Les débats

Comment s’attaquer à la misère, qui constitue un facteur majeur de propagation de ces maladies, sans rompre avec les politiques qui endettent les pays du Sud et les privent de toute capacité d’action ?

Nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes -

Par / 23 janvier 2013

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de ce débat, qui a fait l’objet d’un rapport d’information rédigé par notre collègue Fabienne Keller au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, est particulièrement intéressant.

Je me réjouis d’ailleurs que ce rapport, malgré une méthodologie qui aurait pu aboutir à des conclusions catastrophistes, fasse preuve, au contraire, d’une grande mesure dans son évaluation tant des causes que des risques possibles. Ce sujet fait depuis quelques années l’objet de nombreux travaux de nature scientifique, cités dans le rapport. Cet intérêt légitime résulte, sans doute, de la recrudescence de crises sanitaires durant les dernières années, liées précisément à des maladies infectieuses émergentes ou réémergentes. Je pense notamment au rapport rendu public en 2010 par le Haut Conseil de la santé publique, intitulé « Les maladies infectieuses émergentes : état de la situation et perspectives ». Les chercheurs n’ignorent rien de la situation et des différentes évolutions possibles.

Voulant éviter toute redondance avec ces études et afin de permettre aux parlementaires, ainsi qu’à l’ensemble des décideurs publics, de prendre les meilleures décisions, la rapporteur a fait le choix judicieux d’adopter une approche prospective non scientifique. Ce choix répond aux besoins de la France ; c’est d’ailleurs la voie empruntée récemment par d’autres pays voisins du nôtre, comme le Royaume-Uni.

Sur la base de ce travail, dont chacun s’accordera à reconnaître la qualité, notamment parce qu’il permet à toutes et tous de mesurer les enjeux liés aux maladies infectieuses émergentes, même en l’absence de connaissances médicales, la rapporteur formule dix propositions, auxquelles nous souscrivons. Pour autant, si elles sont pertinentes et reprennent une partie des préconisations formulées dans le passé par d’autres organismes, comme l’Organisation mondiale de la santé, nous regrettons que ces recommandations ne soient pas plus ambitieuses.

Nous considérons, pour notre part, que ces dix préconisations ne sauraient constituer le terme de la réflexion en la matière ; elles doivent, au contraire, servir de point de départ pour nous permettre de prendre toute la mesure de l’importance du sujet et pour nous inciter à élaborer des projets politiques susceptibles de réduire, à la fois, les risques et les facteurs facilitants ou déclenchants. Je citerai quelques exemples pour illustrer mon propos.

La deuxième préconisation du rapport est d’« agir sur tous les facteurs d’émergence et de propagation des maladies infectieuses » pour ralentir – ou, mieux, inverser – les grandes tendances observées. Nous ne pouvons que souscrire à cette proposition, même si nous craignons qu’elle ne reste qu’un vœu pieux, en l’absence de mesures concrètes relevant d’une autre politique économique, financière et de coopération.

Comment, par exemple, s’attaquer à la misère, qui constitue un facteur majeur de propagation des maladies émergentes infectieuses, sans rompre radicalement avec les politiques qui endettent les pays du Sud et les privent de toute capacité d’action ?

Le processus de réduction de la dette des pays les plus pauvres est notable, mais largement insuffisant. Les pays en développement ont passé des années à rembourser des milliards de dollars de dettes, ce qui les a privés de toute capacité d’action. La situation est telle que de nombreux pays ont fini par dépenser plus pour rembourser leurs anciennes dettes que pour investir dans la santé et l’éducation réunies. Le cas du Lesotho est frappant à cet égard : ce pays a payé 47 millions de dollars à ses créanciers en 2006, une somme qui correspond aux deux tiers de l’aide au développement qu’il reçoit chaque année.

La huitième proposition de notre collègue, « réguler les mouvements de praticiens de la santé des pays du Sud vers les pays du Nord », afin d’éviter que les premiers ne souffrent de l’apparition de déserts médicaux d’origine économique, est elle aussi pertinente. Pour lui donner une traduction concrète, il faudrait que la communauté internationale prenne des décisions ambitieuses. Tout doit être mis en œuvre pour soutenir le développement de structures sanitaires de proximité voulues, construites et dirigées par les populations locales. Or cette volonté est en totale contradiction avec les politiques menées conjointement par le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et la Réserve fédérale américaine. Ces trois institutions ne consentent à aider financièrement les pays les plus pauvres qu’à la condition que leurs États opèrent des réductions budgétaires massives, qu’ils privatisent et ouvrent des secteurs jusque-là publics à des entreprises privées dont la plupart ne sont pas nationales. Les domaines de l’eau potable, de l’éducation et de la santé sont parmi les plus concernés.

Un article publié dans Marianne en 2010 relate comment ce mécanisme a joué aux Philippines et les conséquences qui en ont résulté pour la population. Dans ce pays, le système de santé public a longtemps été considéré comme performant, les pauvres y étaient bien soignés, et ce gratuitement. Dans les années quatre-vingt, le gouvernement, sous l’impulsion des institutions financières internationales, l’a privatisé. Depuis, les malades pauvres ne sont plus soignés, les salaires des personnels de santé n’ont plus évolué, la masse salariale a été limitée et les investissements matériels réduits au minimum.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Isabelle Pasquet. L’article conclut en ces termes : « Cette situation a provoqué une pénurie de personnel encore plus grave, car les étudiants en médecine partaient directement pour l’étranger dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions et un meilleur salaire. Sur une période de dix ans qui a suivi la privatisation, plus de 100 000 infirmiers et 5 000 médecins sont partis à l’étranger. De fait, de nombreux hôpitaux ont fermé ou ont réduit leurs activités par manque d’effectifs. »

Nous soutenons également l’idée qu’il faut, pour limiter les risques, repenser les politiques agricoles au plan mondial. La déforestation massive en Amazonie, en Indonésie, à Madagascar ou en Afrique tropicale, principalement justifiée par le besoin d’extension des surfaces agricoles destinées à la production d’agrocarburants ou d’huile de palme, est un facteur aggravant. Outre que cette pratique joue un rôle dans le développement des maladies infectieuses, qu’attendons-nous donc pour exiger de l’OMC et de l’OMS qu’elles interdisent la vente de produits dont tout le monde sait qu’ils sont dangereux pour la santé et abîment considérablement la planète ?

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Isabelle Pasquet. Qu’attendons-nous pour soutenir de manière massive les projets agricoles destinés, dans les pays du Sud, à redonner aux terres leur vocation initiale, celle de nourrir la population locale ? En 2010, au Ghana, la quasi-totalité de la production agricole était destinée à l’exportation, et le pays importait du riz d’Amérique, alors qu’il en exportait seulement dix ans auparavant. Ce système affame les peuples. La malnutrition, qui fragilise des populations déjà exposées aux maladies, est une conséquence de la transformation des matières premières en valeur spéculative, au nom d’une seule loi, celle des marchés.

Il faut également revenir à une agriculture plus raisonnable, favorisant les circuits courts, ainsi qu’une utilisation raisonnée des pesticides et, dans l’élevage, des antibiotiques. On ne peut pas regretter l’usure des sols, sur lesquels les maladies prospèrent, et dénoncer la diminution permanente de l’efficacité de l’antibiothérapie sur les humains, tout en continuant à soutenir économiquement et à favoriser les élevages en batterie, qui, pour faire face aux risques élevés de mort des animaux – et donc de pertes financières –, recourent massivement aux antibiotiques.

Faute de temps, je ne peux développer ici nos réflexions sur d’autres sujets, comme les conséquences du réchauffement climatique sur l’accroissement des risques infectieux, signalées à juste titre dans le rapport de notre collègue. Toutefois, chacun aura compris le sens de mon intervention : les propositions contenues dans le rapport sont judicieuses, mais elles ne peuvent être pertinentes et pleinement efficaces que dans le cadre d’un important changement de société, de repères et de priorités. Pour notre part, nous appelons ce changement de nos vœux.

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