Les débats

Offrir l’asile aux êtres persécutés est un devoir d’humanité

Accueil des réfugiés en France et en Europe -

Par / 16 septembre 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence et la déstabilisation de régions entières provoquent un exode massif de populations désespérées. C’était prévisible.

La guerre, les guerres, les crimes odieux de Daech jettent dans des camps de réfugiés inhospitaliers et inadaptés des millions de personnes, qui n’ont ensuite d’autre choix que de prendre les chemins de l’exil.

Les guerres civiles, l’effondrement d’États, la barbarie née de vingt ou trente années de conflits, ont provoqué une crise humanitaire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Après l’Afghanistan dévasté par la vengeance aveugle menée au nom de la guerre de civilisation par Georges W. Bush ; après l’Irak détruit par une guerre fondée sur une tromperie aux conséquences meurtrières ; après la Libye et la liquidation du dictateur Kadhafi, sans réflexion aucune sur les conséquences désastreuses de cet acte, c’est aujourd’hui le tour de la Syrie, où les errements diplomatiques et les choix stratégiques hasardeux placent Daech, surgi du bourbier irakien, en position de prendre le pouvoir aux portes de la Méditerranée.

Il n’est pas possible de débattre de la situation créée par l’afflux massif de réfugiés sans évoquer la lourde responsabilité des puissances occidentales dans l’évolution de cette partie du monde.

Il n’est pas ici question de repentance, mais nous avons le devoir, à la fois moral et politique, d’assumer nos responsabilités : nous avons la responsabilité de créer les conditions du retour à la paix dans ces zones – c’était l’objet du débat d’hier – et celle de permettre aux victimes de ces conflits de vivre dignement, de pouvoir trouver refuge.

Confrontées à une réalité inhumaine – celle d’un enfant mort noyé sur une plage turque, messager funèbre de tous ceux qui ont déjà péri pour tenter de vivre, de survivre –, des voix fortes et nombreuses se sont élevées, plaidant pour que l’Europe s’ouvre à la solidarité et ne se ferme pas sur ses égoïsmes.

Je n’ai pas l’habitude de citer favorablement Jean-Claude Juncker, mais je ne peux que partager ses propos de mercredi dernier : « Ces gens, nous devons les accueillir à bras ouverts, et cette fois, j’espère que tout le monde sera à bord ». « Le Vieux Continent, poursuivait-il, ne peut accueillir toute la misère du monde. Mais nous avons les moyens de recevoir des réfugiés qui ne représentent que 0,1 % des 500 millions d’Européens ».

Le pape François, quant à lui, appelle chaque paroisse, chaque chrétien, à accueillir des réfugiés. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Belle évolution que de le reconnaître !

Mme Éliane Assassi. C’est vrai, ou pas ?... Bien !

Je regrette la solitude de Mme Merkel au sein de la droite européenne. Je ne peux comprendre les réticences à remplir ce devoir d’humanité élémentaire – offrir l’asile aux persécutés, quelles que soient leur origine, leur religion, leur couleur de peau – de la part d’hommes politiques comme Nicolas Sarkozy et celles et ceux qui le soutiennent encore.

M. Bruno Sido. Ils sont nombreux !

Mme Éliane Assassi. Il faut isoler, mes chers collègues, Mme Marine Le Pen dans sa xénophobie et son mépris de la dignité humaine : elle révèle son vrai visage à l’occasion de cette crise. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

Ne lui en déplaise, la France est une terre d’asile. L’ouverture de notre pays au monde fait partie intégrante de son identité. C’est ce qui fonde la célèbre phrase de Thomas Jefferson : « Chaque homme a deux patries, la sienne et la France ».

Qui peut ignorer l’humanisme qui forge la République ? Faut-il rappeler le Traité sur la tolérance de Voltaire : « Nous avons assez de religion pour haïr et persécuter, et nous n’en avons pas assez pour aimer et pour secourir » ? Chacun devrait se remémorer cet ouvrage, socle du siècle des Lumières, et ces mots qui aujourd’hui prennent tout leur sens : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ».

Dès 1793, ces idées figurent dans l’article 120 de la Constitution : « Le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ». Les Constitutions de 1946 et de 1958 ont perpétué cette grande tradition démocratique.

L’asile et l’accueil des réfugiés sont aujourd’hui des exigences du droit international.

L’article 14 de la convention du 28 juillet 1951, plus connue sous le nom de convention de Genève, est clair : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ».

Qui, dans cet hémicycle ou ailleurs, peut affirmer sans honte que fuir devant la folie meurtrière de Daech ou de Boko Haram, ou devant la violence quotidienne en Libye, ne justifie pas la mise en œuvre de la convention européenne de Genève – convention étendue au reste du monde en 1967 par l’adoption du Protocole de Bellagio, aujourd’hui complétée et consolidée par la Convention européenne des droits de l’homme ?

Avec un peu de recul, les choses deviennent évidentes : ces réfugiés sont les sœurs et les frères des réfugiés espagnols d’hier, des juifs fuyant les pogroms et la barbarie nazie. Ils sont les sœurs et les frères de ces peuples persécutés, martyrs, qui depuis la nuit des temps fuient la guerre.

La question ne doit donc pas se poser. Il faut les accueillir, sans critère de sélection. C’est notre devoir : le devoir de l’Europe, mais aussi du monde – car il ne faut pas exonérer les États d’Amérique du Nord, ou encore les pays du Golfe, d’un devoir d’asile qu’ils assument bien faiblement au regard de leurs grandes responsabilités dans l’état actuel du monde, et tout particulièrement de ces régions meurtrières.

Regardant un reportage, je me suis dit : « peut-on accepter de continuer à laisser mourir ces gens qui traversent la mer ? ». Une proposition, portée par de nombreuses associations, fait son chemin : il faut assurer la sécurité de ces réfugiés, et leur permettre de parvenir jusqu’à nous en échappant aux passeurs.

Chaque enfant, chaque femme, chaque homme qui meurt aujourd’hui est une tâche indélébile dans l’histoire de l’Europe.

Monsieur le ministre, la France doit assumer ses responsabilités et assurer la sécurité de ces migrants.

La directive du 20 juillet 2001, relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées, offre un cadre juridique.

Après l’élan de générosité et de solidarité du début du mois de septembre, des divisions apparaissent au sein de l’Union européenne.

Certains États sont depuis des années le théâtre d’une xénophobie croissante. Leur attitude actuelle n’est donc pas une surprise. Refusant le devoir d’humanité, ils refusent également cette obligation internationale qu’est l’accueil des réfugiés.

Ces États chassent et persécutent d’ailleurs déjà certaines minorités, comme celle des Roms, et « produisent » donc eux-mêmes des réfugiés.

Les valeurs affichées par l’Europe sont donc aujourd’hui bafouées. Il faut sévèrement rappeler à l’ordre ces pays que l’Union européenne a accueillis généreusement. L’attitude du gouvernement hongrois n’est pas acceptable : il édifie des murs, fait adopter à la hâte des lois « anti-réfugiés », et commence à appliquer des sanctions pénales à l’égard de ces hommes et femmes, après avoir matériellement fermé sa frontière avec la Serbie.

Voilà ce qu’il faut dire à M. Orban, ainsi qu’au président slovaque, qui n’accepte que les chrétiens : « Ça suffit, l’Europe ne sera pas celle de la xénophobie ! ». Oui, les frontières doivent être rouvertes dans les plus brefs délais au sein de l’espace Schengen !

En France, la société doit se mobiliser. L’État, monsieur le ministre, doit prendre toutes ses responsabilités. Les communes, par leur dimension de proximité, ont certes un rôle prioritaire à jouer. Mais – dois-je vous le rappeler ? – elles sont aujourd’hui étranglées financièrement, et votre annonce d’une ristourne de mille euros par réfugié accueilli apparaît dérisoire par rapport aux besoins de logement, de scolarisation, d’aide alimentaire par exemple.

Monsieur le ministre, cette crise montre bien les limites des politiques d’austérité.

La solidarité, mais aussi la résolution de ces crises, par la reconstruction et le développement, nécessitent un nouvel ordre économique. L’élan de notre pays n’est pas celui qu’il devrait être. Accueillir 24 000 réfugiés en deux ans est bien insuffisant, d’autant que la France est déjà bien en deçà de la moyenne européenne pour l’accueil des demandeurs d’asile.

Nous devons faire plus, car nous pouvons faire plus ! Notre pays, qui est la patrie des droits de l’homme, est aussi la cinquième puissance la plus riche du monde !

Ce manque d’élan permet en outre au Front national de diffuser son discours de haine, qui sème le doute dans les esprits d’un certain nombre de nos concitoyens.

Prétendant que la France ne peut accueillir de réfugiés parce qu’elle « n’en aurait pas les moyens », ce parti joue la concurrence entre démunis, entre réfugiés et citoyens français, en usant de raccourcis biaisés, de propagande et d’intoxication, et en proférant les inepties les plus énormes pour tenter de tirer profit de cette situation dramatique. (M. Stéphane Ravier rit.)

Quand ce parti dit « craindre que l’afflux des migrants ne ressemble aux invasions du IVe siècle, et n’ait les mêmes conséquences », il place, mes chers collègues, les persécutés de Daech au même rang que les barbares...

Cette manipulation grossière de l’histoire doit être dénoncée, tout comme doit l’être cet argument détestable faisant des Syriens des pleutres, qui devraient retourner combattre dans leur pays, comme les Français ont combattu les Nazis.

Leur acolyte de Béziers n’est pas en reste. Sa propagande et son slogan – « vous n’êtes pas les bienvenus ici » – sont une honte pour la France.

M. le président. Il va falloir conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Certes, notre peuple souffre de la crise ; mais, comme il l’a montré le 11 janvier dernier, il sait se lever pour la justice et pour la solidarité.

C’est ce chemin d’humanité que doivent suivre les démocraties, et non, comme le souhaitent certains, celui qui consiste à profiter de la situation pour remettre en cause le droit du sol.

Cette crise, mes chers collègues, met en évidence la nécessité de combattre l’anarchie libérale. La mondialisation financière, c’est en réalité la mise en concurrence des peuples et des individus ; et, in fine, c’est la guerre.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

Mme Éliane Assassi. Cette gestion cruciale des réfugiés place donc chacun devant ses responsabilités. Pour nous, et pour de nombreux progressistes, le développement et la paix sont les clés de l’avenir. Aujourd’hui, ce sont la générosité, la solidarité et l’humain qui doivent primer.

Oui, je l’affirme à cette tribune : bienvenue à tous les réfugiés !

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