Les débats

Derrière le flegme, la voie du libéralisme le plus archaïque

Discours de politique générale -

Par / 13 juin 2019

Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté hier la lecture de votre déclaration de politique générale par M. de Rugy, tout en gardant un œil sur votre intervention à l’Assemblée nationale. Je vais vous dire ce que j’en pense, avec sérieux, car nous ne sommes pas ici au théâtre, même si nous allons évoquer l’acte II du quinquennat.

Ce qui m’a d’emblée frappée, c’est le décalage avec le pays réel.

Après la séquence électorale des européennes, vos partisans semblent avoir vaincu la colère jaune, domestiqué la colère du peuple qui a tonné si fort durant des semaines et, à son apogée, vous le savez bien, a fait vaciller vos certitudes. Erreur ! La colère est toujours là, comme à Belfort, à Saint-Saulve, dans les hôpitaux, les maternités, dans la fonction publique, chez les élus.

Ne vous y trompez pas, monsieur le Premier ministre, faire une liste à la Prévert des colères ne suffira pas à les apaiser. Vous n’en avez pas fini avec celles et ceux qui, majoritaires dans le pays, aspirent à une vie meilleure et digne, à l’emploi, à un vrai travail stable, avec tous ceux qui aspirent à garantir un avenir serein à leurs enfants, à vieillir dignement et en bonne santé et qui sans doute, majoritairement, ont déserté les isoloirs le 26 mai dernier, ce qui ne semble pas vous préoccuper...

Dans votre discours, vous avez, une nouvelle fois, agité les peurs, vos peurs – l’insécurité, le terrorisme, l’étranger –, mais la peur qui taraude l’immense majorité du peuple, c’est celle du lendemain, du chômage, du contrat précaire qui se termine, des soins trop chers et même de la faim. Or, de tout cela, vous n’avez pas parlé.

Vous ne devez pas oublier que vous n’en avez pas fini avec les exigences de justice sociale et fiscale – les vraies ! –, celles qui passent obligatoirement par la répartition des richesses, et non par des aménagements pudiques du système.

Votre acte II a un goût de réchauffé. « Libérer les énergies », dites-vous en écho à l’ancien Premier ministre Alain Juppé. « Nous sommes des réformateurs », annoncez-vous, en écho, cette fois, au « mouvement des réformateurs » fondé par Jean Lecanuet en 1972. Pouvez-vous encore parler de « nouveau monde » avec de telles références ? Certainement pas.

Bien au contraire, vous êtes fidèle – tragiquement fidèle – aux politiques menées depuis près de quarante ans, hormis de brèves éclaircies, qui font rimer réforme avec recul social, précarisation, appauvrissement.

Vous avez dit hier que vous étiez « inénervable » ; j’en suis bien contente pour vous ! (Sourires.) Imperturbablement donc, vous tracez la voie du libéralisme le plus archaïque qui soit.

Malgré le mouvement de colère soutenu massivement durant des mois par la population, vous n’avez pas prononcé les mots « ISF », « Smic », « salaires » et, surtout pas, les mots « évasion fiscale », qui, bien évidemment, concernent trop de soutiens de celui qui demeure le président des riches.

Vous n’avez pas davantage répondu à l’aspiration à une démocratie profondément refondée, à une irruption de la citoyenneté.

Votre discours n’est pas disruptif ; il est, bien au contraire, convenu, destiné à sauver l’existant, c’est-à-dire une France où les riches possèdent toujours plus et les pauvres toujours moins, une France où les inégalités se creusent.

Vous avez longuement parlé d’écologie. Comme vous l’avez dit, personne n’en a le monopole. Mais il ne suffit pas d’en parler ! Encore faut-il produire des actes en s’attaquant au plus grand prédateur de l’écologie et de l’environnement. Or, jamais vous ne pointez la responsabilité, dans la dégradation de l’environnement, du système capitaliste lui-même, un système capitaliste de surcroît mondialisé.

Monsieur le Premier ministre, il faut écouter cette jeunesse qui n’est pas réfugiée dans une écologie naïve et béate, mais est animée par une contestation profonde du système économique qui engendre la pollution massive. Changer le système et pas le climat, ce n’est certainement pas un slogan qui vous agrée.

On le voit bien, votre dessein, c’est le mirage d’un capitalisme vert, propre, succédant à celui qui a abîmé notre planète et l’humanité.

Or le capitalisme porte en lui la quête du profit, la mise en concurrence, l’exploitation des femmes et des hommes comme des richesses de la terre : c’est en cela qu’il ravage la planète et doit être remis en question pour envisager l’avenir.

De toute manière, vos actes concrets nous donnent raison et contredisent vos bonnes intentions. Allez-vous, par exemple, continuer à fermer les petites lignes de train ? Confirmez-vous la fermeture de la ligne de fret ferroviaire de fruits et légumes Perpignan-Rungis, cadeau insensé fait aux transporteurs routiers ?

Le service public, la solidarité sont au cœur du projet de transformation écologique que nous portons.

Monsieur le Premier ministre, je l’ai dit, votre vieux discours réformateur vise toujours et encore à réduire les droits sociaux, arrachés parfois au prix du sang, plutôt qu’à assurer le bonheur commun par un juste partage. Réduire le nombre de fonctionnaires et en finir avec leur statut, cette vieille lubie des libéraux, s’inscrit dans ce cadre.

Votre acte II, c’est la remise en cause du système de retraites par l’avènement du système par points et la diminution des droits des chômeurs, victimes annoncées de la sacro-sainte réduction des déficits et dettes en tout genre.

Vous l’avez dit encore aujourd’hui, les salariés sont déjà contraints de travailler au-delà de l’âge légal pour tenter de s’assurer une retraite digne. L’argument fallacieux de l’allongement de la durée de vie ne tient pas. Lorsque l’on a travaillé plus de quarante ans, on a droit au repos et on doit laisser la place aux jeunes. En effet, quelle absurdité que d’enchaîner au travail des femmes et des hommes jusqu’à la vieillesse, alors que 4 millions de personnes sont au chômage et près de 10 millions en situation de précarité !

Notre projet est diamétralement opposé et d’une audace juste et solidaire : il faut travailler moins, moins longtemps pour partager le travail. Nous défendons, en ce sens, la marche vers la semaine de 32 heures et le retour au droit à la retraite à 60 ans.

Votre politique économique et industrielle, monsieur Premier ministre, est à l’avenant. Vous avez évoqué General Electric à Belfort. Mais qui est responsable de cette situation ? Qui a supervisé les négociations conduisant à la soumission à l’entreprise américaine, si ce n’est le secrétaire général de l’Élysée d’alors, M. Macron ?

Vous vantez la relance de l’attractivité de notre pays, mais elle s’effectue dans la dérégulation la plus totale, accompagnée d’une valse de plans sociaux, d’exonérations massives et d’une casse systématique du droit du travail, votre cap étant la réduction de la dépense publique.

Huit minutes pour évoquer, ou plutôt effleurer, la situation difficile de notre pays, confronté à la déstructuration sociale et démocratique, c’est bien peu. Nous ne voterons pas votre déclaration de politique générale, nous ne soutiendrons pas ce projet qui s’attaque en profondeur à la solidarité nationale et qui n’est pas « ni de gauche ni de droite », mais tout simplement de droite.

Nous combattrons ce que dissimule votre flegme. Nous nous élèverons contre l’autoritarisme qui sert votre projet et se déchaîne contre les manifestants ou les journalistes ayant suivi le conflit au Yémen.

Enfin, vous n’avez pas prononcé les trois lettres suivantes, monsieur le Premier ministre : ADP. Soit dit sans vouloir vous énerver, ce silence est le reflet de votre profond agacement.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Éliane Assassi. Enfin, le peuple peut prendre la parole, et pas sur un sujet secondaire : la privatisation d’un grand service public national, qui succède à tant de bradages du bien collectif, depuis les autoroutes jusqu’au secteur de l’énergie.

Ainsi, plus de 100 000 citoyennes et citoyens ont déjà participé à la consultation qui a commencé cette nuit, malgré des bugs informatiques ; nous en reparlerons cet après-midi. Quoi que vous en pensiez, monsieur le Premier ministre, les Français vont pouvoir librement s’exprimer et briser les murs que les puissants ont construits pour les enfermer et les réduire au silence.

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