Les débats

Cette réforme vise en fait à soumettre nos institutions à la mondialisation libérale

Évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif -

Par / 16 mai 2018

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mes amis du groupe CRCE et moi-même avons demandé l’inscription de ce débat sur l’évolution des droits du Parlement non seulement au titre du contrôle de l’action gouvernementale, mais surtout pour alerter l’opinion sur les graves dérives en cours, qui mettent en péril l’équilibre démocratique de nos institutions. Cette question n’est pas réservée à quelques spécialistes. Elle concerne intimement chaque citoyen.

La problématique relative au respect du Parlement et de ses prérogatives est au cœur de l’actualité. Le contexte de cette journée, marquée une nouvelle fois par l’utilisation de la procédure dite du « vote bloqué » par le Gouvernement à l’encontre d’une initiative parlementaire, met en exergue la pression de plus en plus forte exercée par le pouvoir exécutif sur les assemblées, y compris dans le cadre de leur compétence historique d’élaboration de la loi. Ce qui a expliqué la forte réaction à ce coup de force, madame la garde des sceaux, c’est la prise de conscience que vous approchiez d’une ligne rouge au-delà de laquelle la Constitution au sens historique du terme, c’est-à-dire la République, fondée sur le respect de la séparation des pouvoirs, ne serait plus respectée. Cette inquiétude des parlementaires a pris corps sur la quasi-totalité des travées de cette assemblée au fil des mois passés.

Le discours du chef de l’État au mois de juillet dernier à Versailles, long et parfois tortueux, pour ne pas dire complexe, était transparent sur un point : l’ambition de réformer le Parlement. Pour Emmanuel Macron, le fil de ce projet est la recherche de l’efficacité. Pour d’autres, dont nous sommes, au travers de ce discours qui prend tout son sens aujourd’hui, c’est l’affaiblissement des assemblées qui est recherché, leur « mise sous tutelle », comme l’a exprimé le président du Sénat le 9 mai dernier.

Le futur Président de la République, peu disert sur son programme durant la campagne électorale, a été clair sur un point : son nouveau monde ne pouvait supporter la supposée lenteur de la fabrication de la loi, pourtant chère à Mirabeau, et montrait clairement du doigt dans une attitude profondément démagogique le Parlement et les parlementaires comme des stigmates de cet ancien monde qu’il fallait s’empresser d’effacer.

À la vérité, la volonté est d’adapter les institutions des démocraties au rythme de la mondialisation libérale et de les y soumettre. Faut-il rappeler que, au-delà de l’annonce de la réduction du nombre de parlementaires – sur laquelle je reviendrai –, Emmanuel Macron avait même affiché l’idée de réduire le temps législatif du Parlement à trois mois ? Je pense que cet objectif est maintenu par le projet de loi constitutionnelle présenté la semaine dernière et par la volonté affichée par la majorité de l’Assemblée nationale.

La question des droits du Parlement, ce n’est pas la défense des intérêts de quelques notables. Défendre ses droits, ce n’est pas se satisfaire de l’État existant, c’est-à-dire d’assemblées déjà affaiblies, peu représentatives et n’ayant apporté aucune solution satisfaisante aux yeux d’une large majorité de nos concitoyens.

L’impopularité du Parlement est avant tout l’impopularité d’une institution qui n’a pas pu répondre depuis des années aux premières attentes, comme la baisse du chômage, l’augmentation du pouvoir d’achat, les difficultés relatives au logement ou la nécessité de proposer une école ouverte et un hôpital capable de répondre aux besoins. Ces attentes d’un mieux vivre, d’une vie sereine, loin des violences sociales et de la dureté de la vie quotidienne, les gouvernements et les majorités parlementaires successifs n’y ont pas répondu et ont souvent aggravé la situation.

Emmanuel Macron a bien perçu cette profonde déception, cette grande attente, et il les utilise pour renforcer son pouvoir présidentiel, symbole d’une nouvelle pratique, en réduisant le pouvoir parlementaire, survivance pour lui des institutions de l’ancien monde.

Le projet constitutionnel qui doit être examiné par l’Assemblée nationale pendant les vacances, alors que ce débat devrait avoir lieu au grand jour, confirme pleinement nos craintes. Il s’agit là, comme je l’ai dit dans le débat précédent, d’un élément clé du dispositif mis en place avec les projets de loi organique et ordinaire à venir visant à réduire la place du Parlement dans l’architecture institutionnelle de notre pays.

Le droit d’amendement est clairement dans le collimateur du pouvoir exécutif. La limitation du débat aux seuls amendements ayant un lien avec le texte dès la première lecture est un moyen de tuer l’échange démocratique en annihilant l’initiative parlementaire.

Depuis des années, mes chers collègues, nous alertons sur la limitation progressive du droit d’amendement. Combien de fois avons-nous indiqué qu’en acceptant telle ou telle restriction – par exemple, la règle de l’entonnoir, qui bride le dépôt d’amendements en seconde lecture, ou l’interprétation extensive de l’article 40 de la Constitution, qui supprime toute possibilité de proposition en matière budgétaire, le développement des irrecevabilités allant jusqu’à mettre en cause la possibilité pour le parlementaire de proposer la remise d’un rapport sur tel ou tel sujet –, c’est l’affaiblissement progressif du Parlement qui était validé ?

Cette obsession du tri entre bons et mauvais amendements, entre amendements justifiés ou pas, a peu à peu créé les conditions aujourd’hui d’un véritable assaut contre ce qu’il reste du droit d’amendement.

Cette obsession de la rationalisation du travail parlementaire nous a amenés à la situation actuelle : des débats sans saveur, sans enjeu, sans confrontation d’idées ou bien peu, sans possibilité de véritables échanges sur des propositions alternatives. En quoi les débats approfondis d’hier ont-ils posé un problème démocratique ?

Prenons le cas de la crise actuelle de la SNCF, dont le Gouvernement porte l’essentiel de la responsabilité. Au-delà des options de fond, le choix d’une méthode autoritaire, archaïque par sa violence, n’aurait-il pu être évité par un véritable débat au sein de l’entreprise elle-même pour commencer, et au Parlement ensuite ?

Prendre le temps du débat n’est pas seulement un artifice démocratique. Cela permet aussi à la société de s’exprimer, de faire valoir ses inquiétudes, ses colères au travers d’échanges parlementaires. Si la parole est restreinte au Parlement, si le droit de proposition est éteint, il ne faudra pas s’étonner que le peuple trouve tout à fait légitimement d’autres voies pour s’exprimer. L’exercice de la démocratie en France ne peut être réduit à la seule utilisation du bulletin de vote hors de l’élection présidentielle, les élections législatives étant devenues une sorte de vote complémentaire à l’élection du chef de l’État du fait de l’inversion du calendrier.

Permettez-moi de m’arrêter sur cette question, car le temps me manquera. Restaurer la plénitude des pouvoirs du Parlement passe bien entendu par une modification du calendrier électoral pour revenir à des élections législatives qui précèdent l’élection présidentielle.

M. François Bonhomme. Il faut changer de régime !

Mme Éliane Assassi. Cela passe également, nous y reviendrons dans le cadre du débat constitutionnel, par une restriction des compétences du chef de l’État, son mode d’élection devant être interrogé.

La question d’une meilleure représentativité des parlementaires est également posée. Et ce ne sont pas quelques gouttes de proportionnelle invalidées par le seuil de 5 % des voix permettant d’accéder à la répartition de trois sièges qui changeront la donne !

Pour en revenir à la question précise des prérogatives parlementaires, le temps du débat, le droit d’amendement, le temps de parole doivent d’être défendus avec acharnement pour ne pas définitivement accepter le transfert du pouvoir législatif au Gouvernement et à la présidence de la République.

La remise en cause de la navette parlementaire par le projet de loi constitutionnelle s’inscrit dans le même objectif. Au-delà de la question des bienfaits ou non du bicamérisme et des qualités ou des défauts du Sénat, il est clair que l’objectif est de faire basculer tous les restes du pouvoir législatif vers l’Assemblée nationale, soumise, comme je viens de l’indiquer, au pouvoir présidentiel par la nature même de son élection.

Pour conclure le tout, Emmanuel Macron a décidé de liquider l’initiative parlementaire en accordant une nouvelle priorité pour l’examen des projets gouvernementaux, empiétant sur les temps réservés aux assemblées.

Comme vous le constatez, mes chers collègues, l’addition est lourde. Je l’ai dit, les origines de ce coup de force remontent à loin, et il est impératif aujourd’hui de remettre à plat ce que doit être la place du Parlement dans nos institutions et, par là même, ce que doivent être les prérogatives des assemblées dans ce cadre. Cette réforme ne peut être parcellaire. Elle remet en cause l’organisation même de nos institutions.

Nous aurons l’occasion dans les semaines à venir de mettre en avant nos propositions pour une nouvelle Constitution qui tourne le dos à la dérive autoritaire à laquelle nous assistons et qui redonne toute sa place au peuple, à son intervention.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous assistons à un coup de force qui est l’aboutissement d’un long processus. Comment ne pas évoquer, par exemple, l’abandon du pouvoir budgétaire aux autorités européennes par le biais du traité budgétaire européen ? Ce fut un coup important porté aux pouvoirs du parlement national.

Le coup de force entamé dès l’été dernier avec le recours aux ordonnances pour casser le code du travail s’est poursuivi avec l’application de la loi sur la sélection à l’université avant même son examen par le Sénat. Le Gouvernement méprise le Parlement en considérant tout texte déposé comme adopté et passe à l’étape suivante.

Ce mépris et ces coups de force à répétition exigent une prise de conscience, une réaction démocratique et républicaine forte. C’est pour cela que nous avons demandé ce débat et que nous nous opposerons avec force dans le rassemblement le plus large aux réformes profondément antidémocratiques annoncées ces derniers jours.

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