Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte met en péril la liberté de manifester

Maintien de l’ordre public lors des manifestations (deuxième lecture) : question préalable -

Par / 12 mars 2019

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des lois, « avec cette loi, on transfère aux préfets des pouvoirs que détiennent les juges. [...] Nous touchons donc à l’État de droit, et c’est proprement inacceptable ! ». Ces mots, mes chers collègues, n’émanent pas d’un dangereux agitateur, mais sont ceux de Charles Amédée de Courson, député centriste de la Marne, connu pour ses convictions libérales sur le plan économique.

Nous nous retrouvons aujourd’hui, avec des hommes et des femmes d’horizon très divers, pour combattre une proposition de loi qui porte gravement atteinte à plusieurs libertés constitutionnelles, à commencer par le droit de manifester.

C’est le 7 janvier 2019 qu’Édouard Philippe, très martial, a annoncé sa volonté de reprendre pour le compte du Gouvernement la proposition de loi adoptée par le Sénat le 23 octobre 2018, trois semaines avant la première manifestation des « gilets jaunes », le 17 novembre.

Le changement d’attitude du Gouvernement par rapport à ce texte est manifeste : M. Nunez citait en octobre l’article de la Déclaration des droits de l’homme fondant le droit de manifester et recommandait d’attendre et de bien réfléchir avant de légiférer ; M. Soilihi annonçait que le groupe La République En Marche voterait contre le texte.

C’est donc sous la pression de l’événement, dans le cadre d’une stratégie de communication, qu’Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité ont tenté d’étouffer les revendications du mouvement des « gilets jaunes » par la mise en exergue d’actes violents, spectaculaires, qui sont le fait d’une infime minorité de manifestants.

Monsieur le ministre, je l’ai dit et répété le 7 mars, lors de l’examen de notre proposition de loi visant à interdire les LBD 40 : les fonctionnaires de police ne sont pas responsables collectivement de la situation actuelle. Vous les envoyez en première ligne, avec des ordres et une doctrine qui ne permettent pas l’apaisement.

Notre opposition à ce texte, à la stratégie de la tension mise en œuvre, vise à protéger autant les policiers que les manifestants !

Comment ne pas faire le lien entre les mesures envisagées, sur lesquelles je reviendrai avant que mon amie Esther Benbassa ne les détaille dans la discussion générale, et ces propos dangereux, d’une responsabilité mal assurée, d’Emmanuel Macron : « il faut maintenant dire que, lorsqu’on va dans des manifestations violentes, on est complice du pire » ?

Avec ces propos, M. Macron ne calme pas le jeu ; il souffle sur les braises, espérant, comme nombre de ses prédécesseurs, que la provocation à la violence permettra un pourrissement du mouvement.

Face à la persistance du soutien de l’opinion et des manifestations, malgré les difficultés d’exercer ce droit constitutionnel, le Président de la République devrait plutôt regarder la vérité en face : seule une réponse politique aux aspirations populaires portées par ce mouvement et profondément ancrées dans les villes et les campagnes, seule une réponse politique à cette formidable exigence de dignité et de démocratie, seule une réponse politique aux salariés et aux retraités qui demandent tout simplement à vivre, qui attendent une nouvelle répartition des richesses assurant l’égalité, seule cette réponse politique permettra de résoudre cette crise !

Monsieur le ministre, par le passé, seule une réponse politique a permis de dénouer des crises qui, elles aussi, comportaient, comme tout soulèvement populaire, leur part de violence.

Depuis sa présentation, puis son adoption à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi suscite un véritable tollé. Comment ne pas rappeler les propos de M. Toubon ? Il l’estime « déséquilibrée, attentatoire aux libertés et susceptible d’exposer les forces de l’ordre à davantage de risques et de dégrader leur relation avec la population ». En cela, M. Toubon est fidèle aux valeurs d’une droite républicaine qui sait que l’usage disproportionné de la force met en danger l’équilibre de la société.

Le 7 mars dernier, j’ai évoqué la lettre dans laquelle le préfet Grimaud, en 1968, dans un contexte de grave crise, rappelait la doctrine française du maintien de l’ordre, une doctrine qui, malheureusement, appartient aujourd’hui au passé. Cet après-midi, mes chers collègues, je citerai cette lettre, car elle peut éclairer votre vote.

« Frapper un manifestant à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. [...] Il est encore plus grave de frapper des manifestants après leur arrestation. [...] Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de camarades qui souhaitent se venger. Cette escalade n’a pas de limites. » Voilà les propos du préfet Grimaud !

M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, votre choix de l’escalade constitue un danger démocratique.

Cinquante-deux associations et syndicats l’affirment : « Cette loi de circonstance porte un lourd risque d’arbitraire des gouvernements d’aujourd’hui comme de demain. » Et de préciser : « Les violences contre les personnes, les biens, les institutions qui ont eu lieu ne peuvent justifier qu’un exécutif s’arroge des pouvoirs exorbitants et décrète qui peut ou ne peut pas manifester. »

M. Bruno Sido. Il ne s’agit pas de cela !

Mme Éliane Assassi. Oui, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi met en péril la liberté de manifester !

Je présenterai quelques remarques sur les points essentiels de ce texte.

L’article 2, qui, dès l’origine sénatoriale, transférait le pouvoir d’interdire à une personne de manifester du juge au préfet, c’est-à-dire au représentant du pouvoir politique, courait le risque d’inconstitutionnalité au point, comme le reconnaît le président Bas, de devoir être strictement encadré. D’ailleurs, le Président de la République lui-même s’interroge, puisqu’il a annoncé, hier, vouloir saisir le Conseil constitutionnel.

En vérité, on marche sur la tête : pourquoi le Président de la République annonce-t-il, la veille du débat sénatorial, la saisine du Conseil constitutionnel, alors que le Sénat s’apprête à voter conforme ce texte, si la majorité Les Républicains le vote ainsi ?

À l’Assemblée nationale, plus de faux-semblants ni de préventions : l’article 2 a été musclé au point de prévoir que l’interdiction puisse être assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de manifester sur tout le territoire, pour une durée pouvant atteindre un mois. De plus, les députés ont décidé que les personnes interdites pourraient ne pas avoir été condamnées préalablement et pourraient n’avoir commis que des « agissements » durant un rassemblement précédent – terme vague, inspiré de la loi anti-hooligans. Mais, monsieur le ministre, mes chers collègues, supporter une équipe, ce n’est pas exercer un droit constitutionnel !

Cet élargissement important du champ de l’article 2 expose celui-ci à une censure, comme il a été souligné lors des interventions sur la motion d’irrecevabilité. D’ailleurs, Mme la rapporteure a rappelé ce danger, tout comme le président de la commission des lois, devant la presse et en commission.

Hier, donc, c’est M. Macron qui a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel, sans doute pour faire bonne figure. Pourquoi le législateur ne prend-il pas ses responsabilités ? Pourquoi renvoyer cette mission au Conseil constitutionnel, dont, je le rappelle, la légitimité n’est pas la même que celle des assemblées républicaines ?

L’article 3, qui concerne le fichage – un de plus… – des personnes interdites de manifestation, porte également atteinte aux libertés individuelles, d’autant que l’Assemblée nationale entend mêler dans un même fichier délinquants, terroristes et manifestants.

Quant à l’article 4, relatif à la pénalisation de la dissimulation du visage, même partielle, laquelle serait passible, selon vos souhaits, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, il s’expose aussi, selon Mme la rapporteure, à l’inconstitutionnalité, l’Assemblée nationale ayant supprimé, sur l’initiative d’un député En Marche, Mme Laurence Vichnievsky, l’élément intentionnel.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons constaté l’utilisation massive de gaz lacrymogènes durant les manifestations, déclarées ou non. Lors de certains rassemblements, des milliers de grenades ont été utilisées. Comment oser empêcher un manifestant de se protéger ? Si l’élément intentionnel est supprimé, même les personnes tentant de protéger leur respiration seront visées et ne pourront exercer le droit constitutionnel de manifester !

Pour vous dire le fond de ma pensée, ce texte me paraît particulièrement inopportun. À l’heure où je vous parle, si une trace doit rester dans l’histoire de ce mouvement, outre son originalité, sa force, sa persistance et, ne vous en déplaise, sa popularité, c’est la répression systématique et violente qui s’abat sur lui.

Après le Défenseur des droits, le Conseil de l’Europe, l’ONU même, ce sont trente-cinq ophtalmologistes, professeurs de renommée internationale, qui ont écrit à Emmanuel Macron pour demander un moratoire…

M. François Grosdidier. Sur les manifestations ?

Mme Éliane Assassi. … sur l’utilisation des LBD 40. Il faut aujourd’hui interdire cette arme !

Mes chers collègues, ce nouveau monde est étonnant : il reprend à son compte une vieille loi adoptée en 1970, la loi anti-casseurs. Faire du vieux avec du vieux pourrait être leur doctrine, votre doctrine, monsieur le ministre… Vous répétez à l’envi que vous ne changez pas de cap, mais, pour tenter désespérément de le maintenir, vous vous appuyez sur la répression !

Le vote conforme proposé au Sénat, qui vole au secours d’Emmanuel Macron en la matière, vise à contrer l’impopularité croissante de la politique répressive, y compris au sein de la majorité. Cette précipitation est un aveu de faiblesse.

Les valeurs profondes de notre République, qui ont marqué l’histoire de notre pays, malgré les tragédies et les souffrances, s’imposeront, j’en suis certaine. Le Sénat, qui s’affirme comme le gardien des libertés, n’a qu’une chose à faire pour ne pas trahir sa parole : rejeter d’emblée ce texte, dire « stop » à une incontestable dérive autoritaire !

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