Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort

Par / 7 février 2007

Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mes Chers Collègues,

Je voudrais -avant toute chose- dire combien je suis honorée d’intervenir, aujourd’hui, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort.

Ainsi, un peu plus d’un quart de siècle après la loi du 9 octobre 1981, initiée par notre collègue Badinter, qui marqua un progrès indéniable, une avancée notoire vers l’humanisme, je suis fière de pouvoir participer -certes en toute modestie- à ce moment empli de symbole qui va nous permettre d’inscrire dans le marbre de notre Constitution que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
En 1981, notre pays a réalisé un des plus grands progrès de notre civilisation à un moment où celui-ci comptait pourtant 63 % de Français favorables à la peine de mort.
Le Peletier de Saint-Fargeau, Jean Jaurès, Victor Hugo, et tant d’autres..., les plus grands noms de l’histoire de France sont associés au combat en faveur de l’abolition de la peine de mort.

Les communistes, fervents partisans de l’abolition de la peine capitale, sont engagés de longue date pour la suppression de cette barbarie et toutes les formes d’oppression.
Les parlementaires communistes ont dès 1973, puis en 1979, déposé des propositions de loi d’abolition.
Ici au Sénat, c’est Charles LEDERMAN - ardeur défenseur des droits de l’homme - qui s’est exprimé le 29 septembre 1981 au nom du groupe communiste pour dire son soutien au texte qui devait devenir la loi historique du 9 octobre 1981.

Dans le prolongement, les communistes se sont associés aux abolitionnistes à travers le monde pour tenter de parvenir à l’abolition universelle de la peine capitale.
Le 12 février 2002, mon amie Nicole BORVO COHEN-SEAT fait adopter à l’unanimité de notre Haute Assemblée une proposition de loi du groupe CRC tendant à créer une journée universelle de la peine de mort.

Alors que ce texte marquait la volonté de réaffirmer avec force l’engagement de la France en faveur de l’abolition de la peine capitale et de promouvoir la généralisation de sa mise en œuvre à l’échelle internationale, il n’a jamais été examiné par l’Assemblée nationale.
Nous ne pouvons que le déplorer et demandons par conséquent que ce texte soit de nouveau examiné au parlement.
Aujourd’hui, nous nous réjouissons évidemment de l’inscription dans notre Constitution de l’abolition de la peine de mort que nous attendons depuis longtemps.

Hautement symbolique, cette inscription est aussi rendue nécessaire pour des raisons juridiques.
En effet, l’adoption du présent projet de loi - qui deviendra définitive après la réunion du parlement en Congrès à Versailles - répond à une recommandation du Conseil constitutionnel.

D’une part, la présente modification constitutionnelle va permettre l’adhésion de la France au second protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New York en 1989 qui rend l’abolition de la peine de mort définitive et irréversible.
D’autre part, elle va permettre de ratifier le protocole n°13 additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances c’est-à-dire en temps de paix comme en temps de guerre que la France a signé mais pas encore ratifié.

Jusqu’à présent en effet, la loi de 1981 laissait ouverte la possibilité de rétablir la peine capitale en cas de guerre. Il devenait, par conséquent, nécessaire de rendre toute marche arrière impossible en matière d’abolition de la peine de mort.

La présente démarche confirme ainsi la volonté de la France de faire triompher la cause de l’humanité dans et hors ses frontières, au plan européen comme au plan international.
Le présent texte devrait ainsi avoir valeur d’exemple pour les 78 pays qui n’ont pas encore renoncé à la peine capitale et où près de 2000 personnes attendent leur exécution.
C’est en effet un signal fort qui va être ainsi envoyé à tous ces pays. Espérons qu’il pèsera dans le mouvement abolitionniste dans le monde car si ce mouvement est en marche, le chemin est encore long pour éradiquer ce châtiment suprême qui est toujours en vigueur aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, dans les pays Arabes, en Iran...
Il est indispensable de continuer à œuvrer pour aboutir à la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale des textes répressifs de tous les Etats du monde.

L’abolition universelle demeure un objectif difficile à atteindre tant la situation internationale est contrastée et donc préoccupante.
Dans le monde, des femmes et des hommes continuent à être exécutés pour leur opinion, des homosexuels sont pendu, des femmes victimes de viol sont lapidées.
Nous sommes solidaires des voix aussi timides soient-elles qui s’élèvent dans les pays qui appliquent encore la loi du talion.

Je veux réaffirmer ici que l’universalité de l’abolition ne saurait souffrir de concepts à géométrie variable, ni connaître d’exception, ni de justifications d’ordre religieux.
Il est d’autant plus essentiel de le rappeler ici que, suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et ceux plus récents de Madrid et de Londres, la lutte contre le terrorisme -qui a déjà justifié une vague de lois sécuritaires et liberticides en France, en Europe et dans le monde- sert aussi de prétexte au renforcement dans certains pays de la législation en faveur de la peine de mort.

Y compris en France, la tentation est grande chez certains nostalgiques de la guillotine -qui n’hésitent pas à instrumentaliser les peurs et les désordres de la société- de rétablir la peine de mort pour certaines catégories de criminels, en particulier les terroristes, les meurtriers d’enfants, les violeurs ...

Depuis 1981, ce sont plus de 20 propositions de loi qui ont ainsi été déposées dont une sous la présente législature, en 2004, par 47 députés issus des rangs de l’UMP, de l’UDF et des « de villieristes ». Sans parler des amendements déposés sur ce texte lors de son examen au Palais Bourbon.
En matière de terrorisme, on le sait, les terroristes fanatiques ne craignent pas d’être condamnés à mort eux qui sont prêts à mourir pour défendre leur cause.
Les démocraties ne doivent pas tomber dans le piège de la violence qui leur est ainsi tendu. Elles ne doivent pas répondre à la violence par d’autres formes de violences sauf à employer finalement des méthodes qu’elles disent combattre par ailleurs.

Le présent texte doit ainsi jouer un rôle de garde-fou pour nous prémunir contre toute tentative de retour en arrière.
Son caractère irréversible empêchera en tout état de cause de rétablir cette peine inhumaine par une loi simple, même si la Constitution reste toujours révisable.
Il faudra par la suite rester vigilant et veiller à ce que la France ratifie rapidement le protocole international d’où il lui sera beaucoup plus difficile de se retirer s’agissant ici d’un traité onusien.
Adopter le présent texte ne nous exonère pas de continuer à dénoncer la peine de mort qui est une violation des droits de l’homme les plus fondamentaux partout où elle est pratiquée.

Outre la barbarie qu’elle représente, cette peine est inutile et inefficace en terme de lutte contre la criminalité.
Elle est dénuée de toute valeur d’exemplarité contrairement à ce qu’avancent certains et aucune statistique n’indique que la peine de mort puisse être dissuasive. D’ailleurs, là où elle est appliquée, la peine de mort n’a jamais fait baisser le nombre de crimes graves.

Il n’y a qu’à regarder du côté des Etats-Unis pour s’en rendre compte : les Etats (38 sur 51) qui ont qui ont rétabli la peine de mort n’ont pas enregistré de baisse de la criminalité. Inversement, ceux qui l’ont aboli, n’ont pas connu une augmentation du taux de criminalité.
Le Canada qui a aboli la peine de mort en 1976 a vu son taux de criminalité baisser de 20% !

La criminalité ne baisse-t-elle pas davantage sous l’influence d’amélioration des conditions économiques et sociales plutôt qu’en fonction des peines encourue ?
La peine de mort est une peine inhumaine qui nie toute évolution de l’homme ravalé au rang d’objet puisque considéré alors comme étant irrécupérable.
C’est une peine irréversible alors même que la justice reste faillible.
Comment accepter en toute conscience cette peine de mort au caractère si irrévocable, si irréparable, délibérément infligée à un homme par d’autres hommes dans l’incertitude la plus totale : incertitude de la loi, incertitude du jugement, incertitude finalement quant à la culpabilité du coupable ?

L’arrivée des tests ADN n’a-t-elle pas mis en évidence des erreurs judiciaires - irréparables par essence ?
On peut s’interroger : au total combien d’innocents ont-ils été tués dans le monde ?
Les hommes ne sont pas égaux devant la justice. La peine de mort - à l’instar de toutes les condamnations d’ailleurs - reflètent les dysfonctionnements de nos sociétés, révèlent les inégalités sociales et géographiques -la peine capitale n’existe pas dans tous les Etats d’Amérique- ainsi que les discriminations racistes - aux Etats-Unis il y a trois fois plus de condamnation à mort de personnes noires.

L’inscription dans notre texte fondamental de l’abolition de la peine capitale honore donc notre pays au lendemain de la tenue à Paris du 3ème Congrès mondial contre la peine de mort qui s’est achevé par une marche de 3000 personnes exigeant l’abolition universelle de cette pratique d’un autre âge.
La France devient ainsi le 16ème pays de l’UE et le 45ème au monde à accomplir cet acte à la valeur symbolique indéniable.

Cette loi vient parachever le mouvement historique entamé en France au siècle des Lumières et symbolisé par la loi du 9 octobre 1981. Mais le combat en faveur de l’abolition universelle ne s’arrête pas là, il continue.

Pour y parvenir, un moratoire universel des exécutions doit intervenir au plus vite. A cet égard, je me félicite de l’adoption -il y a quelques jours seulement- par les députés européens d’une résolution allant dans ce sens.
Je ne peux finir mon allocution sans citer Mumia Abu Jamal condamné à mort en 1982. Victime innocente d’un système judiciaire impitoyable en vigueur dans une grande démocratie, il croupit depuis des années dans le couloir de la mort d’une geôle américaine.

Nous, les communistes, en avons fait le symbole de la lutte contre la peine de mort et je sais que, du fond de sa cellule, il est attentif à ce qui se passe dans le monde en faveur de cette exigence universelle.
En ce 7 février, toutes mes pensées vont vers lui.

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