Les débats

Une mission inopportune et qui alimente les amalgames

Place et financement de l’islam en France -

Par / 19 octobre 2016

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un communiqué du 16 décembre 2015, mon groupe avait annoncé sa volonté de ne pas participer à cette mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte.

Nous avions indiqué alors – les terribles attentats de Paris avaient eu lieu un mois auparavant – que cette initiative alimenterait les amalgames et la stigmatisation à l’égard des musulmans, de la population originaire, sur une ou plusieurs générations, de pays où se pratique de manière majoritaire la religion musulmane. Nous avions jugé cette mission inopportune, jugement que nous continuons à porter.

Je regrette d’ailleurs, madame la présidente, madame la rapporteur, monsieur le corapporteur, que notre refus de participer à cette mission n’ait été évoqué dans le rapport écrit, enregistré le 5 juillet dernier, qu’au travers d’une seule phrase ne faisant pas état des raisons motivant notre désaccord.

L’intitulé de votre mission n’était pas complètement assumé puisque le titre qui figure sur le document que vous publiez est le suivant : De l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés.

D’emblée, je tiens à rappeler que l’attentat de Charlie Hebdo, ceux de Paris, celui de Saint-Denis et celui de Nice, ainsi que l’assassinat du prêtre Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, sont avant tout des actes politiques s’appuyant sur une perception déformée et primaire de l’islam.

L’immense majorité des musulmans, des femmes et des hommes pratiquant cette religion, a été horrifiée par le déchaînement aveugle de la violence commise en leur nom.

Bien entendu, il faut dénoncer ce détournement de la religion, celui d’une religion qui justifierait la barbarie. Mais il est, me semble-t-il, de notre devoir de parlementaires, dans une période de tensions extrêmement fortes au sein de notre société, à une époque où les haines sont attisées, de rappeler les faits et la vérité, et de ne pas jeter l’opprobre sur des milliers de personnes, des citoyens français pour l’essentiel.

Notre rôle est d’aider à rassembler, à panser les plaies et, bien entendu, à prendre les mesures pour que de tels actes ne se reproduisent plus.

Or ces mesures pour empêcher de nouveaux attentats ne passeront certainement pas par l’éventuelle taxation des produits halal ou par l’existence ou non d’un enseignement privé lié à l’islam.

J’ai personnellement combattu depuis le début de mon engagement politique le prosélytisme de quelque religion qu’il provienne. J’ai toujours fait de la défense de la laïcité l’une de mes premières priorités. Mais qu’entend-on par laïcité ? Le rejet de l’autre, de toute croyance non conforme à une vision caricaturale, déformée de la République, qui placerait les attaches à une hypothétique communauté judéo-chrétienne comme point de repère de la laïcité ?

Pour moi, la laïcité comprend trois dimensions : la liberté de conscience, la liberté des droits et la souveraineté du peuple. Oui, la laïcité est un principe émancipateur. La souveraineté réside dans le peuple et elle ne peut être accaparée par aucune fraction, autorité, entité extérieure ou autorité dite supérieure. L’idée primordiale selon laquelle la laïcité est non pas la seule interdiction d’une attitude religieuse donnée, mais un principe démocratique qui fonde le gouvernement du peuple par le peuple doit être rappelée, car elle souligne l’aspect réducteur et parcellaire du rapport de cette mission d’information. (Mme le rapporteur s’exclame.)

Dans cette frénésie qui saisit une certaine sphère médiatico-politique, de M. Zemmour à M. de Villiers, en passant par des gens plus présentables, ou presque, comme Mme Morano ou M. Wauquiez, l’islam radical, ce concept politique qui oublie presque ses racines religieuses, comme le souligne la volonté de rébellion des jeunes radicalisés, est confondu ou amalgamé avec l’islam, la religion.

Un débat public peut exister, il doit même exister, sur la religion, sur sa pratique. Je vous le dis : les prières de rue ne sont pas plus ma tasse de thé, si je puis me permettre cette expression, que les longues prières des « veilleurs » lors de certaines manifestations voilà deux ans.

Je ne peux cependant accepter cette attitude de la mission internationale d’investigation dans l’organisation d’une religion, qui mélange allègrement de vraies questions telles que le financement des mosquées et des imams par l’Arabie saoudite, mais oublie que la place faite par les gouvernements successifs à cet État dans notre économie l’encourage certainement à intervenir dans le débat religieux de notre pays !

Certes, la vision expansionniste sur le plan idéologique des autocrates du Golfe est un vrai sujet de débat. Mais fallait-il mélanger une telle thématique avec celle, par exemple, de la production halal ?

Pourquoi votre rapport ne met-il pas en lumière que parmi ces personnes, que l’on désigne comme d’origine maghrébine ou turque, seulement 59 % s’affirment de confession musulmane ? Qui plus est, l’éventail de leur pratique religieuse est large puisqu’elle va de la simple célébration du ramadan aux pratiques quotidiennes.

Votre rapport donne des chiffres qui montrent que la religion n’occupe pas une place aussi importante qu’on le dit parmi ceux que l’on désigne depuis quelques années seulement comme les « musulmans ».

Ce débat révèle l’intrusion du religieux, de tout le religieux, dans le débat politique. Tout le monde a pu constater cette évolution durant le mandat de Nicolas Sarkozy. Je regrette que François Hollande, qui entretient la confusion, en particulier dans le dernier livre dont il est beaucoup question ces derniers temps, n’ait pas voulu y mettre un terme.

Le rapport n’apporte rien de nouveau et n’aurait pu, s’il avait eu de l’écho, qu’accroître les tensions et renforcer les plus radicaux dans la conviction qui est la leur de participer à une guerre de religion. Bien entendu, il ne dit pas un mot sur la raison profonde conduisant certains jeunes à envisager de se réfugier dans une conception extrémiste de la religion. Vous savez tous que je suis attachée à l’analyse des causes d’un tel phénomène, à savoir la crise et la discrimination répétée.

Pas un mot n’est dit non plus de la surpopulation carcérale, des inégalités face à la justice et de la mise en contact avec certains éléments, qui aurait pu être évitée.

En un mot, nous ne regrettons pas de ne pas avoir participé à ce travail qui ne répond pas aux exigences d’apaisement.

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