Une levée de boucliers justifiée contre un projet libéral et autoritaire

Le Gouvernement impose par ordonnance une réforme de la haute fonction publique après y avoir été habilité par la loi de transformation de la fonction publique de 2019. L’ordonnance comme la loi mère est rejetée par l’ensemble des syndicats de la fonction publique. De tels enjeux ne devraient pas être décidés dans l’entre-soi gouvernemental, mais bien lors d’un vrai débat et examen parlementaire. Réformer la haute fonction publique implique des changements institutionnels affectant profondément le fonctionnement de l’Etat.

A notre opposition de forme s’ajoute une opposition de fond au projet gouvernemental. Le remplacement de l’ENA par l’Institut national de service public cache derrière les arguments démagogues de la ministre Amélie de Montchalin une centralisation, une privatisation et une mainmise politique contraires aux piliers de notre fonction publique.

La suppression des grands corps au profit d’une formation commune et du nouveau corps des administrateurs d’Etat fait disparaître la logique de corps au profit de la logique de métier. Le statut y est de nouveau attaqué et les points d’entrée prévus par la réforme permettront l’accès de personnes du privé à la haute fonction publique. Le périmètre des emplois sur lesquels les agents sont aujourd’hui nommés pour une durée limitée et par la voie du détachement serait également étendu dans un but de fonctionnalisation.

Il est prévu que pour « l’encadrement supérieur » (nouveau concept), le Premier ministre édicte des lignes directrices de gestion déterminantes dans la gestion des emplois et compétences, des promotions ou encore de la mobilité. Les ministères ne seront plus libres dans le cadre de leur département, et Matignon dictera un cadre général et des contraintes dans le choix des autorités de nomination.

Concernant le corps préfectoral qui sera remplacé par un « statut d’emploi », le Gouvernement prévoit la possibilité pour un tel statut de déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique, comme le droit de faire grève.

La logique libérale imprégnant cette ordonnance inquiète l’ensemble des acteurs intéressés et organisations syndicales quant aux conséquences néfastes pour l’indépendance, l’impartialité et la neutralité de la fonction publique. Le Conseil d’Etat a proposé la réécriture de tout un passage afin de renforcer des garanties mais le Gouvernement n’en a guère tenu compte. De nombreux anciens élèves de l’ENA et hauts fonctionnaires s’insurgent du danger que représente cette réforme pour nos institutions en permettant des recrutements discrétionnaires, révélant la volonté centralisatrice du Gouvernement dans la gestion de notre haute fonction publique.

En ce qui concerne les arguments gouvernementaux sur l’amélioration de l’égalité des chances dans la fonction publique, les nouveaux dispositifs proposés sont largement insuffisants et encore une fois entourés d’incertitudes. La logique individualiste de compétition entre les élèves demeure. A contrario des ambitions affichées, la Commission supérieure du Conseil d’Etat estime que la multiplication des voies de recrutement se ferait au détriment de l’objectif de diversification et critique un véritable « parcours d’obstacles » qui entretiendra le risque de sélection et d’inégalités.

Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE rejoignent ces critiques et s’opposent à la volonté – qui n’est pas nouvelle – de substituer au statut de fonctionnaire une contractualisation et une logique de management dans le service public. Le contenu de cette réforme se déclinera dans des décrets d’application qui retiendront toute notre vigilance. Alors que le statut garantit la prise en charge démocratique de l’intérêt général, le principe d’une fonction publique d’emploi s’inspire du privé et affaiblit notre fonction publique, assaillie de toute part tant statutairement que financièrement.

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