Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Depuis le droit romain et le Talmud, on ne juge pas les fous

Irresponsabilité pénale -

Par / 25 mai 2021

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, des affaires tragiques – le meurtre de Mohamed El Makouli en janvier 2015 et, plus récemment, celui de Sarah Halimi le 3 avril 2017 – ont suscité beaucoup d’émoi dans l’opinion publique. Nos concitoyens ont manifesté leur incompréhension à la suite des décisions de justice ayant conclu, pour les deux meurtriers, à une irresponsabilité pénale.

Dans les deux cas, les avocats des parties civiles ont invoqué la prise antérieure de stupéfiants pour contester l’abolition du discernement au moment des faits et donc l’irresponsabilité pénale.

En application de l’article 122-1 du code pénal, cette détermination relève de l’appréciation souveraine des juges. Toutefois, celle-ci est contestée sur un point précis : la prise en compte du fait fautif de l’auteur de l’acte, autrement dit la consommation de stupéfiants ou d’alcool antérieurement à la commission de l’infraction.

En la matière, la jurisprudence est constante. Elle montre que ce fait fautif n’a jamais été reconnu, puisque l’intention de l’auteur s’apprécie au moment des faits. Mais il s’agit là d’un vieux sujet de controverses en doctrine et, surtout, dans l’opinion publique.

C’est dans ce contexte que la commission des lois a souhaité mettre à l’ordre du jour la question de l’irresponsabilité pénale en examinant deux propositions de loi en une.

Les dispositifs issus du texte proposé par Jean Sol restant en discussion, à savoir les articles 3 à 10 de cette proposition de loi, vont selon nous dans le bon sens. Je pense notamment à l’article 4, qui restreint le champ de l’examen clinique prévu en garde à vue à la compatibilité de santé de la personne avec la mesure.

En revanche, nous sommes vertement opposés au principal dispositif proposé. Certes, nous pouvons nous réjouir que l’article 122-1 du code pénal reste finalement intact, comme le préconisait d’ailleurs le rapport de MM. Raimbourg et Houillon. Mais la rapporteur n’a pas abandonné l’idée selon laquelle, lorsque l’auteur d’un crime ou d’un délit a commis préalablement à son acte une infraction qui a entraîné l’abolition de son discernement, sa responsabilité pénale doit pouvoir, dans certains cas, être reconnue.

Ce mécanisme emporte deux conséquences non négligeables et même, selon nous, déplorables.

Premièrement, il vise à instaurer, dans certains cas, un véritable procès d’abolition du discernement, alors même qu’une audience publique est prévue par la loi de 2008. À nos yeux, ce procès symbolise le rapport disciplinaire entre justice et folie. Pis, il exhiberait la souffrance de toutes les parties sans permettre la « consolation » parfois espérée. D’ailleurs, on peut déjà le constater lors des audiences publiques.

Aussi, je m’interroge : cette forme de procès pour les personnes qui relèvent de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne ferait-elle pas fléchir l’institution vers une justice que je qualifierai d’outrancière ?

En outre, malgré les précautions prises avec la notion d’abolition temporaire, les garanties du procès équitable, qu’exige notamment le droit international, ne sont pas observées.

Deuxièmement, avec ce mécanisme de fait fautif, l’irresponsabilité pénale ne sera plus automatique lorsqu’on sera face à une abolition du discernement.

S’ajoute donc, aux notions d’altération du discernement et d’abolition, la notion d’abolition temporaire liée à un fait fautif. Légiférer en ce sens, ce serait oublier que ces comportements ne sont pas nécessairement fautifs et qu’ils peuvent être, non pas la cause de l’abolition du discernement, mais sa conséquence.

Certes, la peur irraisonnée de la folie est un fait : on l’observe dans la population. Mais la responsabilité du politique, c’est-à-dire de nous tous ici présents, ne serait-elle pas de dépassionner le débat judiciaire, de mettre en place des pare-feux juridiques pour protéger les plus faibles au lieu d’alimenter ce débat judiciaire de commentaires politiques opportunistes, voire de propositions de loi de circonstance ?

Pourtant, contrairement au soin, la peine a une fin. L’univers d’une unité pour malades difficiles est aussi privatif de liberté que l’univers carcéral. L’unique différence est que le personnel qui y exerce est spécifiquement formé.

Finalement, à l’heure où l’équilibre entre sécurité et liberté n’a jamais été aussi fragile, nous voyons à l’œuvre un courant d’utilitarisme pénal qui se mue, depuis des années, en populisme pénal. Ce texte en est l’énième illustration, bien que les doutes profonds exprimés par la commission des lois et l’ensemble des juristes qui y siègent soient le reflet de la difficulté majeure à surmonter en la matière : depuis le droit romain et le Talmud, « on ne juge pas les fous ».

Mes chers collègues, vous l’avez compris : si certains articles, que j’ai cités précédemment, suscitent notre intérêt, cette proposition de loi dans son économie générale traduit une vision de la société qui n’est pas la nôtre. C’est la raison pour laquelle nous la rejetterons !

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