Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Modernisation des institutions de la Vème République, deuxième lecture

Par / 15 juillet 2008

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de faire quelques observations liminaires sur les conditions d’examen en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Nous sommes donc à moins d’une semaine du Congrès. Cette situation conduit par conséquent le Sénat à devoir adopter conforme les dispositions résultant des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, privant ainsi le Parlement d’une troisième lecture. Celle-ci n’aurait pourtant pas été un luxe compte tenu, d’une part, de l’importance de la présente réforme et, d’autre part, des divergences apparues au cours des débats, non seulement entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais également entre parlementaires au sein même de l’UMP.

C’est là une bien curieuse conception du renforcement des droits du Parlement, d’autant que nous avons déjà eu affaire à un examen marathon de ce texte dont la discussion va s’achever en pleine session extraordinaire. Marathon qui continue avec cette deuxième lecture que vous voulez rapide. J’en veux pour preuve les deux petites heures qui seront consacrées aujourd’hui à la discussion générale.

J’ai donc du mal à percevoir un début de renforcement des droits du Parlement. C’est en tout état de cause ce que je vais tenter de démontrer. Mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat abordera, quant à elle, les autres aspects du présent texte en défendant tout à l’heure la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Ce projet de loi constitutionnelle que vous essayez de vendre à tout prix comme tendant à restaurer les droits du Parlement et à brider l’exécutif va précisément dans le sens inverse, c’est-à-dire vers une présidentialisation, voire une hyperprésidentialisation de notre régime. En l’occurrence, c’est peu de dire qu’il y a véritablement tromperie sur la marchandise.

Le chef de l’État, votre gouvernement, accompagnés par des parlementaires de l’UMP, n’hésitent pas à communiquer sur le sujet pour convaincre des bienfaits de leur réforme.

Ensemble, vous n’hésitez pas non plus, afin d’atteindre les trois cinquièmes des voix au Congrès - ce qui n’est pas encore totalement acquis -, à manier la carotte et le bâton à l’égard tant de la majorité parlementaire que de l’opposition, menaçant ceux qui s’apprêteraient à voter contre la réforme au Congrès d’un redécoupage électoral défavorable et récompensant ceux qui voteront pour en les exonérant d’un tel redécoupage.

De son côté, M. Accoyer, pour que la réforme soit votée au Congrès, n’hésite pas à faire miroiter aux groupes minoritaires et d’opposition l’octroi de droits spécifiques comme la possibilité d’obtenir la création de commissions d’enquête parlementaire et de missions d’information, d’un temps de parole égal entre majorité et opposition lors des questions au Gouvernement, de postes de présidents et de rapporteurs des commissions et même de moyens proportionnellement plus importants.

Il va sans dire que les élus de mon groupe rejettent ces gesticulations, qui ne prennent pas le chemin de ce que certains appellent un « compromis historique », mais qui illustrent plutôt une certaine fébrilité dans les rangs de la majorité à quelques jours du Congrès.

Pour en venir au texte, je ferai ici trois observations principales.

En premier lieu, comment pouvez-vous affirmer que votre texte restaure les droits du Parlement, alors qu’il prévoit précisément de réduire le droit d’amendement ainsi que la séance publique ? Car derrière la valorisation du travail en commission que vous mettez en exergue dans votre texte se cache une réalité moins avouable !

Loin de moi l’idée de nier l’importance du travail en commission, qui permet - j’en suis consciente - à la fois de préparer la séance publique et d’approfondir les sujets abordés.

Permettez-moi toutefois d’y mettre un bémol. Je considère en effet que le travail en commission ne doit pas se substituer à la séance publique, laquelle doit rester le lieu naturel du débat d’idées, du débat politique, dans la plus grande transparence.

Par conséquent, je suis fermement opposée à ce que, demain, la discussion en séance publique porte sur le texte tel qu’élaboré en commission, et non plus sur le texte tel que déposé par le Gouvernement.

Cette disposition ne constitue pas une avancée démocratique. Bien au contraire, elle tend même à renforcer le bipartisme et le fait majoritaire, puisque les petits groupes pèsent peu en commission par rapport aux groupes importants qui peuvent assurer une présence importante et constante dans ces réunions. Le pluralisme ne sera donc plus garanti.

De plus, la transparence du débat parlementaire sera quant à elle mise en cause, puisque les débats en commission ne sont pas publics : point de journalistes, point de citoyens à l’écoute. C’est la porte grande ouverte au lobbying, à l’instar de ce qui se passe dans les commissions au Parlement européen.

Enfin, c’est une atteinte au droit d’amendement, car le fait majoritaire sera de mise dès la commission. Cette attaque en règle contre le droit d’amendement ne s’arrête pas là ! On la retrouve également à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle qui dispose : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission ». Une telle rédaction vous permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnelle qui date de 1990 et qui garantit à chaque parlementaire le droit d’amender un texte en séance publique.

Pour être claire, vous voulez ériger la procédure simplifiée qui s’applique actuellement, notamment aux conventions internationales, en règle générale applicable à tous les textes, supprimant de fait le droit d’amendement des parlementaires en séance publique.

L’article 19, que les députés ont souhaité rétablir en deuxième lecture, constitue, lui aussi, une remise en cause du droit d’amendement des parlementaires. En effet, en inscrivant directement dans la Constitution les conditions de recevabilité des amendements en première lecture, cette disposition va au-delà de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui exige actuellement que les amendements ne soient « pas dépourvus de tout lien » avec l’objet du texte.

Le droit d’amendement est par ailleurs également malmené avec l’instauration d’un véritable « 49-3 parlementaire ». En effet, il est prévu - cela a été détaillé par le Comité Balladur et confirmé par le Gouvernement et sa majorité parlementaire - que la conférence des présidents, donc la majorité soumise au chef de l’État, fixera une durée maximale pour les débats comprenant et la discussion générale et l’examen des articles.

Ce dispositif va agir comme un couperet sur le mode de l’article 49-3 tel que nous le connaissons : dès que la durée globale du débat qui aura été décidée par la conférence des présidents aura été atteinte, la discussion s’arrêtera, et ce quel que soit l’état d’avancement de l’examen des articles, donc des amendements. Cela revient, de fait, à limiter l’exercice par les parlementaires de leur droit d’amendement.

En deuxième lieu, comment pouvez-vous dire que votre réforme va rehausser les droits du Parlement alors que les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour prévoient de placer la conférence des présidents à la botte du pouvoir exécutif ? Là encore, il s’agit de réduire la séance publique réservée au travail législatif, toujours dans l’optique de favoriser le travail en commission.

Alors que faire la loi constitue la prérogative essentielle des parlementaires, on assiste aujourd’hui, avec votre projet de loi, à la mise à mort de ce principe qui existe depuis la Révolution française. Votre texte prévoit ainsi que quinze jours seraient dédiés à l’examen des projets de loi et à des débats thématiques. Une semaine serait consacrée au contrôle. L’opposition disposerait d’une journée de séance par mois pour s’exprimer.

Nous considérons, pour notre part, que le Parlement doit être complètement maître de son ordre du jour et qu’il doit pouvoir décider du nombre de séances qu’il souhaite consacrer au travail législatif.

En dernier lieu, comment pouvez-vous prétendre que les droits du Parlement vont être renforcés alors que l’usage du 49-3, contrairement à ce que vous prétendez, ne sera pas limité ?

Votre texte, en inscrivant dans la Constitution que le 49-3 ne sera jamais utilisé plus de trois fois dans l’année, n’a rien d’innovant ni de révolutionnaire : il ne fait qu’entériner ce qui se passe déjà dans la pratique, c’est-à-dire une fois pour le projet de loi de finances, une fois pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale et une fois sur un autre texte. Le 49-3 est donc toujours là !

Les critiques que je viens de formuler ne sont bien évidemment pas exhaustives ; elles ont pour objet de démontrer que ce que vous prétendez être des avancées ne le sont pas, en réalité.

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce texte, mais le temps me manque. En tout état de cause, ce qui est sûr, c’est que les conséquences de cette réforme seront catastrophiques à bien des égards : bipartisme renforcé, démocratie bafouée, hyper présidentialisation du régime...

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au contraire, nous avons évité ces périls !

Mme Éliane Assassi. Cette réforme a été faite - et cela a été dit dans l’hémicycle par un membre non pas de l’opposition, mais de la majorité - sur mesure pour un seul homme, le Président de la République, qui ne se contente pas d’être omniprésent dans les médias : il veut absolument pouvoir prendre la parole devant les parlementaires.

On se dirige tout droit vers un régime présidentialiste à la française. Cette évolution de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel a été renforcée avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

La présente réforme tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire qui lui est toute dévouée.

On comprend mieux ici pourquoi le pouvoir en place s’obstine à refuser tout changement du mode d’élection des sénateurs : cela lui permet de conserver la maîtrise du Sénat, quelle que soit la réalité politique du pays, pour faire passer ses réformes les plus antisociales, notamment. On comprend aussi pourquoi vous avez refusé d’introduire une dose de proportionnelle dans le mode d’élection des députés.

L’objectif est d’aller vite, très vite, en abrégeant les débats parlementaires, en réduisant le droit d’amendement, en bafouant le rôle des parlementaires, en s’asseyant sur la démocratie, en quelque sorte. Comment, dans ces conditions, espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? La démocratie participative est au point mort !

La procédure d’urgence, que vous déclarez quasiment sur tous les textes, ne vous suffit plus : vous voulez maintenant, outre diminuer le nombre de lectures dans les assemblées, réduire également la durée des débats parlementaires en séance publique. Ce faisant, c’est surtout la minorité qui est ainsi réduite au silence.

Faut-il rappeler que le bâillon que vous voulez imposer aux parlementaires avec cette réforme se surajoute aux procédures existantes comme, notamment, l’article 38 sur les ordonnances, le fameux article 40, ou encore le vote bloqué, procédures qui contribuent déjà à faire taire les parlementaires ?

Car vous avez conscience que le temps du débat parlementaire, en séance publique et lors des différentes lectures, peut être mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les méfaits de tel ou tel projet de loi, opinion publique qui peut alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfaste.

M. Patrice Gélard. Qui suit encore les débats parlementaires ?

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si depuis 2002 tous les mauvais coups que vous portez sont inscrits à l’ordre du jour du Parlement en session extraordinaire, au cœur de l’été, au moment où les Français sont en congés.

La démocratie, qui aurait dû être au centre de la modernisation de nos institutions, n’a rien à gagner avec cette réforme ; elle ne sort pas renforcée de nos débats. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous avez soumis le texte non pas au référendum, mais au Parlement réuni en Congrès.

Vous l’aurez compris, nous nous opposons fermement à votre réforme et voterons contre, ici et à Versailles.

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