Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lutte contre le terrorisme

Par / 4 novembre 2008

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Chers Collègues,

Avec la présente proposition de loi déposée par notre collègue Hubert HAENEL, il nous est demandé de prolonger pour une durée de quatre années supplémentaires trois dispositions de la loi du 23 janvier 2006 adoptées en leur temps - sans les voix des sénateurs CRC - à titre temporaire.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais revenir un instant sur les conditions dans lesquelles ce texte a été inscrit à l’ordre du jour de nos travaux.
Il n’aura échappé à personne que ce texte a été présenté dans une certaine précipitation.
En effet, une convocation de la commission des lois avait ainsi pour ordre du jour la nomination d’un rapporteur sur une proposition de loi sans autre précision quant à l’intitulé de celle-ci.

Et pour cause, le texte n’avait pas encore été déposé. Qui plus est, nous avons été informés que très tardivement - le matin pour l’après-midi - des auditions organisées par le rapporteur BETEILLE. Auditions où je précise le ministère de l’intérieur a été surreprésenté.
Quant à la durée de la discussion générale - une heure - prévue sur un texte aux conséquences inversement proportionnelles à la longueur de son article unique, elle se passe de commentaire.

Je tiens à insister par ailleurs sur le fait que les articles 3,6 et 9 qu’il nous est proposé de proroger avaient été adoptés à l’époque pour une durée limitée - jusqu’au 31 décembre 2008 - pour permettre leur expérimentation et leur évaluation avant leur éventuelle prolongation ou pérennisation. Dans ce cadre, le gouvernement devait remettre chaque année au parlement un rapport sur leur application.
Alors que l’exposé des motifs évoque le rapport annuel 2008 d’application de la loi du 23 janvier 2006, je n’ai pas souvenir de l’existence d’un tel rapport. Pas plus d’ailleurs concernant le rapport annuel de 2007.

Quand nous avons demandé à la commission des lois de pouvoir disposer du rapport de 2008, il nous a été adressé un document d’à peine 5 pages qui se veut être une évaluation. Loin de porter sur l’ensemble de la loi, ce soi-disant rapport ne concerne que les articles 3, 6 et 9, précisément ceux qu’on nous demande de prolonger.
Le plus curieux c’est que ce document est daté du 16 octobre 2008, soit le même jour où la PPL a été annexée au procès-verbal de la séance. De là à penser qu’il s’agit d’un rapport de circonstance ... Comment parler de rapport annuel 2008 alors que l’année concernée n’est pas encore achevée ?

Certes, il existe un autre rapport, d’information cette fois, qui a été réalisé par la commission des lois de l’AN laquelle a pris cette initiative en raison de l’absence de rapport effectué en vertu de l’article 32 de la LAT.
En réalité, tout rapport d’évaluation de la LAT est difficile à réaliser puisque tous les décrets n’ont pas encore été pris et que la plupart de ceux qui ont été pris l’ont été dans une période récente : second semestre 2006 et courant année 2007. A croire qu’il n’y avait donc pas à l’époque urgence à légiférer -pour la 7ème fois en 20 ans- en matière de lutte contre le terrorisme et que vraisemblablement l’arsenal législatif existant, renforcé à plusieurs reprises, était suffisant et n’avait pas besoin de cette ultime radicalisation.

Mais pour s’en rendre compte, il aurait fallu disposer d’une évaluation précise des dispositifs existants. Or, depuis le 11 septembre 2001, nous ne disposons d’aucune évaluation. En effet, toutes les dispositions exceptionnelles adoptées temporairement pour soi-disant lutter contre le terrorisme ont été pérennisées sans avoir fait l’objet d’une quelconque évaluation quant à leur utilité et leur efficacité.
Le temporaire en la matière a une furieuse tendance à se transformer en durée.
Cela fait des années que notre législation est durcie sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Le tout sans aucun contrôle du parlement.
Alors que le rôle du parlement devait être renforcé à la suite de la réforme constitutionnelle, je n’en vois guère ici la traduction. Le parlement ne remplit même pas sa mission de contrôle vis-à-vis de l’exécutif. Il se contente de voter loi sur loi.
Pire, le gouvernement se sert de la journée d’initiative parlementaire pour passer commande à sa majorité et faire ainsi adopter un texte qu’il n’a pas pu faire passer faute de support législatif adéquat.

Pour en venir au contenu même de cette PPL, notre position n’a pas changé. En 2005, nous avions voté contre la LAT que nous jugions à l’époque inutile, inefficace, attentatoire aux libertés individuelles et à l’effet d’annonce incontestable.
Si nous condamnons avec la plus grande fermeté le terrorisme qui constitue une attaque contre les droits fondamentaux de l’être humain, nous ne sommes pas prêts en revanche -au nom de l’impératif sécuritaire que commande la lutte contre le terrorisme- à sacrifier nos libertés fondamentales.
Car ce serait alors faire le jeu des terroristes qui se délectent de voir les démocraties rogner un peu plus chaque jour les libertés des citoyens.
Les Françaises et les Français non plus ne sont pas prêts à voir leurs libertés restreintes. J’en veux pour preuve la forte mobilisation qui a eu lieu contre le fichier Edvige avec lequel vous voulez - sous couvert de lutter contre le terrorisme et la délinquance - instituer une surveillance et un contrôle généralisés de la population.

Si vous voulez combattre durablement le terrorisme et ces auteurs, vous devez vous attaquer aux causes, au terreau qui en fait le lit. Toutes les tensions : les interventions en Afghanistan et en Irak ; le creusement des inégalités entre pays riches et pauvres qui va s’accentuer encore avec la crise financière ; etc.- qui font le miel des extrémistes sont, depuis des années, exacerbées et risquent d’être aggravées tant qu’un nouvel ordre mondial ne sera pas décidé par les peuples eux-mêmes.
Vous pourrez toujours légiférer mes chers collègues, vous pourrez toujours rogner un peu plus les libertés fondamentales de nos concitoyens : de la vidéosurveillance aux fichiers, en passant par la biométrie et demain les scanners corporels dans les aéroports, à part mettre en place un contrôle généralisé de la population sur le sol français c’est tout ce que à quoi vous arriverez.

Mais n’est-ce pas là votre véritable souhait ? La lutte contre le terrorisme ne vous offre-t-elle pas l’opportunité de mettre en place tout un dispositif sécuritaire visant à surveiller, ficher, contrôler, une certaine frange de la population ainsi que le corps social afin d’en surveiller toute révolte éventuelle ?
Je tiens à rappeler que les articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 que nous refusons pour notre part de prolonger pour 4 années supplémentaires sont loin d’être anodins et que ce n’est pas un hasard si au départ ils avaient une durée limitée dans le temps. Il est quand même question ici de contrôle d’identité dans les trains internationaux, de communication de données de connexion ou d’identification électroniques, d’accès à des fichiers.

Avec l’article 3 tout d’abord, nous nous situons dans le cadre général des contrôles d’identité et non dans celui de la lutte contre le terrorisme. En effet, il s’agit ici tout simplement d’étendre le régime général des contrôles d’identité et donc de faire peser cette nouvelle contrainte sur tous les citoyens. Je rappelle qu’initialement les contrôles d’identité étaient strictement encadrés par la loi et ne pouvaient avoir lieu que dans des circonstances bien déterminées et limitées. Force est de constater aujourd’hui que les possibilités d’effectuer de tels contrôles ont été démultipliées au fil des réformes législatives successives.

En l’occurrence, cette disposition vous sert surtout à interpeller des étrangers en situation irrégulière et ce faisant, permet à votre collègue M. HORTEFEUX de s’approcher de ses objectifs en matière d’expulsion du territoire français.
En l’absence de rapport d’évaluation précis quant à l’efficacité d’une telle disposition en matière de lutte contre le terrorisme et, compte tenu de son caractère attentatoire aux libertés fondamentales et de l’amalgame qu’elle autorise entre sans papiers et terroristes, nous nous opposons à la reconduction de cette mesure.
En ce qui concerne l’article 6 qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire, nous y sommes opposés pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette mesure - ainsi que l’a dit la CNIL dans son avis du 10 octobre 2005 - déroge aux principes fondamentaux de protection des libertés individuelles en l’occurrence le respect de la vie privée. Ensuite, le décret relatif à la réquisition administrative des données conservées par les hébergeurs de site Internet n’a toujours pas été pris.

Comment dans ces conditions justifier la nécessité de reconduire une mesure qui n’est pas complètement applicable faute de décret ?
Un projet de décret qui fait l’objet de critiques de la part de la CNIL serait - apprend-on dans le rapport - à la signature du premier Ministre. Pouvons-nous en savoir plus ?
Enfin, le coût de cette mesure me paraît exorbitant. En effet, pour l’année 2007 le coût des demandes s’est élevé à 355 000 euros pour les 8 premiers mois de fonctionnement et le 1er semestre 2008 est évalué à 1 000 000 d’euros.

Quant à l’article 9, il accroît les possibilités de consultation -en dehors de tout cadre judiciaire- de certains fichiers, gérés par le ministère de l’intérieur et depuis mai 2007 par le ministère de l’immigration, par les services ce police et de gendarmerie.
Cette disposition -à propos de laquelle la CNIL avait en son temps émis des réserves- appelle de notre part plusieurs critiques. D’abord, l’utilisation de tous ces fichiers est excessive et porte atteinte aux droits des personnes concernées. Ensuite, son champ d’application est trop large et dépourvue de garantie procédurale. Enfin, cet article fait un amalgame entre immigration et terrorisme puisque les agents de la police et de la gendarmerie pourront consulter les fichiers relatifs aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Tout en prenant nos responsabilités, nous voterons contre la prolongation de 4 années d’un dispositif qui n’a pas fait la preuve de sa pertinence opérationnelle ni de son efficacité. Nous y reviendrons lors de la présentation de notre amendement de suppression.

Nous estimons que la nécessaire lutte contre le terrorisme ne doit pas nous dispenser de rester dans le cadre d’une société démocratique où le respect des libertés publiques comme le droit d’aller et venir et le respect de la vie privée ont encore du sens.

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Bio Express

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Membre de la commission des Lois
Elue le 26 septembre 2004
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