Ce texte laisse sur sa faim, malgré quelques avancées

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la protection des enfants, notre groupe a rappelé les fortes attentes qu’il suscitait : attentes du côté des enfants placés à l’aide sociale à l’enfance tout d’abord, qui aspirent à un statut social et à un accompagnement jusqu’à l’âge de 25 ans ; attentes du côté des personnels de la protection de l’enfance, des professionnels des centres de protection maternelle infantile et des centres médico-psychopédagogiques, des acteurs de la justice des mineurs ensuite, qui, tous, revendiquent des moyens supplémentaires et une revalorisation de leurs métiers.

Face à autant d’attentes, il était sans doute difficile de satisfaire tout le monde, mais, faute de répondre à l’ensemble des revendications, tous resteront sur leur faim.

L’accord trouvé en commission mixte paritaire sur les quarante-trois articles restant en discussion permet des progrès. Je pense notamment au renforcement des contrôles des antécédents judiciaires du personnel social et médicosocial, à la revalorisation des rémunérations des assistants familiaux, à l’attribution prioritaire d’un logement social aux mineurs de l’ASE ou à la possibilité de désigner un avocat pour les enfants capables de discernement.

Ces progrès demeurent toutefois très relatifs au regard des préoccupations des acteurs de terrain, d’autant que ce texte entérine des reculs, notamment par rapport à la loi de 2016.

C’est tout d’abord le cas à l’article 1er. De nombreux pédopsychiatres, notamment l’Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile (API), nous ont alertés sur le danger de privilégier la famille comme lieu d’accueil. Pour eux, il s’agit d’une lourde erreur d’appréciation sur les conséquences pour les enfants placés et, en réalité, une façon de pallier le manque d’assistants familiaux.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Ce que vous dites est indigne !

Mme Laurence Cohen. De même, le projet de loi prévoit d’interdire le placement des jeunes de l’ASE à l’hôtel, tout en laissant aux départements la possibilité d’y avoir recours en cas d’urgence. Malheureusement, on sait que l’urgence est la norme.

C’est le « en même temps » appliqué à la protection des enfants !

L’hôtel est inadapté pour des mineurs, maltraitant et source de dangers, nous en sommes tous convenus.

De même, monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous, d’un côté, déclarer que, « ce qui compte, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant » et, de l’autre, vous féliciter d’un renforcement de l’accompagnement des jeunes majeurs à hauteur de 50 millions d’euros ?

Lors de l’examen de ce texte en séance publique, vous avez précisé qu’il s’agissait de 50 millions d’euros pour dix départements. Je sais que vous avez bataillé pour y parvenir, mais c’est bien peu au bout du compte.

Le 3 janvier dernier, vous avez participé à l’inauguration de la nouvelle maison départementale de l’enfance de Cergy, qui accueillera soixante-dix enfants. Ce nouveau site a nécessité un investissement de 13 millions d’euros.

Si l’on s’en tient aux 50 millions d’euros pour dix départements que vous avez évoqués, cela signifie que l’État s’engage à cofinancer l’équivalent de huit maisons départementales de l’enfance, soit l’accueil de 400 enfants supplémentaires, alors que l’on compte en France 350 000 enfants relevant de l’ASE.

Monsieur le secrétaire d’État, nous voyons clairement l’écart considérable entre les arbitrages de Bercy et la réalité des besoins.

Une autre question concerne vos propositions pour lutter contre les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance.

Plutôt que de garantir l’accès aux contrats jeunes majeurs à tous les jeunes majeurs de moins de 21 ans, le Gouvernement préfère étendre des dispositifs d’aide qui ne sont pas adaptés. Pour notre part, nous sommes favorables à la création d’un statut social pour les jeunes majeurs de 18 à 25 ans.

Nous regrettons également que l’article 2 quinquies relatif à l’autorité parentale en cas de violence ait été supprimé.

Par ailleurs, l’article 11 permettant aux assistants familiaux de travailler jusqu’à 70 ans nous inquiète. Il vise en fait à combler une pénurie, alors qu’il aurait fallu renforcer l’attractivité de cette profession.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Et s’ils le souhaitent ?

Mme Laurence Cohen. De même, nous ne sommes pas certains que la nouvelle gouvernance, sans moyens supplémentaires, révolutionne le système...

J’en viens enfin aux articles 14 bis, 15 et 15 bis relatifs aux mineurs non accompagnés. Nous sommes toujours choqués par le maintien dans le texte de dispositions qui sont sans rapport avec la protection des enfants, mais qui concernent plutôt la politique migratoire.

Nous maintenons notre opposition aux tests osseux pour évaluer la minorité des enfants et le fichage automatique des enfants par les départements. Cette confusion entre politique migratoire, protection des enfants et contrôle de l’ordre public porte préjudice à l’image de la France, terre d’asile et d’immigration.

Malgré les quelques avancées que j’ai soulignées, qui nous semblent toutefois encore timides, vous restez en quelque sorte au milieu du gué, monsieur le secrétaire d’État. Et que dire des articles que je viens de dénoncer ?

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte, comme nous l’avons fait en première lecture.

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