Tout converge vers une moindre protection des salariés

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte n’est intitulé projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi que dans le but de faire croire aux salariés que l’emploi, leur emploi, sera sécurisé. En réalité, aucun de ses articles n’est contraignant et aucune de ses dispositions ne limite la capacité des patrons à disposer librement d’eux ou n’empêche leur licenciement.

En fait, la sécurisation dont il est question ici n’est que le renforcement de la « sécurité juridique des relations de travail ».

Dans une étude de la Revue de droit du travail consacrée à l’ANI, M. Pascal Lokiec constatait : « La sécurité qui est ici visée renvoie plus certainement à la volonté des employeurs d’éviter de voir les mesures de gestion remises en cause pour des raisons tenant à la forme ». L’objectif est donc bien de réduire les contentieux pour réduire les indemnités dues aux salariés par les employeurs.

C’est ainsi que l’ANI, comme le projet de loi, a considérablement simplifié la procédure des licenciements collectifs pour motif économique, au point de supprimer l’exigence d’un motif économique réel et sérieux.

Il suffira en effet qu’un salarié s’oppose à une modification majeure de son contrat de travail pour que son refus vaille licenciement, un licenciement présumé économique. Or, en droit, une présomption ne constitue pas un fondement juridique.

Le document d’orientation du mois de septembre 2012 invitait les partenaires sociaux à « améliorer les procédures de licenciements collectifs » pour « concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises ».

À lire le projet de loi, on constate aisément que cet objectif, que nous étions prêts à soutenir, a vite été contourné par le MEDEF, avec l’accord tacite du Gouvernement.

On s’aperçoit également que, à l’opposé des principes définis dans la lettre de cadrage, vous avez considérablement réformé « la procédure de licenciement collectif, au nom de la sécurisation juridique » et « le champ d’application du licenciement économique, au nom de la sécurisation de l’emploi », pour reprendre une formule d’Alexandre Fabre. Ce juriste concluait d’ailleurs : « À l’issue de ce tour d’horizon, un sentiment l’emporte. À l’exception de l’homologation du PSE, l’ANI donne l’impression d’avoir surtout contribué au développement d’un droit négocié des restructurations. »

Cette volonté de remplacer autant que possible la loi par la négociation, les protections collectives par des protections négociées, donc moins stables, est une vieille exigence patronale. Les dirigeants d’entreprises cherchent depuis des années à contourner les règles communes aux salariés contenues dans le code du travail.

De l’inversion de la hiérarchie des normes à la suppression du principe de faveur, en passant par les accords de méthode et autres accords dérogatoires, tout converge vers l’amoindrissement des protections des salariés.

Cette loi ne fera pas exception : chaque entreprise aura le droit du travail que les organisations syndicales auront réussi à obtenir. On assiste en effet à l’éclosion de plusieurs corps de règles alternatifs, doublée d’une aggravation de l’écart entre ceux qui pourront encore bénéficier de la protection de la loi et ceux qui n’auront d’autre choix que d’abdiquer face à un « droit maison » fabriqué par le patron lui-même.

Qu’importe qu’en période de crise les salariés et leurs représentants soient affaiblis et que le rapport de force leur soit défavorable ! Ce qui compte, c’est d’avoir donné aux patrons la possibilité de contourner le code du travail, qu’ils considèrent comme une entrave trop importante.

Contrairement à ce que certains voudraient faire accroire ici, le remplacement de la loi par le contrat n’est pas le seul fait de la négociation du 11 janvier 2013.

C’est une construction ancienne, d’inspiration libérale, que le Président de la République a lui-même faite sienne, et cela depuis des années. Contrairement à l’article 34 de notre Constitution, aux termes duquel la loi « détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », François Hollande, dans un article du Monde du 14 juin 2011, proposait en effet de donner force de loi aux contrats conclus sous certaines conditions par les partenaires sociaux.

Ces déclarations d’hier prennent forme aujourd’hui et réjouissent naturellement le patronat, pour qui les dispositions d’ordre public, comme toutes les lois, portent « atteinte au dialogue social ».

Face aux appétits démesurés des actionnaires, qui exigent toujours plus de dividendes, face à la gestion court-termiste des dirigeants d’entreprise pour accroître la rentabilité, nous reprenons à notre compte les propos de Gérard Filoche, pour qui, compte tenu des rapports de force dans l’entreprise, il faut « autant de contrat que possible mais autant de loi que nécessaire ».

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