Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un message d’espoir pour le monde du travail

Amnistie sociale -

Par / 27 février 2013

Rapporteur de la commission des lois.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en ma qualité de rapporteur, permettez-moi de souligner l’importance de l’initiative prise par le groupe des élus communistes républicains et citoyens, qui, dans le cadre de leur « niche », ont fait le choix de déposer cette proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.

En conséquence, cet après-midi, nous allons pouvoir débattre d’un texte qui, certes, ne concerne pas directement des milliers et des milliers de personnes, mais qui va permettre, dans un contexte économique et social très difficile d’adresser un message d’espoir au monde du travail.

Si la commission des lois a, dans un premier temps, retoqué ce texte,…

M. Jean-Claude Lenoir. Pourtant, la gauche y est majoritaire !

Mme Éliane Assassi, rapporteur. … je dois toutefois saluer le travail constructif qui a été fait par la suite avec tous les groupes de la gauche sénatoriale…

M. Jean-Pierre Caffet. Merci !

Mme Éliane Assassi, rapporteur. … pour arriver à la rédaction d’amendements qui permettront, je n’en doute pas, l’adoption par le Sénat de la proposition de loi.

Par ailleurs, je note, pour le saluer, le retrait de la question préalable déposée par le groupe UMP.

Mes chers collègues, vous le savez, l’amnistie est une tradition ancienne et vénérable que d’aucuns font remonter à la démocratie athénienne du Ve siècle avant notre ère. Dans notre pays, sous sa forme actuelle, c’est-à-dire en tant que loi d’oubli et d’apaisement votée par le Parlement, c’est une tradition qui remonte aux lois constitutionnelles de 1875. L’une des premières, j’oserais dire l’une des plus fameuses amnisties, fut celle des Communards, en 1880.

Outre l’adoption de lois d’amnistie consécutives à des événements exceptionnels tels que la guerre d’Algérie ou les troubles en Nouvelle-Calédonie, chaque élection présidentielle de la Ve République a été, jusqu’en 2002, alors que l’opposition d’aujourd’hui était majoritaire, suivie du vote par le Parlement d’une loi d’amnistie.

Au fil du temps, ces lois ont été de plus en plus critiquées. D’une part, elles pouvaient constituer des incitations à enfreindre le code de la route au cours de la période précédant l’élection présidentielle. D’autre part, en amnistiant toutes les infractions punies d’une peine inférieure à un certain seuil, par exemple tous les délits punis de moins de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, ces lois bénéficiaient de manière inégale aux condamnés ou aux prévenus selon la plus ou moins grande sévérité des tribunaux compétents.

La présente proposition de loi échappe cependant très largement à ces critiques. En effet, son objet est beaucoup plus limité que celui des lois d’amnistie post-présidentielle successives.

Ainsi, elle concerne tout d’abord, dès lors qu’elles sont punies de moins de dix ans d’emprisonnement, les infractions commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. Nous sommes ici en terrain bien connu : ces circonstances étaient déjà visées par les précédentes lois de 1981, 1988, 1995 et 2002.

Ensuite, elle vise les infractions commises à l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés à l’éducation, au logement, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. Si cette formulation est nouvelle, les précédentes lois que j’ai citées prévoyaient déjà l’amnistie des infractions commises lors des manifestations lorsque celles-ci avaient un lien avec les conflits du travail. Dans le texte que nous proposons, l’amnistie serait étendue à d’autres mouvements collectifs, mais uniquement lorsque ceux-ci ont pour but de porter des revendications dans des domaines énumérés de manière limitative.

Qu’il s’agisse de conflits du travail ou de mouvements collectifs, ce sont toujours des événements au cours desquels, comme le souligne l’exposé des motifs, nos concitoyens se sont engagés pour faire respecter des droits fondamentaux, protéger leurs conditions de travail, préserver l’emploi, les services publics, le système de protection sociale ou encore pour préserver l’environnement.

Le contexte économique actuel, très difficile, engendre en effet des mouvements sociaux et de multiples mouvements revendicatifs. La liberté de manifester et la liberté syndicale sont des éléments nécessaires dans une démocratie, car elles permettent au débat de s’enrichir et à une partie de l’opinion de s’exprimer.

Or, à l’occasion de ces événements, de plus en plus fréquemment au cours de la période récente, des syndicalistes, des représentants associatifs ou des membres des organisations syndicales et des associations ont pu être sévèrement condamnés par la justice ou sanctionnés professionnellement.

Les infractions reprochées peuvent être des dégradations, des entraves au travail ou encore la diffamation, notamment sur les réseaux sociaux.

Un autre comportement est fréquemment sanctionné : le refus de se soumettre à un prélèvement ADN à la suite d’incidents intervenus lors de manifestations ou lors d’actions telles que des fauchages d’OGM.

L’utilisation par les forces de l’ordre de ce dernier délit est d’ailleurs particulièrement mal vécue et contestée par les militants, membres des syndicats et des associations, qui considèrent qu’il permet de les incriminer très facilement en leur reprochant n’importe quel fait susceptible de donner lieu à prélèvement puis en constatant le refus de s’y soumettre.

Je vous rappelle que la possibilité de réaliser un prélèvement génétique pour alimenter le fameux fichier national automatisé des empreintes génétiques, à l’origine limitée aux délinquants sexuels, a été étendue à la plupart des délits, dont les dégradations, les détériorations et les menaces d’atteintes aux biens.

Ainsi, la poursuite systématique de certains comportements peut conduire à une certaine paralysie des organisations syndicales, des collectifs ou des associations, puisque, si elle vise le plus souvent un individu, elle a des conséquences pour l’ensemble de l’organisation à laquelle il appartient. Une amende élevée peut ainsi obérer durablement les finances de celle-ci et dissuader ses membres d’agir ultérieurement. Une telle situation est de nature à encourager des actions individuelles, moins contrôlées, moins prévisibles, plus violentes aussi, tout en appauvrissant le débat public.

Dans le contexte actuel, il semble légitime et raisonnable d’adopter une mesure d’apaisement et d’oubli – je pèse mes mots – en amnistiant ces faits.

En tout état de cause, je souhaite insister sur le fait que le champ des infractions susceptibles d’être amnistiées par ce texte est déjà extrêmement limité par rapport à celui des précédentes lois d’amnistie, en raison de la condition liée aux circonstances de commission des infractions.

N’oublions pas, en outre, que chaque loi d’amnistie est accompagnée d’une circulaire de la Chancellerie à destination des parquets. La circulaire d’application de la loi de 2002 précise ainsi qu’« il appartient aux parquets et aux juridictions d’apprécier dans chaque cas d’espèce s’il existe entre le fait poursuivi et le critère de l’amnistie retenu par le législateur une relation suffisante pour permettre de constater l’amnistie. Ainsi, si les agissements reprochés n’ont pas été commis à l’occasion de manifestations ou d’actions pour la défense de l’intérêt collectif d’une profession, mais dans le cadre d’une action ponctuelle préméditée, engagée au bénéfice d’intérêts patrimoniaux bien déterminés, la loi d’amnistie ne s’applique pas ».

Les lois d’amnistie ne peuvent donc pas bénéficier aux « casseurs » qui peuvent profiter des manifestations.

A contrario, une nouvelle circulaire d’application ne pourrait-elle pas, madame la garde des sceaux, permettre aux tribunaux d’atténuer les sanctions par un pouvoir d’interprétation qui leur serait conféré ? Je suis persuadée que vous apporterez des réponses à cette question.

Par ailleurs, comme les lois précédentes, la présente proposition de loi prévoit une amnistie des sanctions disciplinaires. L’inspection du travail sera donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits soient retirées des dossiers des intéressés. Notons, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a validé cette possibilité, dans une décision du 20 juillet 1988, en indiquant que le législateur pouvait « étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social ».

Toutefois, l’amnistie à ce titre serait beaucoup plus limitée dans sa portée que celle des lois précédentes, puisqu’elle ne concernerait que les sanctions infligées dans les circonstances mentionnées à l’article 1er.

Par ailleurs, contrairement à la loi d’amnistie de 2002, mais comme dans la loi du 20 juillet 1988, une réintégration des salariés licenciés est prévue.

En tant que rapporteur de cette proposition de loi, j’avais proposé à la commission une série d’amendements destinés à préciser le champ de l’amnistie. Si ces amendements ont été adoptés, tel n’a pas été le cas du texte issu des travaux de la commission. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur le texte initial de la proposition de loi, ainsi que sur les amendements déposés pour le modifier.

À titre personnel, j’estime que plusieurs de ces amendements, dont certains ont reçu un avis favorable de la commission des lois, tendent à limiter de manière excessive la portée du texte initial de la proposition de loi. En effet, celui-ci visait à amnistier les infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement, à l’instar de la loi d’amnistie de 2002. Des amendements de nos collègues du groupe socialiste et du groupe RDSE tendent à limiter le champ de l’amnistie aux atteintes aux biens punies de cinq ans d’emprisonnement au plus : seraient ainsi exclues de ce champ les outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique, les atteintes à la liberté du travail ou encore les violences punies de simples contraventions, toutes infractions souvent reprochées aux personnes engagées dans les mouvements sociaux.

J’espère donc, madame la ministre, que la circulaire d’application que j’ai évoquée précédemment tiendra compte du fait que, s’il peut y avoir des atteintes physiques lors des manifestations, elles restent le plus souvent involontaires et seront ainsi susceptibles de faire l’objet d’une certaine clémence de la part des tribunaux.

Un autre amendement tend, en outre, à limiter l’amnistie aux mouvements sociaux au sein des entreprises et aux mouvements collectifs de défense du droit au logement. J’avoue que cet amendement me gêne un peu, car sa rédaction semble suggérer que la défense de la santé, de l’éducation ou de l’environnement ne revêtent pas une dignité suffisante pour justifier une mesure d’amnistie.

Enfin, il vous sera également proposé d’enfermer l’amnistie dans de très étroites limites temporelles, soit entre le 1er janvier 2008 et le 6 mai 2012, ce qui contribuerait encore davantage à en réduire la portée, mais le débat de cet après-midi permettra, je l’espère, d’adopter la limitation temporelle la plus juste possible.

Tout cela étant dit, je souhaite que ce texte soit adopté par le Sénat et je m’engage, comme rapporteur, à être attentive à tous les amendements déposés. De plus, je fonde beaucoup d’espoirs sur le fait que le débat qui devrait avoir lieu ensuite à l’Assemblée nationale permette l’adoption d’un texte définitif répondant aux attentes du mouvement syndical et associatif.

Tel est donc, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet de l’essentiel des dispositions de la présente proposition de loi ainsi que des principaux amendements sur lesquels je vais être amenée à donner l’avis de la commission.

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