Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un fichage généralisé de nos concitoyens

Protection de l’identité (deuxième lecture) -

Par / 3 novembre 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui en deuxième lecture tend à lutter contre l’usurpation d’identité grâce à l’instauration d’un titre national d’identité biométrique.

Si les usurpations d’identité existent et si elles ont de graves conséquences pour celles et ceux qui en sont les victimes, il nous semble nécessaire de clarifier le débat sur les objectifs affichés des auteurs de la proposition de loi et sur leurs ambitions réelles, comme d’ailleurs sur celles du Gouvernement. Il est clair en effet que cette proposition de loi est une œuvre commune !

À cet égard, nous continuons de dire que, sur un tel sujet, un projet de loi était préférable. Il nous aurait permis de disposer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État, notamment sur les risques majeurs d’atteintes aux libertés publiques.

En effet, cette proposition de loi n’instaure pas simplement une carte nationale d’identité modernisée. Elle prévoit également la constitution d’un fichier dans lequel seront inscrits pas moins de quarante-cinq millions de nos concitoyens ! C’est d’ailleurs bien cela qui intéresse le Gouvernement, monsieur le ministre ! Vous avez en effet proposé, en dernier recours, d’amender le texte pour en revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, laquelle prévoit l’instauration d’un lien fort au sein de ce fichier entre l’état civil d’un demandeur de titre et ses données biométriques, et ce afin de permettre une utilisation à des fins judiciaires.

L’acharnement dont vous faites preuve, monsieur le ministre, nous semble tout à fait éclairant sur la nature même de ce fichier. Vous le qualifiez d’ « administratif » alors que son objet sera principalement judiciaire.

Dès lors, vous comprendrez que le fichage généralisé de nos concitoyens dans le seul but de lutter contre l’usurpation d’identité nous semble pour le moins disproportionné. Certes, ce phénomène n’est pas anodin et plonge dans le plus profond désarroi celles et ceux qui en sont les victimes, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre ; mais l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales n’ayant recensé que 13 900 cas en 2009…

M. Jean-Jacques Hyest. Mais c’est énorme !

Mme Éliane Assassi. …– c’est beaucoup trop, je vous l’accorde –, la mise en œuvre d’un dispositif de portée générale ne nous paraît pas nécessaire. C’est d’ailleurs ce qu’a redit la CNIL dans sa note d’observations du 25 octobre dernier.

Ainsi, entre les objectifs affichés et la finalité inavouée de ce texte, il y a un fossé que nous regrettons.

Sur le fond, nous constatons que, progressivement, l’action sécuritaire du Gouvernement a profondément modifié la nature des fichiers prétendument destinés à lutter contre la délinquance. On en vient de plus en plus à du fichage généralisé. Comment expliquer autrement le fait que, aujourd’hui, trente-quatre millions de nos concitoyens figurent dans le STIC, le système de traitement des infractions constatées ? Ce phénomène est particulièrement dangereux.

Avec ce texte, monsieur le ministre, vous faites clairement un pas supplémentaire dans cette dérive sécuritaire. Le fichier central biométrique risque en effet de transformer l’ensemble de la population en coupables potentiels. Nous sommes bien loin, monsieur le rapporteur, du « fichier des gens honnêtes » que vous évoquiez !

Par ailleurs nous sommes extrêmement inquiets des déclarations de certains membres de l’UMP, lesquels considèrent que ce fichier aura des « retombées positives » sur le contrôle de l’immigration. Une telle évolution serait à notre sens particulièrement dangereuse. En tout cas, de tels propos sont révélateurs des utilisations, perverses pour certaines d’entre elles, qu’il serait possible de faire d’un tel fichier.

Pour notre part, nous contestons la création d’un fichier à vocation générale sous quelque forme, administrative ou judiciaire, que ce soit. Il serait dangereux pour les libertés publiques d’institutionnaliser cette forme de contrôle de la plus grande partie de la population. La CNIL a d’ailleurs alerté le législateur sur cette question, notamment dans un avis réservé sur le décret concernant l’établissement des passeports biométrique en date du 11 décembre 2007.

La CNIL a en effet considéré que, si légitimes soient-elles, les finalités gestionnaires définies dans le décret « ne justifiaient pas la conservation, au plan national, de données biométriques telles que les empreintes digitales et que les traitements ainsi mis en œuvre seraient de nature à porter une atteinte excessive à la liberté individuelle ».

Plus récemment, le 25 octobre dernier, elle a confirmé cette analyse sur le présent texte en évoquant même un détournement de finalité du fichier à des fins purement judiciaires. Elle a également réitéré son analyse en estimant que « la proportionnalité de la conservation sous forme centralisée des données biométriques, au regard de l’objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n’est pas à ce jour démontrée ».

Cette déclaration me semble plus qu’un appel à la prudence ! Nous aurions à ce titre souhaité que l’audition de présidente de la CNIL, annoncée par le rapporteur lors de la présentation du rapport, ait réellement pu avoir lieu.

Je vous rappelle également que la création de cette carte d’identité biométrique ne constitue en aucun cas une obligation européenne. En effet, le règlement européen du 13 décembre 2004 impose certes « d’insérer dans une puce la photographie du titulaire et ses empreintes digitales » dans les passeports et les visas mais en aucun cas dans les « cartes d’identité délivrées par les États membres ».

Par ailleurs, d’autres pays, à l’image de l’Allemagne, ont créé une carte nationale d’identité biométrique sans pour autant constituer de fichier centralisé. Cela devrait nous interpeller voire nous inspirer.

Il faut également se poser la question de savoir si cette nouvelle carte ainsi que le boîtier qui permettra de la lire seront payants ou gratuits pour nos concitoyens. Ce lecteur sera-t-il offert par l’État aux Français avec leur carte d’identité électronique, comme c’est le cas en Allemagne, ou faudra-t-il que les gens l’achètent, comme en Belgique ? Nous attendons des réponses claires à cet égard.

Comment ignorer également que le passage au biométrique est une formidable opportunité de créer un marché lucratif pour les quelques entreprises spécialisées dans ce domaine ? Mes chers collègues, je vous le dis tranquillement : la République et la Haute Assemblée ne peuvent être à la solde de lobbies. À ce titre, nous nous inscrivons en faux contre la présence sur cette carte nationale d’identité d’une puce de « e-commerce » permettant de répondre à la demande de sécurisation des transactions commerciales sur Internet émanant des industriels. Nous considérons en effet qu’un titre d’identité est intimement lié à la citoyenneté. Il ne doit donc pas être utilisé à des fins commerciales, sous peine de voir le citoyen supplanté par le consommateur. Un tel détournement est fondamentalement dangereux pour la démocratie.

Techniquement parlant, cette volonté de sécurisation des échanges sur Internet est, en outre, une course vaine. Plus les technologies seront avancées en matière de sécurisation des données, plus les moyens de les contourner seront élaborés. C’est une histoire sans fin !

Pour finir, je voudrais aborder une question qui n’a que très peu été évoquée : il s’agit de l’augmentation des charges pour les collectivités que cette proposition de loi suppose. Les communes sont déjà lourdement affectées par les passeports biométriques, alors même qu’elles sont exsangues ! Elles ne pourront indéfiniment faire face aux transferts de charges opérés par l’État. « Les missions des services état civil des mairies ne sont pas extensibles à l’infini », soulignait ainsi l’Association des maires de grandes villes de France.

Pour toutes ces raisons, nous voterons, une nouvelle fois, contre ce texte.

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