Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Politique d’immigration : audition d’Eliane Assassi par la commission Mazeaud

Par / 3 juin 2008

Mesdames, Messieurs,

En premier lieu, je tiens à remercier le Président Mazeaud et chaque membre de la commission d’auditionner les parlementaires communistes.

Ce faisant, vous auditionnez également la membre du PCF que je suis. Je veux donc rappeler ici les liens forts qui unissent depuis des décennies le PCF aux étrangers vivant ou non sur notre territoire. Mon propos sera donc traversé par ce lien historique.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je ferai quelques observations liminaires :

— > Avec la multiplication des commissions extraparlementaires chargées de modifier la Constitution telles que :

* la présente commission portant sur la nouvelle politique d’immigration,

* la Commission Veil chargée de réfléchir à la modification du Préambule de la Constitution en vue de garantir notamment le respect de la diversité,

* et celle relative à la modernisation des Institutions dont la réforme est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale

On peut donc légitimement se demander comment tout cela peut s’articuler.

— > A cet égard, vous aurez noté l’adoption dans le cadre de ce projet de loi de modernisation des Institutions d’un amendement du rapporteur Warsmann qui a pour objet de « permettre au législateur, par-dessus le principe de dualité de juridiction, de simplifier au nom de la bonne administration de la justice et du droit à l’accès au juge la répartition des contentieux ». Je crois savoir, Monsieur le Président, que vous ne partagez pas vraiment sur le fond et sur la forme cet amendement et quelque part, cette intrusion dans vos travaux.

Tout ceci m’amène à m’interroger sur l’utilité de votre commission dès lors que la modification constitutionnelle à laquelle celle-ci est censée réfléchir concernant la répartition du contentieux des étrangers vient d’être votée à l’Assemblée nationale et que Monsieur Hortefeux, dans un article paru ce matin dans un quotidien, a une certaine tendance à fermer tout éventuel débat en la matière et, plus largement, à clore par avance votre travail.

— > Il faut rappeler également le contexte dans lequel vous travaillez, c’est-à-dire à l’aube de la très prochaine présidence française de l’UE au cours de laquelle M. Sarkozy veut donner un signal fort aux Etats membres en matière d’immigration - notamment à l’Italie et à l’Espagne qui ont procédé récemment à des régularisations massives et qui connaissent contrairement à la France une faible démographie.
Le Président français souhaite ainsi mettre en place un pacte européen sur l’immigration pour affirmer le refus des régularisations massives et, instaurer un régime européen de l’asile. Pour autant faut-il souligner que compte tenu de la baisse de la natalité (à l’exception de la France) en Europe, il va manquer à cette dernière environ 20 millions de personnes.

— > Le parlement européen doit par ailleurs se prononcer au mois de juin sur la fameuse directive européenne qui réforme notamment la durée de rétention pour la porter de 32 jours actuellement à 18 mois et instaure une interdiction de revenir en Europe pendant 5 ans. Voilà pour les quelques remarques préalables.

I- Concernant les quotas d’immigration :

C’est l’aboutissement - sans doute dans sa forme la plus inhumaine à notre sens - de « l’immigration choisie », concept inventé par N.Sarkozy en 2003 et répété depuis à l’envi sous désormais le vocable « immigration choisie et concertée » comme pour mieux faire « digérer » cette idée à l’opinion publique.

Mais ce nouveau vocable ne change rien sur le fond et sur la forme des ambitions du gouvernement et du Président de la République. Les réformes législatives engagées depuis 2003 ont en effet procédé à un changement radical et profond de l’approche de l’immigration dans notre pays.

Ces textes - largement inspirés de la politique prônée par l’Union européenne - tournent résolument le dos à nos valeurs les plus sacrées, les plus ancrées dans notre République : liberté, égalité, fraternité, mais aussi solidarité, coopération, respect du vivre ensemble...

On est vraiment loin ici de la France terre d’asile, de la France patrie des droits de l’Homme.

Cette orientation du gouvernement - latente dans la loi du 26 novembre 2003 - a été par la suite clairement inscrite dans la loi du 24 juillet 2006 et dans celle de 2007 : l’immigration légale c’est-à-dire celle liée à la vie privée et familiale a été désignée - pour la première fois - comme étant une immigration « subie » à laquelle il faudrait substituer une immigration « choisie ».

Le pouvoir en place oppose ainsi l’immigration familiale que le pays subirait et qu’il faudrait réduire (les modifications législatives sur le regroupement familial s’en sont déjà chargées) à l’immigration de travail qu’il souhaiterait choisir pour la porter à 50% de l’immigration totale.
C’est une vision caricaturale et fausse de l’immigration qui consiste à dire qu’il y aurait d’un côté des célibataires travailleurs et de l’autre des familles inactives qui vivraient des aides sociales.

Or, l’immigration économique et l’immigration familiale sont intimement liées : celui qui vient pour travailler en France peut y faire venir sa famille au titre du regroupement familial ou se marier en France avec une personne française ou étrangère.

De même qu’une personne venant en France au titre du regroupement familial peut trouver un travail pour vivre dans des conditions décentes.

Cette opposition entre immigration de travail et immigration familiale n’a aucun sens. D’ailleurs une étude récente a montré que 70% à 75 % des étrangers qui obtiennent un titre de séjour du fait de leurs attaches familiales (regroupement familial par exemple) occupent une activité économique dans les six mois qui suivent leur arrivée en France.

Cette approche économique - à la fois utilitariste et opportuniste - de l’immigration est à notre sens vouée à l’échec.

De même qu’une lecture univoque de la libre circulation des personnes dans la logique de la mondialisation ne peut que conduire à des crises et des conflits.

Notre pays - au lieu d’ouvrir de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires - continue donc d’avoir une politique d’immigration reposant sur les besoins de son économie.

C’est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination de l’exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs - nationaux et immigrés - au profit exclusif du capitalisme.

Cette acceptation de la « libre circulation des travailleurs » loin de favoriser le développement des hommes revient en réalité à piller les pays du sud non seulement de leurs matières premières et dorénavant de leurs matières grises c’est-à-dire la part de leur population la plus active, la plus dynamique ; réduisant ainsi quasiment à néant les possibilités de développement sur place de ces pays.

Une telle conception de l’immigration ne peut qu’affecter -quoiqu’en dise le gouvernement - le droit au respect de la vie privée et familiale car qui dit 50% d’immigration économique dit 50% d’immigration familiale.

Or, on ne peut pas plafonner ainsi l’immigration familiale sans s’attaquer aux engagements pris par notre pays sur le plan national et international, sans s’attaquer à des droits et à des libertés qui ont encore une valeur constitutionnelle : le respect de la vie privée, de la liberté du mariage, du droit de mener une vie familiale normale, de la dignité, du droit d’asile, de l’intérêt supérieur de l’enfant ...

La protection de la vie familiale est garantie par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme et par le préambule de la constitution de 1946. Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 a reconnu que ce droit s’appliquait aux nationaux mais aussi aux étrangers dont la résidence en France est stable et régulière. Il a reconnu par la même occasion que la liberté du mariage faisait partie des libertés et droits fondamentaux des individus résidents en France et qu’elle était protégée par les articles 2 et 4 de la déclaration universelle des droits de l’Homme.

On ne peut pas introduire des quotas d’immigrés par nationalité, continent ou encore par zone géographique, sans contredire le principe d’égalité énoncé à l’article 1er de la Constitution et réaffirmé par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 15 novembre 2007 qui a censuré les statistiques ethniques introduites dans la loi relative à la maîtrise de l’immigration.

C’est donc un projet inhumain qui nie les aspirations individuelles. Il est sans doute utile de rappeler que lorsque l’on parle d’immigration familiale, on parle d’immigration légale et non de l’immigration clandestine. A ce propos, il n’y a rien sur la lutte contre les trafiquants alors que l’on sait pertinemment que le durcissement des lois relatives aux étrangers rend les voyages plus dangereux et plus chers et ne profite qu’aux passeurs, marchands de sommeil et autres employeurs de main d’œuvre à bon marché. En la matière on ne peut pas simplement s’en émouvoir.

Cet objectif de 50 % d’immigration économique est de surcroît difficilement réalisable. Aucun pays n’atteint un tel chiffre par entrée directe : les USA se situe à moins de 10 % quant au Canada souvent mis en avant s’il dépasse les 50 % c’est parce que les membres de la famille qui entrent dans le pays en même temps que le travailleur étranger sont comptabilisés.

Cela dit, évoquer sans cesse ces concepts « d’immigration choisie » et de « quotas » comme étant des évidences, des nécessités en insistant sur le fait qu’on ne peut pas faire autrement comme le fait le pouvoir en place depuis 2002 revient à banaliser le rejet de l’autre et à favoriser le développement de la xénophobie.

Comme le gouvernement ne peut pas décréter « l’immigration 0 » ni fermer les frontières ; comme dans le même temps il a un tant soit peu besoin d’une main d’œuvre, peu regardante sur les conditions de travail et les salaires et qui, de plus, fait défaut dans certains secteurs de notre économie, il a « choisi » de privilégier l’immigration de travail seule c’est-à-dire sans la famille car seule la force de travail est intéressante.

Pour ce faire, les lois ont multiplié les obstacles au regroupement familial -justifiés par des motifs plus fallacieux les uns que les autres- afin d’empêcher femme et enfants de venir rejoindre un époux, un père, travaillant sur le territoire français.
Il s’agit là d’un changement idéologique profond de la politique de l’immigration de la France.

C’est une véritable déclaration de guerre qui est donc faite aux étrangers. Pas contre les clandestins ni les illégaux, encore moins contre les trafiquants ou les passeurs. Non, il s’agit là d’étrangers régulièrement installés sur notre territoire qui y travaillent et qui veulent - c’est la moindre des choses - faire venir leur famille en France.

Ce que souhaite le gouvernement c’est privilégier la présence en France d’hommes triés sur le volet, jeunes, célibataires, sans charge de famille, en bonne santé, bien souvent taillables et corvéables à merci. Pas de problème de logement (une chambre ou un studio suffisent), pas de problème de scolarisation des enfants, et c’est économique en terme d’allocations familiales, de sécurité sociale...
Et en plus, en travaillant en France l’étranger -sans charge de famille- peut grâce au livret épargne co-développement et au compte épargne co-développement envoyer de l’argent dans son pays d’origine afin de contribuer au développement de celui-ci.

En réalité, l’immigration choisie est surtout bénéfique pour le patronat qui peut ainsi :

1° faire librement son marché à l’étranger en fonction des besoins de l’économie libérale uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail ;

2° disposer ainsi d’un stock de main d’œuvre idéale : sans droits, à bas salaire, donc précarisée et corvéable à merci, facile à encadrer et à surveiller ;

3° enfin, maintenir une certaine pression sur l’ensemble des salariés, étrangers comme nationaux, et pouvoir ainsi niveler par le bas les conditions de travail.

Contrairement à ce que dit le gouvernement, l’immigration choisie va favoriser la fuite des cerveaux des pays tiers vers l’Europe.

En effet, les listes de métiers dits « sous-tension » le montrent bien puisqu’une trentaine de métiers hautement qualifiés concerne les pays tiers alors que s’agissant des ressortissants européens les 150 métiers qui leur sont réservés ne demandent pas un degré très élevé de qualification.

De nombreuses questions restent par ailleurs en suspens :

- Que se passera-t-il si la personne souhaite changer de secteur économique, si elle est licenciée, etc. ?

- Quid par exemple des sans papiers actuellement en grève dans plusieurs entreprises françaises qui vivent, travaillent en France depuis longtemps avec leur famille, cotisent et paient des impôts en France ? Faudra-t-il les expulser pour en faire venir d’autres ?

C’est en tout cas ce que pense M. HORTEFEUX qui oppose ainsi les étrangers sans papiers et les étrangers en situation régulière chez lesquels on note 20 % de chômage. J’ai la faiblesse de penser que même si la France expulsait tous les travailleurs sans papiers actuellement en grève, le taux de chômage parmi les résidents étrangers ne baisserait pas d’autant. Je pense en effet que la question du chômage en l’espèce relève davantage de la discrimination à l’embauche.
Pour finir et faire la transition avec le second point traité par votre commission, j’ajoute que l’instauration de quotas d’immigration va créer un nouvel afflux de contentieux devant les juridictions du fait de l’augmentation prévisible du nombre de refus de séjour susceptibles de faire l’objet de contestations.

II- Concernant le contentieux des étrangers :

Actuellement, il existe effectivement deux ordres de juridiction pour traiter du contentieux des étrangers :

D’un côté, le tribunal administratif vérifie que les décisions de l’OFPRA et des préfectures respectent les procédures. Il ne statue jamais sur le fond, seulement sur la légalité des actes administratifs. Ce que souhaite le gouvernement c’est privilégier la présence en France d’hommes triés sur le volet, jeunes, célibataires, sans charge de famille, en bonne santé, bien souvent taillables et corvéables à merci.

De l’autre, le juge de la liberté et de la détention (le JLD) - gardien des libertés individuelles en vertu de l’article 66 de la Constitution - vérifie que les droits des personnes mises en rétention ou en zone d’attente ont bien été respectés depuis leur interpellation jusqu’à leur placement.
Pour justifier la nécessité de modifier la situation actuelle, le gouvernement avance les arguments suivants :
— > Contradiction de jurisprudence entre le JLD et le TA
— > Système complexe
— > Augmentation extrêmement importante du contentieux des étrangers devant la justice administrative

Ces arguments sont à nos yeux pour le moins fallacieux. Je vais m’en expliquer :

Il n’y a pas de contradiction de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction puisqu’ils ne statuent pas du tout sur la même chose. Leurs missions sont tout aussi distinctes que fondamentales : le juge administratif contrôle la légalité des actes administratifs tandis que le JLD contrôle les conditions de privation de liberté de toute personne par l’administration. (Voir la décision du Conseil Constitutionnel du 9 janvier 1980 qui a séparé ces deux ordres afin de faire respecter les droits des retenus).

Le vrai problème en l’espèce vient essentiellement de la politique d’immigration du gouvernement : durcissement des mesures législatives et politique des quotas chiffrés d’expulsion du territoire, trop souvent en dehors de tout cadre légal, qui entraînent la multiplication des procédures et donc l’augmentation des risques d’irrégularités sanctionnées par l’autorité juridictionnelle.

Le souci du gouvernement c’est que ces deux juridictions libèrent des personnes que la police et la gendarmerie essaient d’arrêter tant bien que mal afin de remplir les objectifs du gouvernement en matière d’expulsion effectives du territoire.

Ainsi, le JLD annule une part importante des décisions de placement en rétention alors que le TA a confirmé la légalité de la mesure d’éloignement. La personne est donc libérée alors que la mesure d’éloignement n’a pas été annulée par le juge administratif.

Inversement, il arrive que le juge administratif annule une décision d’éloignement alors que le JLD a validé la procédure.

Le fait est que 70% des mesures d’éloignement ne sont pas mises en œuvre en raison soit de l’annulation de procédure par le juge judiciaire ou administratif, de la non délivrance de laissez-passer consulaire ou encore de l’impossibilité de placer une personne en CRA.

Le gouvernement estime que le juge est une gêne à la mise en œuvre de sa politique d’immigration alors que le juge ne fait qu’appliquer le droit et seulement le droit.

Le gouvernement veut donc modifier le système dual tel qu’il existe actuellement pour faciliter l’exécution des mesures d’expulsion et atteindre ainsi les objectifs chiffrés qu’il s’assigne chaque année et qu’il a tant de mal à atteindre (25000 fin 2007 pas atteints et pour fin 2008 : objectifs revus à la baisse 28000 à 26000).

S’agissant de la complexité du dispositif en vigueur : c’est avant tout à cause des très nombreuses modifications de l’ordonnance de 1945 aujourd’hui codifiée qui ont eu lieu sans bilan d’application des dispositions en vigueur et sans étude d’impact.

Par exemple, la loi du 24 juillet 2006 créant l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui accompagne systématiquement le refus de séjour (et la détermination du pays de retour) a entraîné de graves difficultés dans le fonctionnement des juridictions de 1ère instance en générant notamment de nombreuses saisines du juge.

Loin de désengorger les tribunaux administratifs, saisis de recours contentieux à la fois contre les décisions de refus de séjour et contre les mesures de reconduite, ce système se révèle être en réalité d’une grande complexité.
Déjà considérés comme des citoyens de seconde zone, les étrangers sont ainsi considérés comme des justiciables de seconde zone.

En outre, il faut savoir que le taux d’exécution de cette mesure d’éloignement demeure très faible car les OQTF se multiplient au nom de la politique chiffrée prônée par le gouvernement en matière d’expulsion alors même que l’administration n’est pas en mesure de les exécuter. Ainsi, au 1er semestre 2007 : sur les 22914 OQTF prononcées, 232 ont été exécutées, soit un taux d’exécution de 1 %. On voit bien là qu’il s’agit d’une question de pur affichage politique pour le pouvoir en place.

Il faut savoir par ailleurs que le contentieux lié aux OQTF est particulièrement localisé et se concentre sur certains tribunaux comme Paris et Cergy.

Concernant la hausse du contentieux des étrangers :
Cette hausse est due d’une part à l’augmentation de l’activité de l’administration liée à des choix politiques et d’autre part à l’augmentation liée à la prise chaque année de dizaines de milliers de mesures d’éloignement que l’administration est dans l’incapacité d’exécuter mais qui vont néanmoins générer du contentieux.

La simplification, l’unification ou encore la création d’une juridiction spéciale, ne correspondent à aucune nécessité objective et ne résoudront même pas l’engorgement de certains tribunaux. Nous sommes donc pour le statu quo.
Rien ne justifie de regrouper le contentieux dans l’un ou l’autre des deux ordres de juridiction, ni de créer une nouvelle structure.

Ce qu’il faut avant tout en l’occurrence ce sont des moyens humains et matériels conséquents, singulièrement pour la juridiction administrative qui va devoir, de surcroît, prendre en charge entre fin 2008 et 2012 le contentieux du droit au logement opposable.

De toute façon, si on crée une nouvelle instance il faudra bien y mettre des moyens alors autant les mettre dans le système qui existe déjà et qui a fait ses preuves. D’autant qu’il est à craindre que si on crée une nouvelle juridiction, celle-ci s’apparente à une sorte de « juridiction d’exception » réservée au droit des étrangers. Nous y sommes opposés d’autant qu’on peut s’interroger : quels seront les magistrats qui siègeront demain dans cette juridiction, quelle formation, quels moyens, etc. ?

Il ne faudrait pas que l’on arrive à la mise en place d’une « sous-justice » pour des « sous-citoyens » devenus des « sous-justiciables ».

Si le droit applicable en la matière est identique - c’est-à-dire qu’un juge examine la procédure dans toutes ses facettes - qu’il y ait un ou deux ordres ne devrait pas avoir d’incidence sur la nature des décisions prises sauf à vouloir absolument limiter la « gêne occasionnée » et envisager par la suite de modifier par une loi simple la procédure en matière de contentieux des étrangers en vue par exemple de diminuer les garanties procédurales dont bénéficient encore les étrangers.

On le voit, le problème ne vient ni de la hausse du contentieux - qui était prévisible avec la multiplication des lois et leur durcissement - ni de la contradiction des jurisprudences qui n’est pas fondée.

Il s’agit ici d’une volonté purement politique, à n’importe quel prix et sous n’importe quels prétextes, de durcir la politique d’immigration de la France et d’accélérer les expulsions du territoire.

Le problème se situe en réalité en amont des procédures contentieuses : il s’agit notamment de :

*La multiplication des réformes

*La multiplication des critères subjectifs pour l’obtention d’un titre de séjour qui sont sujets à interprétation : « intégration républicaine dans la société française », « degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République », etc. —> d’où l’augmentation du contentieux

*La multiplication des mesures d’éloignement : OQTF, AME, APE, APRF, ITF à d’où l’augmentation du contentieux

*L’entrée en vigueur de l’OQTF au 1er janvier 2007 —> augmentation du contentieux

*La politique du chiffre en matière d’expulsion du territoire...

Avant de proposer une quelconque réforme supplémentaire de notre Constitution, il vaudrait mieux faire un bilan objectif de l’application de notre législation qui a vu les réformes se multiplier et s’empiler au fil du temps.

Pour éviter la multiplication des recours, il faudrait par exemple améliorer l’instruction des demandes de titres de séjour dans le respect de la loi et des conventions internationales et européennes et, de façon humaine etc.

A noter la possibilité évoquée dans la lettre de mission que la commission élargisse sa réflexion au contentieux de droit commun des étrangers et à celui des refus de reconnaissance de la qualité de réfugié. Nous y sommes totalement opposés.
Quid, dans ce cas, de la place et de l’avenir de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) ? La création d’une juridiction spécialisée pour les étrangers va-t-elle signer la fin de la CNDA, et par là même celle du droit d’asile ? Comment tout cela va-t-il s’articuler ?

Vous l’aurez compris, nous sommes profondément opposés à la constitutionnalisation des quotas d’immigration ainsi qu’à la simplification de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, qu’il s’agisse de leur unification ou de la création d’une juridiction spécifiquement réservée au contentieux des étrangers.

En matière de politique d’immigration, nous pensons que d’autres choix sont possibles et nécessaires Il n’y a aucune fatalité en l’espèce.

Plutôt que de s’attacher à fermer les frontières aux peuples du sud, pourquoi ne pas s’atteler à la mise en place de vraies coopérations qui s’attaqueraient au nord comme au sud, à l’ouest comme à l’est, à la primauté des marchés financiers sur le développement et l’emploi et iraient à l’encontre de la guerre économique et de la mise en concurrence des hommes et des peuples qui en découlent ?

Les migrations de populations ont pris une nouvelle et durable dimension internationale. Pour une bonne part, elles résultent de la misère, conséquence des politiques colonialistes d’hier et d’un ordre économique mondial injuste qui déstructure les sociétés et étouffe leurs possibilités de développement.

On ne change pas les trajectoires migratoires à coup de réformes législatives ni constitutionnelles. Chaque année, ce sont des milliers de migrants qui meurent aux frontières de l’Europe. Ce n’est pas pour autant que le nombre de candidats à l’émigration diminue. Après tout, il est normal de tenter de trouver du travail là où il y en a et où les salaires sont les plus élevés, tout comme il est normal de tenter d’aller vivre là où les conditions de vie sont meilleures...

A notre sens, concilier les besoins de l’économie française et l’aspiration des immigrés ne peut se faire que dans une logique de coopération mutuellement avantageuse.
De ce point de vue, la France devrait être porteuse de l’exigence impérative de transformations économiques internationales permettant de faire cesser le pillage des pays d’origine, y compris de leurs cadres et de leurs élites et de faire reculer l’exode de la misère.
La France et l’Europe ont en l’espèce une très grande responsabilité.

On ne peut pas faire comme si l’esclavage, le colonialisme et les guerres n’avaient pas laissé de séquelles. On ne peut pas faire comme si des dizaines d’années d’étranglement financier par la dette et l’appauvrissement par les politiques ultra-libérales d’ajustement structurel dictées par le FMI et la Banque Mondiale n’étaient que des facteurs accessoires.
Il faut permettre aux pays d’émigration d’avoir les moyens de se développer pour conserver dans leur région d’origine les populations pour lesquelles émigrer est un choix par défaut, un choix forcé, un non choix.

L’annulation de la dette des pays en voie de développement, l’augmentation de l’aide publique au développement, la formation professionnelle dans le respect des choix démocratiques de ces pays et une coopération décentralisée qui intègre ces choix de développement sont autant de moyens pour y parvenir.

Les immigrés venant de régions pauvres transfèrent souvent vers leurs familles restées au pays des sommes supérieures à l’aide au développement attribuée par les Etats comme la France.

On ne peut pas continuer à penser l’avenir de nos sociétés développées en Europe en faisant abstraction de l’enjeu du développement et des problèmes du sud.

L’Europe doit promouvoir un nouveau type de développement, s’engager sur le principe de souveraineté alimentaire, le contrôle et la taxation des mouvements de capitaux, l’annulation de la dette pour que les peuples soient maîtres de leurs richesses et de leurs ressources.

En France, il faut redonner du sens au mot : égalité, fraternité, solidarité, accueil, intégration...
Pour une meilleure intégration, il faut d’abord stabiliser le droit au séjour et non l’inverse.
La France doit être à l’initiative pour faire respecter les conventions internationales, les libertés fondamentales, à l’opposé de ce que symbolise le Ministre de l’immigration et de l’identité nationale.

N’ayons pas peur d’octroyer certains droits fondamentaux comme le droit de vote pour les résidents étrangers sous certaines conditions que les communistes réclament en vain depuis des années ; mettons en place un vrai droit de formation à la langue du pays d’accueil ; respectons le droit de vivre en famille, les droits de l’enfant, les engagements nationaux et internationaux pris par la France, procédons à la régularisation des sans papiers présents sur le territoire français sous certaines conditions (attaches familiales en France, détention d’une promesse d’embauche, inscription dans un établissement scolaire ou universitaire...)

En tout état de cause, il faut arrêter la gestion sécuritaire, ultra restrictive et maintenant économique des flux migratoires qui domine la politique française et européenne.

Je vous remercie de votre attention.

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