Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une justice soumise à la puissance administrative et à la puissance policière

Prorogation de l’état d’urgence -

Par / 9 février 2016

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France vit depuis plus de deux mois et demi sous un régime d’état d’urgence. La mise en œuvre – justifiée – de celui-ci dès le 13 novembre 2015, pour rétablir la sécurité et répondre à la terrible angoisse de nos concitoyens, suscite aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, des interrogations, une inquiétude croissante et l’hostilité d’associations et de personnalités diverses.

Depuis le 16 novembre, le Parlement est accaparé par cette question de l’état d’urgence et par la regrettable, très regrettable initiative relative à la déchéance de la nationalité.

Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Congrès de Versailles, première prorogation de l’état d’urgence, propositions de loi d’initiative sénatoriale tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste ou relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs,…

M. François Grosdidier. Excellents textes !

Mme Éliane Assassi. … projet de loi portant réforme du code de procédure pénale, projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation : ce second projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence s’inscrit dans ce maelström législatif, couronné par le débat constitutionnel qui se déroule en ce moment même à l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, vous connaissez la principale critique adressée à votre dispositif : son inefficacité dans la lutte contre le djihadisme de Daech. Si quelque 3 300 perquisitions administratives ont été effectuées, seulement quatre enquêtes ont été ouvertes pour des faits de terrorisme, et une seule personne a été mise en examen à ce jour…

Le temps me manque pour détailler les effets désastreux de ces perquisitions hors droit (M. Bruno Sido s’exclame.), de ces assignations à résidence parfois si excessives que les avant-projets de loi d’application de la révision constitutionnelle envisagent même de les assouplir quelque peu. Le Gouvernement serait-il bipolaire ? (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé. Peut-être schizophrène !

Mme Éliane Assassi. La prorogation de l’état d’urgence stricto sensu est aujourd’hui proposée, alors que, dans le même temps, les excès sont en partie reconnus au travers des avant-projets de loi précités. Peut-être ces derniers n’ont-ils pour objectif que d’amadouer une gauche récalcitrante ?

Puisque, selon votre propre aveu, monsieur le ministre, le dispositif de l’assignation à résidence ne respecte pas les libertés publiques, il faut modifier ce projet de loi. C’est ce que nous proposerons au Sénat de faire par voie d’amendements.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je répète, mot pour mot, ma question du 20 novembre dernier : des mesures très larges doivent certes être prises pour faire face à la situation, mais ne peuvent-elles pas l’être dans le cadre du droit commun, avec un contrôle de l’autorité judiciaire ? Pouvons-nous accepter de maintenir une situation qui brise l’équilibre des pouvoirs, avec, d’une part, un pouvoir exécutif surpuissant, et, d’autre part, des pouvoirs législatif et judiciaire rabaissés ?

L’état d’urgence est un état d’exception. Il entraîne une mise en cause significative des droits des citoyens, ce qui suscite interrogations et critiques, y compris au-delà de nos frontières. Monsieur le ministre, est-il acceptable que notre pays soit pointé du doigt par une association aussi reconnue et rigoureuse qu’Amnesty International ? (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido s’exclament.)

Comme je ne cesse de le répéter depuis le Congrès de Versailles, la dérive sécuritaire en cours, les propos martiaux, la remise en cause des libertés publiques constituent autant de victoires pour Daech.

Oui, ces intégristes assassins « nous tendent un piège politique », pour reprendre la formule de l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, qui souligne par ailleurs que « ce n’est pas par les lois d’exception et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre l’ennemi ».

Des forces comme Daech se nourrissent de la violence, du sang et du malheur. Oubliez-vous que ce sont les dizaines de milliers de bombes déversées sur l’Irak qui ont donné naissance à ces combattants qui mêlent fanatisme et soif de vengeance contre la destruction insensée de leur pays, de leur peuple ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas une excuse !

Mme Éliane Assassi. Face à ce phénomène, l’arme absolue, c’est la liberté, la démocratie, la paix.

Oui, il faut assurer la sécurité de notre peuple. Pour cela, il faut donner des moyens humains et matériels suffisants à nos forces armées et à notre police, réorganiser nos services de renseignement, qui eux aussi ont été victimes de l’austérité.

Cette politique de sécurité doit s’inscrire dans un vaste effort de reconstruction de notre société dévastée par des décennies de crise.

Le Premier ministre m’a choquée quand il nous a affirmé qu’« expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser ».

M. Bruno Sido. Ce n’est pas faux !

Mme Éliane Assassi. Comme si ceux qui s’efforcent d’expliquer pouvaient éprouver de la bienveillance à l’égard des terroristes !

Certes, le libre arbitre est à prendre en compte dans une large mesure, mais les racines du fléau de la radicalisation ne se trouvent pas uniquement dans les parcours personnels. Pour mieux lutter et combattre, monsieur le ministre, il est nécessaire de comprendre l’ensemble du phénomène en cherchant toutes les explications.

Oui, le fanatisme religieux se nourrit de terribles fractures, là où la République faillit, là où « liberté, égalité, fraternité » ne restent que des mots vains.

M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas que ça !

Mme Éliane Assassi. Combien de jeunes tomberont encore dans le fanatisme si des actions d’envergure ne sont pas menées sans attendre, en urgence, en grande urgence ?

Dans son avis sur le projet de loi dont nous débattons, le Conseil d’État a lui-même signalé que l’état d’urgence doit demeurer temporaire. Cependant, le « péril imminent » qui justifie l’état d’urgence demeurera, selon les propos tenus par le Premier ministre lui-même à la BBC, jusqu’à l’éradication de Daech. Ce péril imminent devient donc un péril permanent…

En conséquence, l’orientation préconisée par le Conseil d’État lui-même est de faire entrer dans le droit commun l’état d’urgence, ce qui sera d’ailleurs l’objet du prochain projet de loi tendant à réformer le code de procédure pénale.

Monsieur le ministre, il faut dire la vérité : l’état d’urgence va devenir permanent et la justice soumise, dans bien des circonstances, à la puissance administrative et à la puissance policière.

Pour conclure, l’état d’urgence dépasse à mon sens largement le champ de la réaction à la menace terroriste. Avec l’état d’urgence, le pouvoir exécutif s’affirme, le Parlement et la justice s’inclinent.

Nous sommes en guerre, martelez-vous ! Mais quels sont donc vos projets de paix, monsieur le ministre ? Comment allez-vous apaiser notre pays, redonner l’espoir ? Comment allez-vous participer à l’essor de la fraternité, en France et dans le monde ?

Nous sommes de plus en plus nombreux à être las des propos guerriers et des coups de menton. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir comprendre, à attendre des actes et un discours de justice, de progrès, de réconciliation, des actes et un discours républicain, pour tout dire des actes et un discours de gauche ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

On l’aura compris, le groupe CRC votera contre ce projet de loi tendant à proroger l’état d’urgence.

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