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Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les événements qui se sont succédé au sud de la Méditerranée ont mis en évidence l’échec de votre politique

Immigration : conclusions de la CMP -

Par / 11 mai 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d’un an après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité nous revient donc en séance publique dans sa version adoptée par la commission mixte paritaire.

Il va sans dire, monsieur le ministre, que nous restons fermement opposés à l’ensemble des mesures contenues dans ce texte, d’autant que nous pensons que ce qui pose problème, ce n’est pas l’immigration : ce sont vos choix politiques.

Certes, la mesure élargissant la déchéance de la nationalité aux auteurs de crime contre des personnes dépositaires de l’autorité publique – « commandée » par le Président de la République, à Grenoble – n’a finalement pas été retenue. Cela démontre, s’il en était encore besoin, les limites des annonces « coup de poing » et autres déclarations incantatoires.

Certes, la remise en cause de l’acquisition automatique de la nationalité française à dix-huit ans n’a pas non plus été retenue. Toutefois, toutes les autres dispositions qui restreignent les droits des étrangers, que ceux-ci soient déjà entrés sur le territoire français ou ne le soient pas encore, sont bel et bien là : allongement de la durée de rétention, neutralisation du juge des libertés et de la détention au profit du juge administratif, création de zones d’attente « sac à dos » et, donc, remise en cause des droits des réfugiés, bannissement du territoire européen, etc.

Et je n’oublie pas le fameux article 17 ter, qui contient une disposition gravissime que je vous demande, mes chers collègues, de rejeter aujourd’hui afin d’éviter le pire demain.

D’abord, c’est une disposition dangereuse d’un point de vue humain puisque vous allez renvoyer dans leur pays des malades qui ne pourront pas s’y faire soigner, les exposant ainsi à la mort.

Ensuite, c’est une disposition dangereuse du point de vue de la santé publique parce que certaines personnes malades préféreront rester clandestinement en France, mais sans pouvoir se faire soigner.

Enfin, c’est une disposition dangereuse d’un point de vue idéologique, car elle accrédite l’idée selon laquelle les étrangers viennent en France pour profiter et abuser de notre système de santé.

Avons-nous au moins une notion du nombre de personnes concernées par cette disposition et de la somme que cela représente ?

Au delà, monsieur le ministre, je voudrais souligner le fait que votre texte, avant même son adoption définitive par le Parlement, est déjà dépassé, voire obsolète.

À tout le moins, vous en conviendrez, il est inadapté à la situation actuelle et, assurément, à celle de demain, le monde étant en perpétuel mouvement.

Chaque jour nous en apporte d’ailleurs une nouvelle illustration. Ainsi, les événements qui se sont produits au sud de la Méditerranée, entraînant des mouvements de populations, ont mis en exergue les limites, sur le plan européen comme sur le plan national, de la politique d’immigration et son échec à contenir les flux migratoires.

Alors qu’hier le printemps arabe et, en particulier, la « révolution de jasmin » étaient salués de par le monde, aujourd’hui, la donne a considérablement changé. Vous vous servez ainsi de l’arrivée d’un peu plus de 20 000 Tunisiens sur les côtes italiennes, dont plusieurs centaines se sont dirigées vers la France, pour effrayer les Français sur les dangers d’une invasion imminente.

La campagne de dénigrement dont sont l’objet ces migrants illustre bien cette volonté.

Pour notre part, nous condamnons avec la plus grande fermeté l’instrumentalisation idéologique et politique que vous faites de cette situation à des fins électoralistes.

Les migrants sont en effet très stigmatisés : on les montre arrivant sur des bateaux surchargés, on les montre en train de se faire arrêter ou déloger d’un abri de fortune.

Même le terme « clandestins », employé pour désigner en réalité des migrants, des exilés, des réfugiés, n’est pas anodin et a pour seul et unique but de faire peur.

Ces « migrants », en l’occurrence des Tunisiens que d’aucuns aimeraient bien remettre dans des bateaux de fortune, dussent-ils y perdre la vie, ont quitté leur pays, qui se retrouve aujourd’hui dans une situation économique et sociale désastreuse, où le chômage augmente et le tourisme diminue.

Ces exilés, pour la plupart des hommes, jeunes, viennent en Europe, et notamment en France, avec laquelle ils ont des liens forts, chercher une certaine stabilité qui n’existe pas encore en Tunisie.

Et l’on nous dit que la France et, au delà, l’Europe ne pourraient pas accueillir ces migrants ?

Faut-il préciser que le sud de la Tunisie accueille pour sa part des centaines de milliers de réfugiés – on parle de 300 000 déplacés – de toutes nationalités en provenance de Libye ?

La solidarité qui existe dans les pays émergents du Sud serait donc impossible dans les pays riches du Nord ?

Qu’est-ce que 20 000 personnes au regard des 100 000 étrangers que la France accueille chaque année légalement ou encore par rapport au déficit démographique des pays vieillissants membres de l’Union européenne ?

Les révolutions arabes ont mis en lumière les limites de la politique européenne d’immigration. C’est à se demander où est la cohérence européenne en matière d’immigration ! C’est à se demander où est passé le pacte européen sur l’immigration et l’asile dont Nicolas Sarkozy était si fier en 2008 !

Quid, aussi, des accords de gestion concertée ?

À présent, il est même question de revoir les accords de Schengen, comme si l’on cherchait à mettre en place un espace européen à deux vitesses. Ce n’est pas sans nous rappeler, évidemment, la question de la circulation des Roms au sein de l’Union européenne.

Nous voyons dans tout cela un aveu de faiblesse de l’Union européenne, qui n’arrive pas à faire face à la situation, encore moins au manque de solidarité entre États membres. La France et l’Italie doivent, en l’occurrence, cesser de se renvoyer les Tunisiens comme s’il s’agissait d’une partie de ping-pong.

Vous voulez une Europe « ouverte », mais avec un filtre ! Nous appelons cela une « Europe forteresse à deux vitesses » !

Cette position vous permet, une fois n’est pas coutume, d’attirer vers vous les électeurs du Front national, lequel est très favorable à la sortie de Schengen. Vous jouez vraiment avec le feu, en cette période préélectorale ! Arrêtez d’aller piocher vos idées dans le programme du Front national ! En annonçant récemment l’arrêt de l’immigration légale de travail, vous êtes en état de récidive !

Après les expulsions des Roms au cours de l’été 2010, lesquelles ont défrayé la chronique, le gouvernement de la France, « terre des droits de l’homme », s’illustre à présent en déployant une panoplie de réponses inadaptées, discriminatoires et répressives à l’encontre des Tunisiens : interventions policières, placements en garde à vue et en centre de rétention, blocage des trains en provenance de l’Italie et réadmissions vers ce pays.

Cette réponse sécuritaire à une situation humaine est inacceptable.

Ce que vous ne dites pas trop fort, c’est qu’auparavant la Tunisie de M. Ben Ali comme la Libye de M. Kadhafi jouaient les gardes-frontières pour le compte de l’Europe et retenaient les candidats à l’émigration. Aujourd’hui, c’est fini ! La nouvelle démocratie tunisienne refuse de jouer les gendarmes aux portes de l’Europe, ce qui explique les récentes migrations. Quant à la Libye, point de passage où transitent près de deux millions de personnes chaque année en direction de l’Italie, si elle a longtemps sécurisé ses frontières en contrepartie d’aides financières, la rébellion soutenue par l’Europe a quelque peu modifié les modalités de cette coopération.

Cette situation montre une fois encore les limites des accords de gestion signés avec les pays d’émigration, accords qui traduisent en fait une sorte de chantage : aide au développement et possibilités de migration légale en échange de contrôles des flux migratoires depuis les pays de départ et de transit et de réadmissions facilitées pour les personnes expulsées.

Quel est le coût réel de tels accords ? Pour quelle efficacité ?

Plus globalement, c’est l’ensemble de la politique d’immigration menée en Europe et déclinée dans les États membres qui coûte très cher : en vies humaines, d’abord, avec les nombreuses personnes qui meurent durant les traversées en mer ; sur le plan financier, ensuite, compte tenu des coûts engendrés par les centres de rétention et les zones d’attente, les renvois à la frontière, les arrestations, les gardes à vue, alors qu’il n’y a pas de laissez-passer consulaires.... Cet argent pourrait être utilisé pour mettre en place une autre politique d’immigration, qui coûterait moins cher et aurait certainement plus de sens.

Il faut savoir que, loin des idées reçues, et largement relayées dans l’opinion publique, les immigrés rapportent beaucoup plus à l’économie qu’ils ne coûtent. Ils auraient même joué un rôle d’amortisseurs sociaux pendant la crise.

Comme je l’avais indiqué lors de notre dernier débat sur ce sujet, une étude de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, portant sur les coûts de l’immigration pour l’économie nationale, confirme par exemple que 12,4 milliards d’euros sont entrés en 2009 dans les caisses de l’État grâce à l’immigration. Cette étude confirme aussi que, loin de « voler les emplois des Français », les immigrés occupent pour une grande majorité des emplois dont les Français ne veulent pas.

Malgré cela, vous persistez à présenter l’immigration comme un problème, jamais comme une richesse, un apport, une chance.

Il est pourtant possible d’engager une autre politique de l’immigration, une autre politique d’aide au développement économique et social, une autre politique de solidarité et de protection des personnes. C’est possible, et ce serait sûrement moins coûteux que votre politique répressive en la matière qui, de surcroît, ne sert à rien !

Tant qu’il y aura des écarts considérables de richesse entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières restera un non-sens. Mais l’on sait aussi aujourd’hui que l’élévation du niveau de vie dans les pays du Sud, loin d’arrêter les migrations, a tendance à les favoriser.

Les migrations, on le voit, sont inéluctables. On ne peut pas – c’est un fait ! – empêcher les gens de se déplacer, qu’ils y soient contraints ou non.

À la lumière de ces observations, nous rejetons en bloc votre « politique d’expulsion et de rejet d’autrui », qui devrait d’ailleurs être le véritable intitulé de votre projet de loi, contre lequel nous voterons.

Nous demandons le retrait de ce texte ainsi que la remise à plat de la politique de l’immigration sur le plan national et à l’échelon européen.

Je ne peux conclure mon intervention sans évoquer la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril dernier qui, s’appuyant sur la directive Retour, dont nous examinons précisément la transposition, rend désormais illégale l’incarcération des sans-papiers au seul motif de leur séjour irrégulier.

À cet égard, il est utile de préciser que la cour d’appel de Nîmes vient, dans une récente décision, de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice en annulant la garde à vue d’un ressortissant tchétchène. Les cours d’appel de Rennes et de Toulouse ont également pris des décisions allant dans ce sens.

Ces décisions vont bien évidemment à l’encontre de votre politique d’immigration, qui se fonde essentiellement sur des objectifs chiffrés en matière d’expulsions du territoire et, donc, sur l’enfermement des étrangers. Elles sont, à nos yeux, un premier pas vers la dépénalisation du séjour irrégulier ainsi que de l’aide au séjour irrégulier, que nous demandons depuis longtemps.

Monsieur le ministre, envisagez-vous de tirer les conséquences sur le plan national de cette décision européenne, qui s’impose, me semble-t-il, à tous les États membres ?

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