’est pas fini ! Avec près de 12 000 suppressions de postes depuis 2002, la police est à bout de souffle. Dès lors, vous lui offrez quelques armes de nouvelle technologie et d’autres techniques d’investigation en pointe, vous jetez un peu de poudre aux yeux à la police scientifique et technique au bord de l’implosion, en mettant en place un fonds de soutien, lequel ne sera sans doute jamais alimenté, et vous décidez d’installer 60 000 caméras à l’appui de leurs investigations, et tout cela pour un taux d’élucidation allant aujourd’hui de 1 % à 3 %, monsieur le ministre !

Vos équations sont bien trop simplistes ; le compte n’y est pas. La théorie de la complaisance ne prend pas ! Vous semblez peu prompt à comprendre le sens de la politique : cette dernière doit être définie en vue de maintenir un équilibre social et non pas dans le but de le rompre pour mieux régner.

Poursuivant votre politique de division entre les fonctionnaires et les salariés du privé, entre la police et la population, entre les étrangers et les « bons Français », entre les bons habitants des quartiers populaires et les vils délinquants friands de hall d’immeubles, entre les chômeurs et les actifs, la France qui se lève tôt et les profiteurs qui se lèvent tard, vous cherchez maintenant à opposer le peuple à la justice, qui, selon vous, ne rend pas les bonnes décisions, ou plutôt celles que vous souhaitez qu’elle rende.

Les juges ne font qu’appliquer des principes généraux du droit, mais ne servent pas votre projet de société.

Ainsi entendez-vous juger à leur place, en soutenant des policiers reconnus coupables sur preuves de délits, pour mieux laisser place à la vindicte populaire, sous l’appellation de jury populaire. Le comble est que le Président de la République nous annonce qu’il entend par cette mesure vouloir rapprocher la justice du peuple !

M. Brice Hortefeux, ministre. Cela, c’est juste !

Mme Éliane Assassi. Sauf à vous montrer plaisantins, ce que je ne crois pas, nous nous demandons bien ce qui anime alors le dégraissage de la carte judiciaire, ce qui justifie ces déplacements des juridictions à la pelle dans des locaux inappropriés, dans des banlieues lointaines bien souvent fort mal desservies en termes de transports en commun. Ce faisant, vous ne faites que chasser le peuple que vous prétendez défendre.

Votre gouvernement nie le besoin social de justice en supprimant autant de barreaux de province que de banlieues, ce qui contraint la population à des déplacements parfois ubuesques.

Autant dire que tout cela est infiniment dangereux pour un État de droit. Il me semble utile, à moi aussi, de rappeler la déclaration récente du procureur Nadal, qui a été citée tout à l’heure : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».

Ces propos sont d’une honnêteté que vous devriez envier à leur auteur. Il ne devrait pas être permis d’agiter le code pénal avec si peu de délicatesse.

Pour notre part, nous ne sommes jamais tombés dans un laxisme qui nierait la réalité de la délinquance tant nous sommes attachés à l’idée de contrat social. Mais la guerre que vous engagez n’est pas la nôtre.

À l’occasion de l’examen du présent texte en première lecture dans cette même enceinte, en septembre dernier, vous aviez cité, lors de votre intervention dans la discussion générale, l’Étrange défaite de Marc* Bloch. À l’Assemblée nationale, on a entendu M. Ciotti déclarer que les mesures contenues dans ce projet de loi étaient nécessaires face à une évolution de la délinquance, « les délinquants usant de toutes les techniques pour s’opposer aux contraintes de la loi et aux moyens déployés par les forces de l’ordre » justifiant de « s’adapter pour pouvoir soutenir cette guerre de mouvement contre la délinquance ».

Au nom de la protection de la société contre ses « ennemis » présumés, les mesures dérogatoires au droit commun deviennent la norme, la surveillance et le contrôle social s’étendent massivement et l’objectif de réinsertion assigné à chaque peine disparaît. La question suivante se pose : l’état d’urgence serait-il décrété ?

Vous tentez de faire croire aux Français que votre guerre a été déclarée en leur nom et pour leur bien-être. Un tel argument est tout aussi virtuel que celui invoquant les délinquants « nouvelle génération » qui nécessiteraient que l’on mène « une guerre de mouvement ».

Vous vous efforcez constamment de commenter des faits divers, tous aussi horribles les uns que les autres. Vous légiférez sur ce fondement pour favoriser la confusion entre délits de droit commun et lourdes infractions.

Vous espérez de toutes ces tactiques d’amalgame qu’elles vous permettent non seulement d’entretenir l’hostilité des milieux populaires contre cette catégorie de délinquance, mais aussi de rendre le durcissement de la politique de répression acceptable.

Cependant, nos concitoyens ne sont pas dupes, et nous non plus !

Cette dénonciation constante de la délinquance du petit peuple vous est sans doute bien utile pour masquer la délinquance de la classe dominante. En attestent la dépénalisation du droit des affaires, comme l’abus de bien public. Les sondages le montrent : celui qui a été publié récemment par le Journal du Dimanche est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il affirmait qu’Eric Woerth était la personnalité politique préférée des Français. Cherchez l’erreur !

Le Front national a usé de la même stratégie de détournement ce week-end, en espérant nous faire croire, dans un but de communication politique et d’électoralisme primaire, qu’il était exorcisé de ses vieux démons.

Ainsi, de la même façon que vous avez repris la théorie de la complaisance à votre compte, ce parti reprend le discours populiste au ton artificiellement ouvriériste tenu par Nicolas Sarkozy en 2007. C’est une belle gageure à deux temps qui nous confirme que vous êtes avec eux, tandis que nous, nous sommes contre eux et contre vous.

Cela dit, il est vrai qu’une guerre de mouvement suppose théoriquement une infanterie légère. C’est précisément sur ce point-là que cette comparaison trouverait un sens.

Malgré le ton et la philosophie martiales du texte, qui soulignent les menaces en tous genres pour justifier l’incohérence des mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la révision générale des politiques publiques.

Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmes supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier, bien évidemment, le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui supprime encore plus de 50 000 postes.

La réduction des budgets de fonctionnement, la baisse des effectifs de la police nationale au profit des polices municipales ou de sociétés de sécurité privées ne se conjuguent que pour aggraver l’insécurité.

La police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas. Il s’agit d’un choix de société, car seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique en chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches ou municipalités pauvres.

Or on compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Leur effectif a donc connu une augmentation de 120 % en six ans, à la charge des collectivités, dont les dotations financières, je le rappelle, sont gelées pour les trois ans à venir.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Vous appelez cela du partenariat ; visiblement, nous ne donnons pas le même sens à ce mot…

Cette externalisation se poursuit sans relâche au profit des sociétés de sécurité privées, vaguement encadrées par un Conseil national des activités privées de sécurité, dont nous refusons pour notre part la création.

Il y a aujourd’hui 170 000 agents de sécurité pour 220 000 policiers et gendarmes. Cette substitution dramatique se justifierait par des économies budgétaires.

Lorsque l’on sait ce que coûteront l’installation de 60 000 caméras et les frais de personnel qui y sont liés – raison pour laquelle, d’ailleurs, vous proposez de mettre à contribution les opérateurs privés pour le visionnage des images –, autant dire que ces arguments financiers ne tiennent définitivement pas la route.

Il est vrai que les services de ces prestataires privés coûtent trois fois moins cher, à la différence notable qu’ils sont moins bien formés et que la seule éthique de ces entreprises est le profit et non l’intérêt général, celui-là même dont vous êtes censé être le garant.

Le présent texte demeure cet agrégat hétéroclite de dispositions techniques ou vaste « fourre-tout » législatif, et sa philosophie reste la même. Il est le reflet de valeurs délétères que vous entendez imposer à notre société et qui s’articulent autour de la répression, de l’exclusion, du contrôle fiché ou filmé et de l’enfermement.

Pour notre part, monsieur le ministre, nous considérons que la sécurité est une question transversale qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics, que ce soient la police, la justice, l’éducation. Autrement dit, notre position est aux antipodes de la politique réactionnaire et répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les nombreux échecs par lesquels elle se solde.

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