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Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La cohérence entre le statut du Parquet européen et celui du parquet financier pose question

Parquet européen -

Par / 25 février 2020

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est porteur, selon nous, d’au moins deux projets de loi importants : l’un sur le Parquet européen, l’autre sur la justice environnementale.

Mais ce n’est pas tout. Vous l’avez dit : d’autres sujets viennent s’agréger à ces deux volets principaux, sans aucune autre cohérence que celle qui consiste à corriger de précédentes lois, l’enjeu étant essentiellement de prendre acte de décisions QPC du Conseil constitutionnel, mais aussi de rectifier des erreurs.

Tout cela est fait, de surcroît, à grand renfort d’ordonnances – vous savez ce que nous en pensons – et de procédure accélérée, afin de traiter en un temps record des sujets aussi techniques que disparates.

J’en viens au fond du projet.

Premièrement, concernant le Parquet européen, sa mise en place est l’aboutissement de longues négociations, de près de dix ans, entre l’Union et ses États membres. Le projet originel de Parquet européen « très intégré » avait fait l’objet de vives critiques, en particulier du Sénat français, qui avait été à l’initiative d’un « carton jaune » adressé à la Commission européenne – 13 autres assemblées parlementaires nationales lui avaient emboîté le pas. Ainsi contrainte de revoir sa « copie », la Commission européenne avait alors abouti au projet qui a donné lieu à la création de l’actuel Parquet européen, de forme collégiale et s’appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre.

Pour notre part, nous y sommes plutôt favorables. Si le nombre d’affaires dont se saisira, ou dont sera saisi, le Parquet européen semble assez limité – les procédures concernées seront, en France, au nombre de 60 à 100, selon l’étude d’impact –, il s’agira d’affaires aux enjeux financiers importants, pour lesquelles le cadre européen est légitime, l’Union et ses États membres étant parfois confrontés à des affaires complexes de fraude aux fonds structurels ou de fraude de grande ampleur à la TVA transfrontalière. Vous connaissez, madame la ministre, nos combats sur tous ces sujets.

Cependant, la création de ce parquet ne va pas sans soulever, à nos yeux, quelques questions.

Qu’en est-il, d’abord, de la garantie d’indépendance promise aux parquetiers européens ? Le procureur mènera seul l’intégralité des investigations en matière d’atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, et exercera les poursuites devant le tribunal judiciaire de Paris. « Si son indépendance est reconnue par le règlement, elle risque pourtant de rester une chimère si elle n’est pas entourée de garanties », estime le Syndicat de la magistrature. Or le projet reste muet sur les conditions de cette indépendance, le Gouvernement expliquant avoir fait le choix d’une mise à disposition du magistrat français souhaitant exercer ces fonctions.

Aussi la cohérence entre le statut de ce Parquet européen, en situation de détachement, et celle du parquet français actuel pose-t-elle question. La création du Parquet européen aurait pu être l’occasion d’envisager une réforme en profondeur du statut des magistrats du parquet, réforme que nous demandons depuis longtemps.

À cet égard, madame la garde des sceaux, qu’en est-il du projet de réforme tant attendu sur le sujet ?

M. André Reichardt. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Par ailleurs, le procureur européen délégué pourra, à son appréciation, mener l’enquête selon les règles applicables à l’enquête parquet ou selon les règles applicables à l’instruction, en se passant du juge d’instruction. Cela pose aussi question, d’autant que les compétences du parquet, pour l’instant limitées aux affaires financières, pourront ou pourraient par la suite être étendues, notamment en matière d’antiterrorisme.

Nous serons vigilants sur ce point, sachant en outre que cette extension de l’arsenal judiciaire de l’Union européenne ne peut être pensée tout à fait indépendamment du reste de la politique européenne – je pense notamment à la politique sécuritaire de l’Union. De ce point de vue, nous gardons à l’esprit le modèle qui a présidé à la construction de l’espace européen sur la base du contrôle aux frontières et d’une fermeture aux extra-communautaires, modèle d’ailleurs largement inefficace pour enrayer la criminalité transfrontalière, qu’il s’agisse de terrorisme, de trafic de drogue ou d’immigration clandestine.

J’en viens au volet environnemental du projet.

Afin de remédier à la grande faiblesse du contentieux environnemental, l’article 8 institue une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, qui concernera les personnes morales.

Désengorger les tribunaux par le recours à la justice « transactionnelle », d’inspiration américaine, ne nous laisse présager rien qui vaille : sans la tenue d’un procès en bonne et due forme et avec des droits de la défense inexistants, ces conventions ne permettront pas une reconnaissance explicite de la culpabilité de l’auteur du délit.

Aussi, il y a fort à parier que les entreprises fautives se tireront d’affaire à moindres frais et sans trop écorner leur réputation. Nous proposerons, à titre de solution de repli et pour remédier à ce problème, d’aménager le dispositif de cette convention.

Pour notre part, nous considérons qu’il est urgent de donner davantage de crédit à la justice environnementale et, surtout, d’accorder de vrais moyens aux polices de l’environnement. Or les moyens des agences de l’État, que ce soit l’Agence française pour la biodiversité ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), connaissent tous une rétraction.

Pour ce qui est des nouveaux pôles régionaux spécialisés, l’idée est non pas du tout de créer une justice spécialisée, mais simplement de nommer des référents sur les contentieux « environnement » au sein des juridictions existantes. L’étude d’impact du projet de loi précise bien que cette mesure est « à moyens budgétaires constants ».

Si, en vertu de la dimension « pédagogique », soulignée en commission par M. le rapporteur, nous pouvons partager l’avis de Greenpeace, qui considère que « ces juridictions spécialisées permettraient aux magistrats d’être plus à l’aise avec les dossiers environnementaux », nous ne pouvons cependant que regretter l’insuffisance, voire l’inutilité – des juridictions spécialisées, en effet, existent déjà –, des dispositifs proposés par le Gouvernement pour répondre à cette question essentielle pour les décennies à venir.

Enfin, toutes les dispositions « annexes » nous semblent inquiétantes, bien que peu surprenantes, car dans la droite ligne de la politique que vous avez portée en matière d’organisation judiciaire par le biais de votre loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : moins de collégialité dans la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête ; plus de pouvoir, de manière générale, conféré aux OPJ ; recours accru à la visioconférence ; instrumentalisation de notre code pénal à des fins d’affichage, avec la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports.

Mais nous reviendrons sur tout cela au cours du débat.

En définitive, madame la ministre, alors que nous aurions pu voter en faveur du volet relatif au Parquet européen, le volet environnemental apparaît, lui, bien en-deçà des attentes, et – je viens de le dire – certaines mesures du titre III nous semblent difficilement acceptables.

Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.

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