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Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette proposition de loi vise en fait à restreindre le droit de manifester

Prévention des violences lors des manifestations et sanction de leurs auteurs -

Par / 23 octobre 2018

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’arsenal législatif déployé ces dernières années pour lutter contre la violence dans les manifestations est colossal. Mme Troendlé l’a rappelé en présentant son rapport : les prorogations successives de l’état d’urgence entre 2015 et 2017 et les lois antiterroristes qui ont suivi ont largement contribué à alimenter cet arsenal. À tel point qu’Amnesty International a publié, le 31 mai 2017, un rapport intitulé Un droit pas une menace – Restrictions disproportionnées à la liberté de réunion pacifique sous couvert de l’état d’urgence en France.

Selon les auteurs de cette proposition de loi et notre rapporteur, la force des violences, de plus en plus importante aujourd’hui, notamment avec le phénomène des Black Blocs et leur mode opératoire, met en question l’efficacité de ces mesures, pourtant nombreuses. C’est pourquoi ils proposent de les compléter.

Au préalable, je rappelle, s’il en était besoin, que tous les membres de mon groupe condamnent l’action des Black Blocs et de tout groupe troublant les manifestations pacifiques. Nous condamnons toutes les violences et dégradations dans l’espace public !

Ces individus portent atteinte d’abord aux manifestants eux-mêmes – nous savons de quoi nous parlons – et au droit de ceux-ci à manifester.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Leurs agissements nuisent surtout aux messages véhiculés et aux revendications légitimes des manifestants, bien souvent relégués au second plan par les médias, qui se focalisent généralement plus volontiers sur les débordements que sur le fond de la colère des manifestants.

À cet égard, je m’interroge sur le fait qu’aucune des forces organisatrices de manifestations n’ait été auditionnée par Mme la rapporteur.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je les ai reçues ce matin, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Peut-être nous en parlerez-vous donc… Il serait en effet intéressant de connaître leur point de vue, à elles qui sont concernées par les dispositifs de sécurité en amont des manifestations, pendant celles-ci, puis en aval et qui subissent également les violences de groupes comme les Black Blocs.

Nous nous interrogeons en outre sur l’unique justification de cette proposition de loi visant clairement à restreindre le droit de manifester : la violence qui s’accroîtrait.

Dans une interview donnée au Figaro à la suite des manifestations contre la loi Travail, Olivier Cahn, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, expliquait que le niveau de violence des manifestations en France avait baissé, malgré quelques débordements individuels. « Le niveau de violence a même eu tendance à baisser depuis les années 1970-1980 », constatait-il, en faisant parallèlement observer que, « structurellement, le maintien de l’ordre s’est durci ces dernières années en France, alors qu’à l’étranger la tendance est à la désescalade ».

Et M. Cahn de préciser : « La tradition française, qui était de maintenir à distance les manifestants pour faire le moins de blessés, a évolué. Elle a progressivement laissé la place à une vision plus légaliste où les autorités vont moins rechercher le dialogue avec les syndicats au cours de la manifestation. »

Pour nous, les réponses apportées n’assurent pas l’équilibre fragile entre sécurité publique et libertés publiques. En effet, cette proposition de loi rogne clairement les libertés publiques, quoi qu’en disent ses défenseurs. (M. François Bonhomme s’exclame.) Elle rogne notamment la liberté de manifester, nous laissant craindre la mise en place progressive des conditions permettant, à terme, de mettre fin à toute manifestation. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteur proteste.)

M. Alain Dufaut. Ridicule !

Mme Éliane Assassi. Comme l’a demandé mon collègue Pierre-Yves Collombat en commission, ne peut-on pas neutraliser quelques individus ultraviolents autrement qu’en violentant une fois encore les libertés publiques et en s’en prenant au code pénal ?

Il est très inquiétant de constater que les articles 1er et 2 de la proposition de loi sont directement issus de la législation antiterroriste telle qu’elle a été aggravée l’année dernière, à la suite des nombreux renouvellements de l’état d’urgence et à l’instauration dans notre droit commun d’un certain nombre de dispositifs déployés dans ce cadre précis de menace terroriste. Le droit d’exception continue donc de polluer notre droit commun, au détriment des libertés individuelles et publiques !

Permettez-moi de rappeler que, en droit international, le droit à la liberté de réunion pacifique est inscrit dans les traités relatifs aux droits de l’homme auxquels la France est partie, comme les droits à la liberté d’association et à la liberté d’expression, auxquels il est étroitement lié.

En ce sens, les propos du Défenseur des droits ne sont guère rassurants, puisqu’il estime, madame la rapporteur, dans la contribution qu’il vous a remise, que, « eu égard à son économie générale, cette proposition de loi apparaît tout à la fois inutile et dangereuse et semble s’affranchir des exigences constitutionnelles et conventionnelles ».

En droit français, l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle, énonce clairement la liberté de manifestation des opinions : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Ce ne sont pas les manifestants eux-mêmes qui troublent l’ordre public.

En matière de sécurité publique, les forces de l’ordre n’ont sûrement pas besoin de ce genre de dispositif. En revanche, la rénovation de leurs moyens matériels et humains est urgente. L’explication de ces violences réside sans doute moins dans leur accroissement ou leur intensité hypothétiques que dans l’incapacité de nos forces de l’ordre à les démanteler et à remonter le fil de ces formations violentes, qui pourtant expriment bien souvent leurs intentions avant de frapper, faute de moyens suffisants.

Mes chers collègues, il est grand temps de changer de paradigme, de cesser de s’inscrire dans le diptyque caricatural : tout-sécuritaire et répression ou tout-libertaire et laxisme !

Enfin, il faudra bien un jour que nous nous intéressions à une question – même si elle n’est pas le sujet de cet après-midi. En février 2017, six experts mandatés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ont interpellé le gouvernement français sur « l’usage excessif de la force par la police ». (M. François Grosdidier s’exclame.) En 2016, c’est le Défenseur des droits qui avait dénoncé dans un rapport l’usage excessif de la force par la puissance publique. Dans le cadre de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, Jacques Toubon a de nouveau signalé ce problème devant le Sénat.

M. le président. Il vous faut conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Les violences policières également portent atteinte au droit de manifester, ainsi qu’aux conditions de travail des policiers eux-mêmes, qui, bien sûr, dans leur grande majorité, exercent leurs missions dans un cadre tout à fait légal et respectable.

Vous l’aurez compris : nous nous opposerons fermement à cette proposition de loi, à l’instar du Défenseur des droits, qui, dans la note précitée par Mme la rapporteur, l’a jugée « déséquilibrée, attentatoire aux libertés et susceptible d’exposer les forces de l’ordre à davantage de risques et de dégrader leur relation avec la population » !

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