Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Maîtrise de l’immigration, intégration et asile : conclusions de la Commission mixte paritaire

Par / 23 octobre 2007

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Au terme de l’unique navette parlementaire - urgence oblige ! - c’est sans surprise que la majorité de droite composant la CMP est parvenue à un accord sur la rédaction d’un texte commun aux deux assemblées, sans bien sûr l’aval des sénateurs du groupe CRC que je représentais dans cette commission.

J’évoquerai essentiellement ici les sujets les plus symptomatiques à mes yeux de votre texte que j’appellerai plus volontiers projet de loi relatif à « la lutte contre l’immigration familiale et le droit d’asile » tant il multiplie les obstacles au regroupement familial et à l’accès au droit d’asile.
Quant à l’intégration - du moins telle que vous la prônez- elle vous sert également à mettre des barrières supplémentaires sur le parcours déjà bien compliqué des étrangers.

Avec ce texte, vous opposez l’immigration familiale que le pays subirait et qu’il faudrait réduire à l’immigration de travail que souhaiteriez choisir et porter à 50%.
Or, ces deux formes d’immigration légale sont indissociables l’une de l’autre puisque lorsque l’on vient travailler en France, il est normal de vouloir faire venir sa famille, et inversement lorsque l’on vit en famille en France il est normal de vouloir y travailler pour vivre dans des conditions décentes.
Vouloir maîtriser le nombre d’étrangers qui viennent pour travailler d’une part et d’autre part le nombre d’étrangers qui viennent rejoindre leur famille, c’est vouloir disposer des individus à sa guise et c’est vouloir organiser l’immigration comme si la France était une entreprise et le monde un vaste marché de l’emploi.
C’est inacceptable.

Monsieur le Ministre, vous n’avez aucune envie de tarir les flux migratoires mais seulement d’en changer la composition. Au profit bien évidemment du patronat.
Ce texte vous permet aussi d’occuper le terrain politique et de donner des gages à l’électorat le plus extrême qui a voté pour N. Sarkozy un certain 6 mai 07.
S’agissant à proprement parler des conclusions de la CMP, celle-ci a procédé à juste titre :

-  Au rétablissement du droit à l’hébergement d’urgence des étrangers en situation irrégulière ;
-  A la suppression de l’appel suspensif du préfet contre la libération d’un étranger maintenu en rétention ou en zone d’attente
-  A la suppression de la suspension des droits accordés aux étrangers pendant leur transfèrement vers un lieu de rétention
-  Au maintien du délai de recours d’un mois devant la commission des recours des réfugiés ainsi que le délai de 48 heures pour former un référé liberté dirigé contre une décision de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile
-  Au rétablissement de la possibilité pour les conjoints de Français de déposer leur demande de visa long séjour auprès de la préfecture
Toutefois, elle a retenu beaucoup d’autres mesures qui ne nous agréent pas du tout.

Je commencerai bien évidemment par le recours aux tests ADN que les parlementaires UMP n’ont pas supprimé et ce, malgré la montée en puissance de la mobilisation et de la contestation sur tous les fronts : scientifiques, chercheurs, écrivains, artistes, simples citoyens, femmes et hommes politiques de tous bords, mais aussi le Vatican, le Président de l’Union Africaine, etc.
Faut-il rappeler les vertes critiques émises dans son récent avis par le comité consultatif national d’éthique ?
Les pétitions lancées avec succès par « Sauvons la recherche » et Charlie Hebdo ? Les différentes manifestations qui ont eu lieu pour protester contre cet article 5 bis mais aussi contre le projet de loi dans sa globalité ?
A mon sens, cet article -qui illustre si bien la logique de votre minsistère qui va jusqu’à associer à l’immigration « l’identité nationale »- ne souffre d’aucun aménagement possible comme l’a fait le Sénat pour voler au secours du rapporteur de l’Assemblée nationale.

Il faut en politique savoir reconnaître ses torts et savoir faire marche arrière, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi délicat que la génétique, de surcroît quand celle-ci est appliquée aux immigrés.
N’est-ce pas, mes chers collègues, ce que nous a enseigné l’Histoire -pas si ancienne- de notre pays ?
Convenez-en comme vous l’avez fait pour le droit à l’hébergement d’urgence que vous avez finalement supprimé : cet article doit être retiré de ce texte.
Il est stigmatisant, discriminatoire, inégalitaire, car il ne concerne que les étrangers et, parmi eux, ne sont visées que les femmes a fortiori celles provenant de certains pays qu’un décret devra lister !
Au-delà des questions éthiques évidentes, des questions pratiques demeurent entières : que se passera-t-il si la mère est décédée, si les enfants ont été adoptés, si les enfants sont nés d’une première union, si des enfants orphelins ont été pris en charge par un proche ou un ami ? Devront-ils renoncer à vivre avec ce qu’ils considèrent être « leur famille » ?

Est-il vraiment utile de mettre en œuvre un tel dispositif alors que le regroupement familial concerne très peu de gens par an : on nous parle de 23000 personnes dont 8000 enfants ? Sachant que dans le cadre du regroupement familial il ne s’agit jamais de familles nombreuses, où est le problème ?

Vous-même, vous nous dites que, dans les faits, le recours à ces tests ne concernera que très peu de cas. Dans ces conditions, pourquoi s’entêter ? J’irais même plus loin : si doute il y a sur la filiation, celui-ci devrait alors bénéficier aux candidats au regroupement familial.
La « biologisation » de la famille n’est pas concevable dans notre pays, encore moins dans les pays d’origine des candidats au regroupement familial qui sont je le rappelle souvent nos anciennes colonies.
On nous dit que d’autres pays européens ont d’ores et déjà recours aux tests ADN. Soit, mais premièrement ce n’est pas une raison pour en faire autant ; deuxièmement, les pays en question n’ont pas la même histoire que la France qui a - je le rappelle - conservé des liens étroits avec ses anciennes colonies.

Cet article -comme bien d’autres dispositions du projet de loi- est inconstitutionnel. Cela a été largement développé, je n’y reviens pas. Mais une chose est sûre : quand bien même le Conseil constitutionnel - saisi d’un recours - devait censurer cette disposition, le débat sur ces tristement célèbres tests ADN -qui a commencé il y a plus d’un mois- aura de toute façon marqué les esprits et on aura fait un pas supplémentaire dans l’horreur.
Ce débat aura mis en lumière tout ce que l’homme peut imaginer de mauvais à l’encontre de ses congénères.
J’avoue ne pas comprendre - ou alors je comprends trop bien - l’entêtement non seulement des parlementaires de droite mais également du gouvernement à maintenir, à soutenir, à justifier, à encadrer juridiquement le recours aux tests ADN, alors même que cette mesure ne figurait pas dans la version initiale déposée par le gouvernement.
L’explication est certainement ailleurs.
N’êtes-vous pas en train, mes chers collègues, de passer outre le consensus politique qui a vu le jour lors de l’élaboration de la loi relative à la bioéthique de 1994, révisée en 2004, notamment en ce qui concerne l’utilisation des tests ADN ?

N’êtes-vous pas en train de faire « sauter » un verrou important en la matière sans attendre la révision de cette loi qui doit avoir lieu de 2 ans ?
N’êtes-vous pas en train d’ouvrir la boîte de Pandore en la matière ? N’allez-vous pas permettre demain le recours à des tests ADN dans bien d’autres domaines que l’immigration par exemple en matière de contrat d’assurance, de contrat de prêt, d’allocations familiales, de successions et j’en passe ?
Qui peut nous garantir que demain ces tests ne seront pas appliqués y compris aux Français ?
S’agissant du reste du texte, la plupart des mesures que nous contestons depuis le début des débats parlementaires demeurent.

Je veux parler des statistiques ethniques, de la biométrie pour les personnes ayant bénéficié de l’aide au retour, de la sanction du refus d’embarquer, plus généralement toutes les restrictions des droits des étrangers : les demandeurs d’asile d’une part et d’autre part les candidats au regroupement familial qui se voient imposer le CAI, la connaissance de la langue et des valeurs de la République, le principe des conditions de ressources, pour ne citer que ceux-là. Les conjoints de Français ne sont pas épargnés puisqu’ils vont se voir imposer l’apprentissage de la langue.

Restrictions également en matière procédurale : prolongation sans l’intervention du juge judiciaire du maintien en zone d’attente en cas de refus d’embarquer, suppression de l’obligation de motiver spécialement une OQTF conjointe à un refus de délivrance ou de renouvellement ou à un retrait de titre de séjour, extension du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention...
Vous êtes même allés jusqu’à supprimer en commission l’article introduit par le Sénat pour aider à améliorer les services de l’état civil dans certains pays alors que c’était quand même mieux que les tests ADN.
Le présent texte qui va permettre les relevés d’empreintes digitales, les relevés d’empreintes génétiques et les relevés ethniques confirme - si besoin en était encore - votre vision sécuritaire de la politique de l’immigration en France et votre défiance envers les étrangers.
Vous ouvrez grand la voie à tous les fichages possibles qui seront alors autant d’instruments de contrôle tous azimuts de la population, étrangère comme française.
La chasse à l’étranger est réellement ouverte et ce, à tous les niveaux de la société : dans les écoles, dans les centres d’hébergement, dans les préfectures, dans les hôpitaux etc.

La biologie et les nouvelles technologies sont ainsi mises au service d’une politique de l’immigration axée sur la chasse à l’étranger - toujours considéré comme fraudeur, donc indésirable - dans mais aussi hors de nos frontières.
C’est la politique du chiffre -25000 expulsions avant le 31 décembre 2007- qui, alors qu’elle ne figure dans aucune des lois que vous avez votées mes chers collègues de la majorité, conduit à cette traque inouïe à l’étranger sur tout le territoire français et à n’importe quel prix. Les dramatiques défenestrations qui ont eu lieu récemment en sont la triste illustration, tout comme les 4 tentatives de suicide survenues mercredi dernier dans le centre de rétention administrative du Canet à Marseille.
Pour répondre aux objectifs chiffrés en matière d’expulsion du territoire, il faut « débusquer » les étrangers et pour ce faire, vous avez déjà comme support réglementaire la circulaire de 2006 qui autorise les arrestations de sans papiers dans les préfectures, les hôpitaux, et les centres d’hébergement, et dont l’article 21 sur l’hébergement d’urgence n’était, après tout, que le prolongement logique.
Mai il vous faut aussi les moyens humains.
Une grande part des policiers est ainsi mobilisée pour interpeller des irréguliers alors que leur tâche prioritaire est d’interpeller les criminels et les délinquants. A cet égard, ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur le rôle que vous leur faites jouer pour satisfaire les objectifs inatteignables que vous leur imposez en matière d’expulsions.

Outre cette mobilisation, vous recherchez également des auxiliaires de police : vous recrutez de toutes parts : chez les inspecteurs du travail, et depuis le 1er octobre chez les agents de l’UNEDIC et de l’ASSEDIC auxquels vous avez demandé de transmettre aux préfectures pour vérification les copies des titres de séjour et de travail.
Je n’oublie pas non plus cette note émanant du Général des Armées adressée aux préfets pour leur rappeler que les gendarmes sont aussi concernés par la lutte contre l’immigration irrégulière et qu’ils doivent par conséquent intensifier les arrestations de sans papiers ; faisant ainsi de la chasse aux immigrés leur priorité.
Toute cette frénésie ne peut qu’engendrer contrôles au faciès et bavures.

Parallèlement, on assiste à une multiplication des poursuites à l’égard des « délinquants de la solidarité » et à des mises en garde envers les maires ayant organisé des parrainages de sans papiers.
Le présent projet de loi - s’il confirme les lois précédentes (2003 et 2006) - marque néanmoins une rupture sans précédent de la politique de l’immigration de la France et de la traditionnelle conception d’accueil de notre pays.
Ce tournant n’est ni anodin ni fortuit, il est à mettre en perspective avec votre politique libérale qui s’attelle jour après jour à mettre en pièces un à un les acquis sociaux qui ont construit notre modèle social : 1789, 1936, 1945, 1968.

Quoi de mieux pour cela que de le faire en opposant les hommes entre eux en l’occurrence les étrangers aux Français, et parmi les étrangers : les réguliers aux irréguliers. Diviser pour mieux régner on connaît le proverbe.

Ce tournant est également à mettre en perspective :
-  Avec l’annonce de la révision constitutionnelle pour permettre la mise en place de quotas par origine géographique ;
-  avec l’externalisation des camps de réfugiés aux frontières de l’Europe pour empêcher les migrants de pénétrer sur le territoire français et européen ;
-  avec le rôle croissant donné à l’administration française pour mettre en oeuvre votre politique. Je pense ici notamment :

* à l’injonction faite aux préfets pour atteindre les objectifs chiffrés en matière d’expulsions du territoire : 25000 en 2007, et 28000 en 2008,
* au rattachement de l’OFPRA au ministère de l’immigration, qui va ainsi regrouper les questions liées à l’asile alors que celui-ci est un droit fondamental qui n’a rien à voir avec les questions d’immigration,
* à l’affaiblissement de l’intervention du juge dans des matières aussi sensibles que le prolongement du maintien d’une personne en centre de rétention administrative ou en zone d’attente alors qu’il est question ici de la liberté fondamentale d’aller et venir dont le juge est en principe le seul garant,
* à la suppression des magistrats dans les commissions départementales des titres de séjour.
Pour mettre en œuvre cette politique, il vous aussi les moyens matériels : vous êtes en train de vous les fournir avec la multiplication des places en CRA qui deviennent de vraies machines à expulser les étrangers. La Cimade a notamment relevé dans son rapport 2006 qu’il y avait de plus en plus de familles qui y étaient maintenues avec leurs enfants alors qu’en principe les enfants ne sont pas soumis à l’obligation d’avoir des papiers. Mais là vous allez invoquez l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit rester avec ses parents...

On le voit, on se dirige tout droit vers une « industrialisation » des expulsions du territoire via les CRA, via la politique du chiffre, via les instructions données aux préfets, via les auxiliaires de police recrutés dans tous les domaines.

Dans de telles conditions, il n’est guère étonnant que la Cité internationale de l’immigration ait été inaugurée dans l’anonymat et en l’absence des membres du gouvernement.
Le projet de loi que vous vous apprêtez à voter mes chers collègues, est la suite logique du discours colonialiste prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar.
A coup sûr avec un tel condensé de mesures dirigées contre le continent africain, les relations franco-africaines risquent fort de se dégrader.

Je finirai mon allocution par des questions :
Combien coûte une telle politique de l’immigration ?
Combien coûte une expulsion du territoire avec escorte policière et billet d’avion sur une ligne régulière, quand il ne s’agit pas d’un vol privé ou d’un avion habituellement réservé à la sécurité civile ?
Combien vont coûter les tests ADN à la collectivité ? Seules les industries pharmaceutiques vont en tirer de gros profits.
N’y a-t-il pas une meilleure utilisation de l’argent public par exemple en direction des pays d’émigration afin de les aider à se développer et à garder les personnes au lieu de les piller de leurs matières premières et de leurs matières grises ?

Combien de drames humains vont-ils encore se produire, combien de morts supplémentaires aux larges des côtes françaises votre politique de l’immigration va-t-elle encore engendrer ?
Je l’ai déjà dit mais je veux le redire : on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d’articles de loi, de même qu’il est difficilement concevable d’envisager de choisir ses immigrés voire d’imposer des quotas selon les besoins du patronat.

Et à contempler l’état du monde, il y a - hélas - peu de chance pour que ce que vous appelez la « pression migratoire » diminue. Ce n’est pas un hasard par exemple si, à Cherbourg, on note l’arrivée de réfugiés irakiens.
Jusqu’où êtes-vous prêts à aller en matière de politique de l’immigration ?
En tout état de cause, vous êtes déjà allés trop loin pour nous. Nous ne vous suivrons pas sur cette pente dangereuse à plus d’un titre.

Fidèles à leurs valeurs, les sénateurs du groupe CRC émettent un vote négatif sur l’ensemble des dispositions qui forment le présent projet de loi et s’associeront pleinement à tout recours formé à son encontre devant le Conseil constitutionnel.

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