Comment osez-vous parler de shopping de l’asile ?

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis intervenue récemment en faveur d’un jeune homme originaire du Darfour, au Soudan, pays qu’il avait fui à l’âge de douze ans avec sa famille. Après avoir passé plusieurs années dans un camp du HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, au Tchad, Abdel avait rejoint l’Europe par l’île de Lampedusa avant d’arriver en France. Quelques mois plus tard, en vertu du règlement de Dublin, il fut reconduit en Italie, où on lui signifia une interdiction du territoire. Il revint donc en France.

Durant ce douloureux parcours, marqué par la guerre et l’exil, Abdel n’a jamais été en mesure de formuler une demande d’asile, que ce soit en Italie ou en France. Cette situation est loin d’être unique, vous le savez bien. Elle vient toutefois illustrer sans ambiguïté la nécessité, si l’on veut que le droit d’asile ait encore un sens, de revenir sur le règlement de Dublin.

L’Union européenne ne s’y est pas trompée, et la Commission européenne s’est attelée à la refonte de ce règlement qui détermine l’État membre responsable de l’instruction d’une demande d’asile.

En France, le Parlement examine en ce moment le projet de loi Asile et immigration, sans aucune considération pour les négociations et travaux en cours au niveau européen.

M. Roger Karoutchi. Si !

Mme Esther Benbassa. Ma question est simple : de quelle manière le Gouvernement compte-t-il peser ? Quelles positions a-t-il l’intention de défendre au niveau européen, afin de rendre, comme il prétend le souhaiter, le droit d’asile effectif en France et sur le territoire européen ? Car la loi nationale s’adresse surtout aux futurs électeurs, en vue des prochaines élections !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Benbassa, vous aurez tout loisir d’évoquer le projet de loi Asile et immigration avec le ministre d’État, lorsqu’il sera examiné par la Haute Assemblée. On peut tout dire de ce projet de loi, sauf qu’il répond à des préoccupations électoralistes ! Il s’agit d’améliorer la situation à laquelle nous sommes confrontés : nous n’accueillons pas dignement les demandeurs d’asile et ne raccompagnons pas de manière efficace les migrants illégaux qui se trouvent sur notre territoire. C’est donc tout sauf un projet de loi démagogique !

Le règlement de Dublin a été adopté avant la vague migratoire de 2015. À l’évidence, cette dernière a mis en difficulté les pays de première entrée, qui se sont trouvés confrontés à un très grand nombre de demandeurs d’asile, mais de nombreux migrants, comme, probablement, le jeune homme que vous venez d’évoquer, n’ont pas souhaité demander l’asile dans le pays dans lequel ils sont entrés.

Madame, vous levez les yeux au ciel, mais lorsqu’on arrive du Soudan du Sud, on peut décider de faire du shopping de l’asile, et trouver qu’on est mieux en Suède qu’en Italie ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Esther Benbassa. Comment osez-vous utiliser ce mot ?

M. Jean-Yves Leconte. Donc, tout le monde doit faire sa demande en Italie ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je suis allée au Soudan du Sud, et je vous invite à faire la différence entre ces pays et les pays européens. Et je ne considère pas que l’Italie soit un pays où il ne serait pas normal de demander l’asile.

Nous le constatons, les pays de première entrée ont laissé passer beaucoup de monde. Quant aux autres pays de l’Union européenne, ils n’ont pas témoigné d’une solidarité suffisante. Je prendrai pour exemple certains pays situés à l’est de l’Europe, qui ont décidé qu’ils n’accueilleraient aucun demandeur d’asile, malgré des décisions du Conseil européen et de la Cour de justice de l’Union européenne.

Aujourd’hui, il faut renforcer la responsabilité des pays par lesquels les demandeurs d’asile entrent dans l’espace européen et la solidarité de l’ensemble de l’espace européen. De ce point de vue, la présidence bulgare du Conseil de l’Union européenne a fait une proposition que nous soutenons : il s’agit de traiter la situation, soit lorsqu’elle est normale, soit lorsqu’une crise migratoire commence, soit lorsque cette crise s’aggrave, avec des obligations de solidarité différentes à l’égard des États de première entrée, qu’il s’agisse d’une solidarité financière, en expertise ou en matière de relocalisation, volontaire ou obligatoire lorsque la crise s’aggrave.

Aujourd’hui, l’Italie n’a pas un gouvernement en mesure de défendre une position. Nous attendons avec impatience la formation d’un nouveau gouvernement italien, pour essayer d’avancer sur une rénovation du règlement de Dublin.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Madame la ministre, vous êtes toujours dans la rhétorique, ce qui confirme mon sentiment : il y a non seulement une crise humanitaire, mais aussi, et surtout, une crise de l’accueil. Vous venez d’en donner l’exemple, en parlant, qui plus est, de « shopping » ! Mais comment pouvez-vous utiliser ce mot, pour évoquer la situation de gens qui sont dans la misère, l’anxiété et le dénuement ?

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