Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Pourquoi proroger des mesures qui ont fait la preuve de leur inefficacité ?

Sécurité et lutte contre le terrorisme : conclusions de la CMP -

Par / 10 décembre 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, à l’occasion de chaque discussion d’un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, nous condamnons tous avec la plus grande fermeté ces atteintes à la République que sont les actes ou les menaces terroristes, sous toutes leurs formes, où qu’ils se produisent et quels qu’en soient les responsables.

Les actes à caractère terroriste commis sur le sol de la Corse sont intolérables et méritent d’être condamnés avec la plus grande sévérité. Les Corses sont inquiets, à raison. Au-delà des déclarations, affronter cette situation suppose de prendre les mesures nécessaires, en écoutant attentivement les élus locaux. Certains d’entre eux ont été cités ici ; pour ma part, je voudrais saluer particulièrement mon ami Dominique Bucchini, président de l’Assemblée de Corse, qui fait preuve de courage et de détermination, ne ménage pas ses efforts, ne mâche pas ses mots pour dénoncer ces actes et formuler des propositions en vue d’attaquer le mal à sa racine et de lutter contre les dérives criminelles.

Cette « union sacrée » ne doit cependant pas faire oublier que les débats relatifs à la lutte contre le terrorisme ont toujours soulevé un dilemme démocratique : comment concilier quête de sécurité et respect des libertés et des droits fondamentaux ?

Pour notre part, nous nous sommes toujours refusés à concevoir le combat contre le terrorisme à travers le seul prisme sécuritaire et avons toujours été attentifs au respect des droits fondamentaux. Nous considérons en effet que le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe réservé aux époques de prospérité.

Nous n’avons eu de cesse d’affirmer que la démocratie n’est pas un acquis. La faire vivre requiert une vigilance permanente et un travail constant. Elle repose sur un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, sans porter atteinte à ses fondements mêmes.

Des réalités aussi fondamentales que celle d’aller et venir ou le droit au respect de la vie privée sont en réalité la base d’une sécurité durable, et non un obstacle à celle-ci.

C’est la raison pour laquelle les articles 1er, 2 et 3 de ce projet de loi ne peuvent nous satisfaire.

Je n’y reviendrai pas dans le détail, mais je rappelle que l’article 1er proroge jusqu’au 31 décembre 2015 les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, dont le dispositif avait été adopté à titre expérimental. Comme l’ensemble de la gauche l’avait souligné, notamment en 2008, l’article 3 de cette loi vise à lutter non pas contre le terrorisme, mais bien contre l’immigration clandestine, en instaurant un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration.

L’article 2 a pour objet l’extension de l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme de nature délictuelle commis à l’étranger. Cette possibilité existe déjà, notamment grâce à la notion d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de poursuivre les auteurs de tels faits. De plus, cette notion large laisse de facto beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français. Des Français détenus à Guantanamo, libérés par les autorités des États-Unis, ont ainsi été condamnés à leur retour dans notre pays.

L’article 3 dispose que si la commission départementale d’expulsion n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, il sera réputé rendu. Cela fera supporter aux ressortissants étrangers les conséquences des encombrements des audiences des commissions d’expulsion. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua », les avis de cette commission ne revêtent qu’un caractère consultatif et, à la suite de multiples modifications du CESEDA, elle n’est pas saisie en cas d’urgence absolue.

Introduire ainsi la notion de rejet implicite revient à anéantir doucement mais sûrement le rôle de la commission d’expulsion, pourtant essentiel à la garantie des droits de la défense.

Cette situation est d’autant plus déplorable que l’Assemblée nationale a élargi le champ d’application de l’article 3 : le Sénat avait souhaité le restreindre aux activités à caractère terroriste, mais les députés sont revenus sur ce point, entretenant, là encore, une confusion entre les dispositions relatives au terrorisme et celles qui ont trait à l’immigration.

Mes chers collègues, vingt-six années de législation antiterroriste ont-elles permis de réduire le phénomène ? La question est complexe ; la réponse, pour autant qu’il y en ait une, ne l’est pas moins. En tout état de cause, à l’évidence, ce n’est pas en accroissant notre arsenal législatif en réaction à des actes plus horribles les uns que les autres que nous identifierons les causes réelles du terrorisme afin de mieux les combattre : il y faut du temps.

Surtout, nous ne devons pas nous satisfaire d’une politique sécuritaire qui se bornerait à un fichage généralisé, chaque citoyen étant considéré comme un terroriste potentiel. En cette matière plus qu’en toute autre, le législateur doit donc prendre le temps de l’analyse, à travers un contrôle politique, juridique et citoyen de la situation, avant d’envisager les mesures nécessaires.

Or le texte qui nous est proposé prévoit, à l’inverse, de proroger des mesures qui ont déjà prouvé leur inefficacité, par exemple lors du drame de Toulouse. De surcroît, le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation de ces dispositions instaurée à l’article 32 de la loi de 2006. Par ailleurs, le rapport sur les éventuels dysfonctionnements des services de renseignement français demandé par M. le ministre de l’intérieur ne nous a pas encore été communiqué. Cela étant, je me félicite de ce que la création d’une commission d’enquête portant sur ce sujet vienne d’être décidée par l’Assemblée nationale.

Il serait donc logique et de bonne méthode d’adopter une approche inverse : d’abord analyser, puis légiférer. Le recours à la procédure d’urgence ne saurait, pas plus aujourd’hui qu’hier, se justifier, eu égard à l’inachèvement du travail d’analyse entrepris, sinon pour proroger des dispositions mises en place par l’ancienne majorité, que l’ensemble de la gauche, je le répète, avait pourtant critiquées et rejetées.

Chers collègues, la perplexité dont vous avez fait montre lors de l’adoption de ces dispositions, confortée depuis par la démonstration de leur inefficacité, devrait vous conduire à prendre le temps de les analyser en profondeur, dans l’intérêt de tous.

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