Les débats

La situation de notre pays appelle des mesures d’urgence en faveur de l’emploi et de l’industrie

Economie sociale et solidaire -

Par / 2 octobre 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail réalisé par le groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire. Nous sommes convaincus que le rapport de Mme Lienemann constituera un outil très utile à l’appui des réflexions qui s’engagent sur ce sujet.

Comme vous l’avez rappelé, ma chère collègue, ce travail s’inscrit « dans un contexte général de crise économique et sociale propice à la redécouverte et à la défense des valeurs et de l’action des acteurs de l’ESS ».

En effet, face à la crise économique, à la montée de la précarité et de la pauvreté, à la destruction de l’emploi, notamment à travers le délitement du tissu industriel, l’économie sociale et solidaire joue un rôle essentiel. Sa dimension territoriale, l’expression des valeurs de solidarité et de responsabilité qu’elle porte en font à juste titre un outil économique et social pertinent.

Cependant, il ne faudrait pas laisser croire à l’omnipotence de cet outil.

La France a passé le cap des 3 millions de chômeurs ; si le chômage partiel est pris en compte, il y a près de 5 millions de personnes en sous-emploi en France. Selon la CGT, 75 000 emplois sont menacés.

Tous les secteurs sont touchés : l’automobile, les transports, l’agroalimentaire, l’industrie lourde, le bâtiment, les télécommunications. Les exemples n’ont pas manqué ces derniers temps.

La situation de notre pays appelle donc des mesures d’urgence en faveur de l’emploi et de l’industrie, ainsi qu’une volonté politique forte pour garantir un véritable redressement productif, sans quoi non seulement on coupera les ailes aux projets portés par l’économie sociale et solidaire, mais, en plus, on laissera de côté des sites industriels pour lesquels l’ESS n’est pas adaptée.

Il est urgent de décréter un moratoire sur tous les plans sociaux pour rechercher des solutions de remplacement s’appuyant sur les contre-propositions des salariés.

Il est urgent que l’Assemblée nationale examine et adopte la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, adoptée par la majorité de gauche du Sénat. Nous avons déjà perdu trop de temps ! Il n’est pas acceptable que les entreprises qui réalisent des bénéfices licencient en vue de profits supplémentaires.

Il est urgent d’accorder aux salariés des pouvoirs nouveaux pour réorienter les choix de gestion, mobiliser autrement l’argent des entreprises, des banques et des fonds publics pour une utilisation de la monnaie et du crédit favorisant la création, la sécurisation, la promotion de l’emploi et de la formation.

Il n’est pas acceptable que des groupes industriels ferment des sites en France au prétexte de difficultés économiques, alors que, dans le même temps, ils réalisent leurs investissements productifs dans des sites étrangers afin de bénéficier du dumping social. Il n’est pas question d’autre chose avec la fermeture de PSA-Aulnay, avec la menace de fermeture de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne ou avec l’arrêt des hauts fourneaux d’Arcelor-Mittal à Florange.

Le ministre du redressement productif annonçait la semaine dernière le dépôt d’un projet de loi visant à obliger un industriel à céder une usine viable. Hélas, le temps législatif s’accorde mal avec l’urgence sociale !

Nous devons aller plus loin que la recherche de repreneur ; l’État doit renforcer sa présence dans le capital d’entreprises stratégiques pour leur sauvegarde et leur développement et reprendre sa part de responsabilité dans l’activité industrielle de notre pays.

En ce qui concerne les situations pour lesquelles l’économie sociale et solidaire peut jouer un rôle, nous avons accueilli avec intérêt les mesures que vous avez avancées cet été, monsieur le ministre délégué, notamment en vue de l’amélioration des conditions de reprise des entreprises sans entrepreneurs ou en difficulté par les salariés eux-mêmes, avec un droit préférentiel, sous forme de société coopérative participative.

Mais quels moyens donnons-nous aux salariés pour que leurs projets aboutissent et qu’ils ne cèdent pas à la pression de la finance et de la concurrence mondiales ?

Je voudrais prendre ici l’exemple des salariés de Fralib qui représentent un espoir pour tant d’autres, ceux de Paru Vendu, Hélio Corbeil, Merck-Organon, M-Real, Petitjean, Sodimedical, Still-Saxby ou Pilpa. On pourrait en citer d’autres, car la liste est longue.

En septembre 2010, le groupe Unilever annonce la fermeture du site rentable de Gémenos. En 2011, il réalise un chiffre d’affaires de 46,47 milliards d’euros, avec des bénéfices atteignant plus de 4 milliards d’euros.

La totalité des salaires des 182 salariés et dirigeants de l’usine représente 15 centimes de chaque boîte de thé vendue, mais le groupe veut encore faire des bénéfices et délocaliser son activité en Pologne. Les salariés ont d’ailleurs découvert dans un supermarché des boîtes de thé fabriquées en Pologne avec le code de traçabilité de Gémenos, alors que leur usine a arrêté toute production depuis des mois !

Le capitalisme financier est bien rodé. Unilever a créé une structure financière en Suisse pour éviter de payer des impôts en France. Encore un bel exemple d’évasion fiscale, légale cette fois !

C’est dans ce contexte que, depuis 2010, les salariés se battent pour avoir le droit de travailler. Quand on évoque les sociétés coopératives, il faut avoir à l’esprit que la meilleure volonté des travailleurs se heurte aux appétits de grands groupes, qui mènent une réelle politique de casse de l’emploi. Les salariés ont été victimes de comportements innommables de la part de la direction, avec la caution de l’ancien ministre du travail qui était intervenu pour bloquer une lettre d’observation préparée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE. Un certain nombre d’entre eux revivent la douloureuse fermeture, en 1997, de l’usine du Havre, pourtant rentable.

À ce passé traumatisant pour les travailleurs et leurs familles s’ajoutent les pressions psychologiques incessantes de la direction, comme les coupures de courant et l’interdiction d’accès au site, mais également la mise en œuvre d’un véritable harcèlement judiciaire.

Il faut savoir que des salariés ont été déclarés grévistes dans le seul but de les priver de leurs salaires. Ils ont subi trois plans sociaux. Ils se sont heurtés au refus du groupe de relancer l’activité, alors même qu’une décision de justice l’y obligeait. À chaque fois, Unilever a été condamné, mais comment préserver les salariés qui luttent pour porter un projet industriel de ces attaques sournoises ?

Heureusement, de bonnes nouvelles sont tombées. La communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, pas encore contrainte par un traité européen imposant l’austérité aux collectivités territoriales, a procédé à l’acquisition des terrains, bâtiments et machines de Fralib.

Les salariés le méritent, ils portent un projet industriel solide, conforme à l’histoire et à l’exigence de qualité de la marque Éléphant née il y a 120 ans à Marseille.

Seulement, un écueil de taille demeure : la propriété de la marque. Comme vous le savez, Unilever a déclaré cet été qu’il ne participerait à aucune réunion sur un projet impliquant la marque Éléphant ou des volumes de sous-traitance, réclamant de l’État une « attitude impartiale » sur « le respect des lois en matière de propriété intellectuelle et de droit des marques ».

Aujourd’hui, malheureusement, rien n’oblige juridiquement le groupe à céder sa marque. Tout porte à croire que l’opposition d’Unilever sert un objectif de sabordage du projet des salariés et non une réelle volonté de faire vivre la marque.

En effet, depuis 2002, le groupe industriel procède à une politique de regroupement des marques, qui sont passées de 1 600 à 400. La stratégie commerciale a organisé, au détriment de la qualité des produits naturels Éléphant, leur glissement vers Lipton, avec le conditionnement en pyramides et le logo Lipton apposé à côté du logo Éléphant.

Demain, une table ronde devrait se tenir entre les salariés et la direction, sous la présidence du préfet. Nous attendons tous beaucoup de cette rencontre. Mais, au-delà des décisions qui seront prises, monsieur le ministre délégué, nous aimerions connaître les intentions précises du Gouvernement pour protéger l’outil de production, les brevets, les marques. Le ministre Arnaud Montebourg avait envisagé une réquisition des marques : qu’en est-il de ce projet ?

Au travers de leur lutte, les salariés de Fralib, comme beaucoup d’autres, défendent notre patrimoine industriel et la vitalité économique de tout un pays. Que proposez-vous aujourd’hui pour garantir demain aux salariés la pérennité de leur projet de SCOP s’il n’y a pas de réforme du droit de la propriété intellectuelle ?

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