Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lutte contre le terrorisme

Par / 14 décembre 2005

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Les sénatrices et les sénateurs du groupe Communiste Républicain et Citoyen au nom desquels je m’exprime condamnent avec la plus grande fermeté le terrorisme qui constitue une négation de l’Humanité, de la démocratie.
Fanatique, aveugle, le terrorisme -à ne pas confondre avec la résistance des peuples qui défendent leur indépendance et leurs libertés- frappe de façon aléatoire, tue des centaines d’innocents ; répandant ainsi la terreur en Europe et dans le monde. Les attentats de Madrid, ceux de Londres, mais aussi ceux de Casablanca, Riyad, Istanbul, Bagdad ... sont malheureusement là pour nous le rappeler.
Pour s’attaquer durablement au terrorisme et à ces auteurs, il convient de s’attaquer aux causes, au terreau qui en fait le lit.

Des interventions en Afghanistan et en Irak jusqu’au creusement des inégalités entre pays riches et pauvres, toutes les tensions qui font le miel des extrémistes ont été, depuis des années, exacerbées et risquent d’être aggravées tant qu’un nouvel ordre mondial ne sera pas décidé par les peuples eux-mêmes.
Aujourd’hui, les terroristes utilisent les rouages de la mondialisation des marchés financiers et sont au fait des technologies de l’information et de la communication.
S’attaquer au terrorisme c’est être en capacité de le détecter, connaître ses ramifications, son fonctionnement, afin de pouvoir mieux le prévenir.

On ne peut donc se contenter d’agir au niveau de la seule répression qui arrive a posteriori, une fois que les attentats ont été commis et fait des victimes.
Réprimer est une chose, prévenir en est une autre.
La lutte contre le terrorisme ne sera aboutie que lorsque l’on sera, autant que faire se peut, en mesure d’empêcher la commission de tels actes.
La prévention doit s’opérer certes sur le plan de la sécurité mais aussi sur le plan social, économique et humain.

Les accords de Schengen, en supprimant les frontières au sein de l’Union Européenne, ont sans doute facilité les déplacements des terroristes d’un pays à un autre.
Aujourd’hui, cette situation est aggravée avec les milliers de kilomètres de frontières mal protégées suite à l’élargissement de l’Union Européenne à 10 nouveaux états-membres.

Il est évident que notre lutte contre le terrorisme doit intégrer l’échelon européen.
Mais il est nécessaire que l’Europe soit plus ferme dans ses choix politiques pour faire face aux terroristes.
Il est grand temps, par exemple, que l’Union Européenne érige la lutte contre l’argent sale et les activités mafieuses au rang de priorité de son action contre le crime organisé et qu’elle favorise la coopération et le partage des connaissances et de l’expertise.
En ce sens, il aurait intéressant d’attendre les conclusions du Livre blanc.

Pour en revenir à votre texte, les mesures proposées sont décevantes. Elles n’ont rien d’innovant.
Vous reprenez des dispositions anciennes, qui remontent pour certaines à plus de 10 ans, comme la vidéosurveillance, et qui n’ont même jamais fait leurs preuves dans la prévention de la délinquance ordinaire.
Il est donc aberrant d’étendre de telles dispositions à la lutte contre le terrorisme et de laisser croire à l’opinion publique qu’elles seront efficaces.

Dans ces contenus, votre projet de loi est inutile car l’arsenal législatif que vous avez fait voter par votre majorité parlementaire depuis 2002 devrait largement suffire. Pourquoi donc en rajouter si ce n’est pour occuper le terrain politique et renforcer ainsi la stigmatisation envers certaines communautés ?
Nous légiférons une fois encore sans disposer d’aucune évaluation sur les législations actuellement en vigueur.
Ma collègue Nicole BORVO, dans la question préalable qu’elle défendra tout à l’heure, reviendra plus longuement sur cet aspect.

Votre projet de loi est d’autant plus inutile et inquiétant au regard des libertés que -je le rappelle- notre pays vit toujours à l’heure de l’état d’urgence permettant déjà au gouvernement de prendre certaines mesures d’exception.
A l’exception, se surajoute donc l’exception.
Sans compter que le système antiterroriste français -dont le volet répressif datant de la loi de 1986 a déjà été renforcé en 1996 et en 2004- n’avait pas besoin de cette ultime radicalisation.

En effet, le dispositif actuel offre déjà une marge de manœuvre sans équivalent en Europe en raison de l’incrimination « d’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste » et de la notion on ne peut plus floue de « terrorisme ».
Si cette justice d’exception a permis de renforcer la prévention en matière de lutte antiterroriste, rappelons-nous qu’elle a aussi entraîné certains abus, notamment à l’époque de l’affaire « Chalibi ».
Il ne faudrait pas qu’à chaque vague d’attentats en France ou ailleurs, on radicalise notre législation au nom du terrorisme qui par essence est dangereux.

Je crains, à cet égard, que le nouveau régime dérogatoire des infractions terroristes, qui a déjà une tendance naturelle à s’étendre à d’autres infractions -comme, par exemple, la garde à vue de 4 jours avec l’avocat au bout de la 72ème heure, les cours d’assises spéciales ou encore les perquisitions de nuit, appliquées aujourd’hui aux affaires de stupéfiants- s’étende bientôt à d’autres cas.
Le coup de filet antiterroriste effectué il y a deux jours en Ile-de-France et dans l’Oise démontre, si besoin en était encore, que le présent texte -le 7ème comportant des mesures liées au terrorisme depuis 1986- n’était pas nécessaire.

Votre projet de loi est inefficace.
Loin de s’attaquer aux causes du terrorisme, il n’aura à coup sûr - et nous le déplorons- aucun impact en terme de lutte contre le terrorisme.
Comme je l’ai dit précédemment, il ne contient pas de dispositions innovantes qui pourraient nous laisser penser que le gouvernement a une réelle volonté de combattre le terrorisme.
Par exemple, en ce qui concerne la généralisation de la vidéosurveillance -qui n’est pas admettez-le une idée neuve- celle-ci était prévue avant même les attentats de Londres.

Ces derniers évènements, tragiques, ont simplement permis d’en accélérer la mise en œuvre et d’en justifier l’extension.

Le Royaume-Uni compte 4 millions de caméras et il devrait y en avoir quelques 25 millions d’ici 2007. Dans la capitale anglaise, un Londonien est filmé, lors d’une journée moyenne, au moins trois cent fois par des dizaines de réseaux différents, de manière plus ou moins visible.
Cela a-t-il, pour autant, empêché la capitale anglaise d’être la cible d’attentats meurtriers ? Pas du tout.
Non seulement les caméras n’ont pas empêché les attentats suicides perpétrés à Londres le 7 juillet dernier, mais elles n’ont pas permis non plus d’éviter la seconde vague (le 21 juillet) alors que les terroristes savaient qu’ils allaient être filmés.

Au mieux, les caméras ont-elles permis d’identifier a posteriori les auteurs d’actes terroristes, éventuellement de remonter les filières. Mais en aucun cas elles n’empêchent le passage à l’acte. Et n’et-ce pas ce qui doit surtout nous guider : que la vie d’êtres humains innocents ne soit plus fauchée par ces actes barbares.
De récentes études menées en France et en Grande-Bretagne relativisent d’ailleurs l’efficacité du système de vidéosurveillance. Ces travaux affirment que les caméras n’ont pas d’impact déterminant sur le volume de la délinquance mais qu’elles contribuent au déplacement de la criminalité.
Inefficace, votre texte est de surcroît loin d’être dissuasif.

Les dispositions du projet de loi relatives à l’aggravation des peines, au prolongement de la durée de garde à vue jusqu’à 6 jours, à la déchéance de la nationalité, ne sont pas dissuasives et vous le savez.
Croyez-vous vraiment que les terroristes prêts à mourir lisent le code pénal avant de passer à l’acte ? Croyez-vous sincèrement qu’ils craignent la prison ou d’être déchu de la nationalité française ?
Les commanditaires d’actes terroristes et leurs « Fantassins » ne sont malheureusement pas des amateurs. Ils savent déjouer et contourner les lois dont ils se moquent d’ailleurs singulièrement.

Ce n’est pas à coup d’articles de loi qu’on lutte contre le terrorisme mais avec des pratiques policières toujours plus professionnalisées dans les domaines de l’écoute, du renseignement et de la pénétration des réseaux.
Alors que le texte privilégie l’approche technologique, les services français mettent traditionnellement en avant la force du renseignement humain dans la réussite de leurs enquêtes.

La technologie n’est pas le remède miracle, elle ne peut qu’être un soutien logistique de renseignement et venir en appui a posteriori.
Aux dires des spécialistes, la collecte de renseignements demeure le meilleur investissement pour faire obstacle au terrorisme dans les démocraties. Encore faudrait-il renforcer la coordination des services français et déployer des moyens supplémentaires.

Votre texte est dangereux pour les libertés tant individuelles que collectives comme l’a d’ailleurs souligné la CNIL dans l’avis qu’elle a rendu, le 10 octobre dernier.
Afin de prévenir et de réprimer le terrorisme, votre projet de loi permet de développer la vidéosurveillance des personnes sur les lieux publics, de contrôler les déplacements -sur le territoire national et hors de l’Union européenne- de personnes susceptibles de participer à une action terroriste, de contrôler leurs échanges téléphoniques et électroniques, enfin, d’accéder à certains fichiers centraux du ministère de l’intérieur.

Tous ces outils seront mis à disposition des services de police et de gendarmerie qui bénéficieront alors, en dehors de toute procédure judiciaire, d’un accès permanent à des fichiers et à des enregistrements d’images susceptibles de concerner la population toute entière.

C’est dire la dimension considérable que prendraient ces nouveaux fichiers qui pourront concerner les actes de la vie quotidienne, des habitudes de vie et de comportements. On est bien loin ici de la lutte contre le terrorisme.
Il nous semble que le nécessaire équilibre entre les droits des citoyens et les prérogatives de l’Etat n’est pas assuré.
De même que l’exercice des libertés constitutionnellement protégées n’est pas préservé dans votre texte qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir et aux libertés individuelles dont le droit au respect de la vie privée est l’une des composantes.

Sans compter les moyens considérables que nécessitera le traitement des données ainsi collectées : les images, les échanges téléphoniques et électroniques, les fichiers ...
Combien de personnes faudra-t-il pour regarder les images, pour traiter les millions de mail échangés dans les cybercafés ou encore les dizaines de milliers de noms de voyageurs de tous les aéroports et les gares de France ?
Sans compter le coût que va entraîner par exemple la vidéosurveillance.
Comment allez-vous financer les milliers de caméras supplémentaires, leurs systèmes d’exploitation, leur entretien, la gestion des réseaux, le remplacement du matériel existant frappé de vétusté ?

Votre projet de loi paraît d’ores et déjà inapplicable.
Pour notre part, nous estimons que la lutte contre le terrorisme passe nécessairement par une lutte résolue contre le financement des activités terroristes.
Sans argent, le terrorisme -qui est une activité qui coûte cher et qui a, par conséquent, besoin de sources de financement diverses- n’aurait plus d’avenir.
L’économie illégale est estimée à environ à 1500 milliards de dollars, soit 5% de l’économie mondiale ou deux fois le produit national brut du Royaume-Uni.

Un tiers de cette somme provient de l’argent sale des activités criminelles : trafics de drogue, des armes, de l’or, des diamants ou des êtres humains. Un autre tiers correspond aux fuites illégales de capitaux provenant de l’évasion fiscale, de la corruption et des transactions frauduleuses. Le tiers restant représente l’économie liée au terrorisme financée pour partie par de l’argent propre.
Si le gel des avoirs figurant à l’article 12 est une mesure intéressante, nous estimons cependant qu’il faut aller plus loin en luttant par exemple plus efficacement contre le blanchiment de l’argent sale.

C’est ainsi qu’il aurait été souhaitable de renforcer l’obligation de déclaration d’opérations soupçonnées d’être d’origine illicite qui ne s’applique actuellement qu’aux opérations entre les organismes financiers et les personnes physiques ou morales domiciliées, enregistrées ou établies en Myanmar (ex Birmanie).

Nous estimons que cette obligation devrait s’étendre à tous les pays dont la législation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux.
Nous sommes par ailleurs également favorables à la mise en place d’un droit d’alerte des salariés des organismes financiers lorsqu’ils sont confrontés à une opération douteuse.

Enfin et toujours dans un souci de renforcer la législation française en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, pourquoi ne pas inscrire dans la loi une des recommandations adoptée par la Conférence des parlements de l’union européenne contre le blanchiment, qui s’est tenue à Paris les 7 et 8 octobre 2002 ?
Les parlementaires étaient en droit d’attendre de la part du gouvernement un projet de loi d’une toute autre envergure s’agissant de renforcer la lutte anti-terroriste.
En réalité, votre texte s’apparente davantage à une manipulation de l’opinion publique.

Comme pour toutes les réformes législatives que vous avez imposées depuis 2002, le présent texte se fonde sur des évènements particuliers qui secouent l’opinion publique.
Vous profitez en l’occurrence de l’émotion légitime suscitée par les attentats de Madrid et de Londres pour faire passer des mesures sécuritaires et liberticides.
Agiter ainsi l’épouvantail du terrorisme vous permet de mettre en place tout un dispositif sécuritaire visant à surveiller, ficher, contrôler, une certaine frange de la population, singulièrement celle des quartiers que vous appelez « sensibles » mais qui sont aussi populaires, mais également le corps social afin d’en surveiller toute révolte éventuelle.

De même que la modernisation du fichier national transfrontière (FNT) au nom de la lutte contre le terrorisme, va vous permettre de renforcer au passage la lutte contre l’immigration irrégulière ; faisant ainsi « d’une pierre deux coups » avec les amalgames que cela risque entraîner dans l’opinion publique.
Au-delà, vous jouez sur l’effet d’annonce.
Ce texte vous permet, en effet, d’apparaître « sévère » aux yeux de l’opinion publique dont vous voulez renforcer la confiance dans la perspective des prochaines élections.
Quand la loi d’exception devient le droit commun, la démocratie est en danger.

En proposant des mesures aussi attentatoires aux libertés fondamentales, vous faites le jeu des terroristes qui mettent à l’épreuve les démocraties et se réjouissent de voir celles-ci placer leurs populations sous contrôle permanent.
N’est-ce d’ailleurs pas cette stigmatisation, prélude au sentiment de persécution, qui fait finalement le terreau du terrorisme ?

La nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d’une société démocratique.
Or, votre texte ne préserve pas le nécessaire équilibre entre l’exigence de sécurité et le respect des libertés fondamentales.
A cet égard, les dispositions contenues dans votre projet de loi - contrôles des courriels, transferts des données, etc.- en façonnant durablement l’ordre public et le lien social dans une société, participent de la transformation de notre société.

Ces mesures aggravent le caractère dérogatoire de la législation sans nous donner pour autant la certitude que la réforme du code pénal permettra de gagner en efficacité.
Si le laxisme n’est bien évidemment pas de mise en matière de lutte antiterroriste, le déploiement de moyens disproportionnés ne saurait -vous en conviendrez- nous garantir l’absence totale d’attentat.
Le terrorisme met à l’épreuve l’équilibre liberté-sécurité.
Ne tombons pas, ne tombez pas, mes chers collègues, dans la facilité.

Pour notre part, tout en prenant nos responsabilités, nous ne voterons pas ce projet de loi car nous ne sommes pas prêts -au nom de l’impératif sécuritaire que commande la lutte contre le terrorisme- à légitimer les graves entorses faites par votre texte aux principes fondamentaux de la démocratie.

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