Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La droite nous propose un texte qui nous semble aussi inutile que dangereux

Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu -

Par / 4 avril 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le législateur se contente de réagir aux faits divers, même les plus horribles, il ne faut guère s’étonner qu’il méconnaisse certains des principes qui fondent nos sociétés démocratiques et tendent à éviter que l’on ne puisse tuer arbitrairement.

Quand les politiques cèdent aux raccourcis faciles, il ne faut pas non plus s’émouvoir que, trop occupés à agiter le chiffon rouge de la délinquance, ils reprennent des thèmes d’extrême droite (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.), qui fragilisent le statut juridique de l’action de ceux-là mêmes qu’ils prétendent défendre.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que les auteurs de cette proposition de loi connaissent si mal la jurisprudence pénale. Ils fondent en effet leur texte sur une inexactitude, sinon un mensonge. Selon eux, « un policier doit avoir été blessé pour être juridiquement en mesure de riposter ». C’est faux. (M. François Trucy s’exclame.)

Mes chers collègues, vous comprenez, je puis d’ailleurs l’affirmer dès à présent, que les sénateurs du groupe CRC s’opposent sans aucune réserve à la proposition de loi qui nous est soumise, d’autant que les politiques menées par la droite au cours de ces dix dernières années, en accentuant les injustices, en renforçant la précarité et la misère sociale,…

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. … en prônant des politiques répressives et liberticides, ont largement contribué aux dérives de cette société violente que certains de nos collègues de l’UMP déplorent aujourd’hui.

Alors qu’il faudrait changer nos méthodes d’organisation sociale – guérir et non punir, éduquer et non combattre, accompagner et non isoler –, la droite nous propose un texte qui nous semble aussi inutile que dangereux.

Comme l’a très clairement démontré notre rapporteur, cette proposition de loi méconnaît tant les principes constitutionnels que les engagements internationaux de la France, notamment le droit à la vie. L’argumentaire juridique développé dans le rapport de la commission des lois est très complet, et je ne reviendrai donc que sur certains points.

Tout d’abord, en prétendant aligner l’usage de la force armée par la police sur la gendarmerie, les auteurs de la proposition de loi oublient qu’il ressort des jurisprudences tant européennes que nationales que l’article L. 2338–3 du code de la défense est limité à une « absolue nécessité », sans quoi, précise la jurisprudence, « un tel cadre juridique est fondamentalement insuffisant et se situe bien en deçà du niveau de protection “par la loi” du droit à la vie requis par la Convention [européenne des droits de l’homme] dans les sociétés démocratiques aujourd’hui en Europe ».

Il faut donc mettre fin au mythe selon lequel les gendarmes bénéficieraient d’un régime plus permissif que celui qui s’applique à la police nationale. En présentant cet alignement comme un renforcement sans condition de l’usage de la force armée, les auteurs de la proposition de loi exposent les fonctionnaires à une mauvaise interprétation du droit. Ils les induisent en erreur et, du coup, les fragilisent plus qu’ils ne les protègent.

Il est important de bien préciser que les gendarmes comme les policiers sont soumis au code pénal et bénéficient du monopole de la violence légitime sous certaines conditions, notamment sur ordre de la loi ou du règlement, en raison d’un état de nécessité ou de la légitime défense, ou pour « dissiper un attroupement ».

À ce sujet, parce que nous sommes persuadés que la violence engendre la violence et que nous sommes attachés aux libertés publiques, nous, les sénateurs du groupe CRC, avons été à l’initiative d’une proposition de loi s’opposant totalement à celle qui nous est présentée aujourd’hui par nos collègues de droite et visant à interdire l’utilisation d’armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations et leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers.

Ensuite, il est important de noter que, dans le cadre légal posé par le code pénal, applicable à tous, les forces de l’ordre bénéficient d’un traitement plus protecteur que n’importe quel citoyen. Ainsi, un policier ayant fait usage de son arme est réputé avoir agi légalement. En revanche, on ne tient pas compte de sa formation pour attendre de lui une meilleure appréciation que celle qu’aurait n’importe quel citoyen de la situation qui a donné lieu à tir.

Or, pour vérifier la réalité de la légitime défense, la gravité de l’agression s’apprécie subjectivement. On s’attache non pas aux résultats effectifs de l’attaque ni même au danger réel couru par la personne attaquée, mais bien au péril que cette personne a cru raisonnablement courir.

Il serait donc certainement plus utile, si l’on veut protéger les forces de l’ordre – je pense que nous le voulons tous ici – et respecter le droit à la vie, de renforcer la formation initiale et continue des forces de l’ordre, mais également d’être plus attentif à la gestion de leur stress.

On doit insister sur le fait que la prétendue présomption de légitime défense, comme un super bouclier, est un leurre qui expose les forces de l’ordre. En effet, il serait très dangereux de faire croire à une sorte d’impunité ou d’irresponsabilité pénale qui pourrait aggraver l’escalade de la violence.

Comme vous le savez, cette présomption n’est pas irréfragable ; autrement dit, elle peut être réfutée. Par conséquent, mes chers collègues de l’UMP, votre article 2 est donc, en droit, absolument inutile.

En raison de l’état de légitime défense, il appartient en effet au parquet de démontrer que celle-ci n’est pas caractérisée. Quid alors du risque de la preuve ? Que se passe-t-il en effet si un doute existe sur la caractérisation de ce fait justificatif ? Dans cette situation, le doute doit bien évidemment profiter au mis en examen puisqu’il existe une incertitude sur la commission de l’infraction. La présomption de légitime de défense ne changerait donc rien au droit positif.

Enfin, je voudrais insister, comme je l’ai fait dans le rapport pour avis sur la mission « Sécurité », sur la nécessité de rompre avec l’application de la RGPP, la révision générale des politiques publiques. Il y a là toute l’hypocrisie de nos collègues UMP, qui ont approuvé des politiques de réduction du nombre des fonctionnaires et qui, aujourd’hui, prétendent défendre ces derniers.

L’austérité budgétaire doit bien sûr être abandonnée s’agissant de la police et de la gendarmerie, mais également d’autres services publics telles l’éducation, la santé, la culture.

Par ailleurs, je me réjouis que le Gouvernement ait donné des directives claires pour, sinon abolir, du moins encadrer la politique du chiffre imposée par la droite. En effet, cette politique avait des effets néfastes pour les personnes et la protection de leurs droits, mais également pour les forces de l’ordre. Elle accentuait à la fois la perte de sens de l’exercice de leur métier et leur stress.

Mes chers collègues, on constate un réel malaise chez les forces de l’ordre et un nombre important de suicides, une cinquantaine chaque année, selon les estimations, dont trois au cours des trois derniers jours.

Les policiers et les gendarmes doivent faire respecter l’ordre public, mais, aujourd’hui, ils sont confrontés à la paupérisation de la société sans y avoir été préparés, ce qui peut les faire plonger eux aussi dans de grandes souffrances.

Dans une enquête réalisée en janvier 2012, Cadre de vie et sécurité, on apprend que plus des trois quarts des personnes interrogées sur les trois problèmes les plus préoccupants de la société française ont cité le chômage, la précarité et l’emploi. Si le sentiment d’insécurité semble augmenter, contrairement à la délinquance, cela montre que la violence que nous devons combattre est avant tout une violence économique et une violence sociale.

Renforcer l’usage des armes à feu, dans ce contexte, nous semble une proposition inadaptée et dangereuse. C’est pourquoi, je le dis encore une fois, les sénateurs du groupe CRC voteront contre cette proposition de loi.

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