Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Immigration et intégration

Par / 6 juin 2006

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Le projet de loi qui nous occupe réforme pour la 38ème fois depuis 1980 l’ordonnance de 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers.

Mais ce n’est pas simplement à mes yeux « une réforme de plus ». Il s’agit là d’un changement radical, profond, de l’approche de l’immigration de notre pays.
Ce texte, largement inspiré de la politique prônée par l’Union européenne en la matière tourne définitivement le dos à nos valeurs les plus sacrées, les plus ancrées dans notre République, et qui ont pour nom : solidarité, fraternité, coopération, respect du vivre ensemble...

On s’éloigne ici vraiment de la France terre d’asile, de la France patrie des droits de l’Homme.
Latente dans la loi du 26 novembre 2003, l’orientation du gouvernement est désormais clairement écrite.
C’est en effet la première fois qu’on désigne officiellement l’immigration légale, c’est-à-dire celle liée à la vie privée et familiale, comme étant une immigration « subie » à laquelle il faudrait substituer une immigration « choisie ».

Ce changement lexical est loin d’être anodin. Il a pour conséquence directe de s’attaquer aux droits fondamentaux d’un certain nombre de personnes. Je pense notamment au droit au séjour par le mariage ou encore au regroupement familial pourtant déjà réduit à plusieurs reprises, sans parler de la remise en cause du droit d’asile.
Nous sommes donc amenés à légiférer de nouveau alors que nous ne disposons d’aucun bilan, d’aucune évaluation quant à l’application des deux lois votées en 2003, celle relative à la maîtrise de l’immigration et celle relative au droit d’asile.

Mieux ! Nous légiférons alors même que les décrets relatifs aux lois précédentes n’ont pas tous été pris !
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de ne pas disposer non plus d’une étude d’impact concernant les nouvelles dispositions contenues dans votre texte.
C’est aussi la première fois qu’un gouvernement propose deux réformes sur le même sujet au cours d’une même législature alors qu’il n’y a pas eu d’alternance politique.

Oui, Monsieur le Ministre, l’immigration n’est pas un sujet tabou ! Mais quel est ce besoin qui vous anime pour en parler à deux reprises en à peine deux ans et demi ?
Pour ma part, je crois y déceler quelque chose qui ressemble à un certain calendrier et qu’en réalité, cette deuxième réforme de la législature concernant l’immigration est présentée par un « ministre candidat » à l’élection présidentielle de 2007 qui n’hésite pas à stigmatiser l’étranger, à en faire le bouc émissaire des maux de notre société.

Oui, une grande majorité de nos concitoyens a des craintes face au chômage, face à la montée de la délinquance et des dérives communautaristes. Mais plutôt que de surfer sur ces craintes comme vous le faites, il serait plus utile de montrer l’influence des idées et des mouvements xénophobes qui a conduit cette partie de la population de notre pays à faire porter à la seule immigration la responsabilité des souffrances qui sont les siennes.

Mais loin de vous engager dans cette voie, vous avez un discours qui flirte avec la haine. Ce discours vous permet tout à la fois d’occulter les véritables questions sociales de notre pays et faire passer la politique ultralibérale du gouvernement et toutes les régressions sociales et antidémocratiques qui vont avec, et de flatter un électorat sensible habituellement aux thèses défendues par l’extrême droite en vue de vous faire élire en 2007 à la tête du pays.

Monsieur le Ministre, comme le dit si bien Joseph Conrad, l’auteur du fameux roman « Au cœur des ténèbres », je cite « les ambitions sont légitimes exceptées celles qui s’élèvent sur les misères ou les crédulités de l’Humanité ».

Et vos ambitions sont illégitimes quand elles vous amènent à utiliser un drame comme celui qui a endeuillé des familles locataires de logements insalubres pour justifier votre loi. Remplacez les taudis et relogez les familles convenablement, ce serait plus simple, plus juste et plus légitime !

Avec votre loi, vous adoptez une attitude à la fois irresponsable et dangereuse car -et vous le savez- en général les électeurs préfèrent toujours l’original à la pâle copie !
Votre projet de loi est donc très dangereux, pour les étrangers d’abord, mais aussi et au-delà pour tous les salariés, pour tous les citoyens, pour l’ensemble de la société. Il constitue un tel recul historique en matière de droits des étrangers que plus de 600 organisations et associations se sont mobilisées pour le combattre et obtenir le retrait de ce texte.

Il faut dire la vérité aux Français : au nom de cette immigration « choisie », vous vous attaquez en réalité à des droits et à des libertés qui ont une valeur constitutionnelle qu’il est utile de rappeler : il s’agit du respect de la vie privée, du droit à mener une vie familiale, de la dignité, du droit d’asile, de l’intérêt supérieur de l’enfant...

Vous vous attaquez de la sorte à toute une série d’engagements pris par notre pays tant du point de vue interne qu’au plan international.
C’est peu de dire que votre projet de loi est entaché d’inconstitutionnalité ; ce que ne manquera pas de développer tout à l’heure ma collègue, Nicole Borvo, en présentant une motion d’irrecevabilité.

Votre projet de loi est aussi un non-sens : d’un côté vous allez empêcher des personnes ayant vocation à vivre en France de s’y installer durablement, vous allez refouler du territoire des personnes qui sont là depuis très longtemps et, de l’autre, vous allez « choisir » des catégories de personnes triées sur le volet.
Quant à l’efficacité du dispositif proposé, permettez-moi d’avoir de sérieux doutes.

Faire croire à l’ensemble de nos concitoyens que votre texte va permettre de stopper l’immigration n’est que pur mensonge et vous le savez pertinemment. Cela fait 25 ans que la France n’est plus un pays d’immigration massive. Mais, plutôt que de regarder loin devant, vous avez les yeux plantés dans le rétroviseur et vous déformez le réel en confondant volontairement la situation d’aujourd’hui et les conséquences du passé.

Ce faisant, vous occupez ainsi le terrain politique pour mieux faire oublier les échecs de ce gouvernement : qu’il s’agisse des revers électoraux depuis 2002, du rejet de la constitution européenne dont on vient de fêter le premier anniversaire, du retrait du CPE, sans oublier l’affaire Clearstream qui discrédite un peu plus l’action de votre gouvernement.
Loin d’être d’une quelconque efficacité, votre projet de loi va surtout créer de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables comme à l’époque des lois Pasqua où les situations de personnes « ni expulsables -ni régularisables » les fameux « ni-ni » se sont multipliées.

D’un point de vue économique, les mesures proposées vont surtout s’avérer très efficaces pour le patronat qui va pouvoir :
1° faire librement et unilatéralement -avec votre accord- son marché à l’étranger en fonction des besoins de l’économie libérale uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail ;
2° disposer ainsi d’un stock de main d’œuvre idéale : sans droits, à bas salaire, donc précarisée et corvéable à merci, facile à encadrer et à surveiller ; vous faites d’ailleurs déjà des émules à l’instar de ce patron de Bondy, en Seine Saint-Denis, qui dénonce ses propres salariés sans papiers au Préfet parce qu’ils ont osé de syndiquer ; ce même patron n’hésite pas -bien évidemment- à réembaucher de nouveaux sans papiers et cela en toute impunité !

3° niveler par le bas les conditions de travail de l’ensemble des salariés, étrangers comme nationaux.
Ce qu’on oublie souvent de dire c’est que, selon un rapport des Nations Unies qui date de 2002, stopper net l’immigration reviendrait pour un certain nombre de pays d’Europe à imposer aux salariés de travailler jusqu’à 77 ans ; de la même façon on oublie de rappeler la contribution des étrangers actifs -et déclarés- à notre système de retraite.

Le débat sur l’immigration n’est qu’un des aspects des effets du libéralisme dans la mesure où il fait le lien entre le démantèlement des droits économiques et sociaux dans notre pays et la situation des étrangers en France : chaque étape du processus de privatisation et de déréglementation de l’économie, chaque atteinte portée aux droits sociaux aura été accompagnée d’un renforcement de la défiance à l’égard des populations immigrées.
Cette approche économique, utilitariste et opportuniste de l’étranger ne peut que conduire à l’échec. De même qu’une lecture univoque de la libre circulation des personnes dans la logique de la mondialisation ne peut que conduire à des crises et des conflits.

Je ne peux que déplorer que notre pays - au lieu d’ouvrir de nouvelles perspectives de coopération internationale dans lesquelles le respect des droits et des libertés fondamentales serait le préalable à toute législation concernant les flux migratoires - continue comme dans les années 60 d’avoir une politique d’immigration reposant sur les besoins de son économie.
C’est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination de l’exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs -nationaux et immigrés- au profit exclusif du capitalisme.

Cette acceptation de la « libre circulation des travailleurs » loin de favoriser le développement des hommes, revient en réalité à piller les pays du sud de leurs matières premières et maintenant de leurs matières grises à savoir de la part de leur population la plus active, la plus dynamique ; réduisant quasiment à néant dès lors les possibilités de développement sur place de ces pays.
Après la précarité économique, votre texte organise la précarité généralisée du droit au séjour pour les migrants et leur famille :

En rendant optionnelle la délivrance de la carte de résident ;
En faisant disparaître la possibilité de régulariser des étrangers présents en France depuis plus de 10 ans ;
En allongeant systématiquement tous les délais requis pour obtenir un titre à raison du mariage, d’une naissance, du regroupement familial ;
En augmentant les possibilités de retrait de titre de séjour ;
En exigeant un visa long séjour pour les conjoints de Français ;
En durcissant les conditions de ressources et de logement en ce qui concerne le regroupement familial ;
Vous allez précariser un grand nombre de personnes mais aussi et surtout en plonger une bonne partie dans l’irrégularité et l’insécurité administrative, économique et sociale.

Avec de telles mesures, les marchands de sommeil, les réseaux mafieux, et autres employeurs de main-d’œuvre en situation irrégulière, ont de beaux jours devant eux !
Votre texte est un tissu d’idées reçues qui veut conforter la
figure de l’étranger indésirable, représentant une menace.

Cessons de laisser croire que la France est à l’aube d’une invasion et que l’Europe serait un continent agressé qui doit défendre ses frontières.
Pour vous et vos amis, l’étranger est toujours suspecté d’être un délinquant du droit du séjour ou du droit au travail, d’être fraudeur lorsqu’il se marie, lorsqu’il reconnaît un enfant, lorsqu’il se rend dans sa famille ou qu’il la fait venir en France.
Vous instituez ainsi la suspicion généralisée sur tous les mariages mixtes, les reconnaissances de paternité, le regroupement familial.
Il ne fera pas bon demain tomber amoureux d’un étranger, ni avoir des enfants avec lui. Heureusement, Monsieur le Ministre, que vous comme moi, sommes nés il y quelques décennies de cela ! Vous vous rendez compte..., nous aurions pu ne pas exister !

Avec votre loi, ceux qui obtiendront des papiers devront faire preuve d’une exemplarité à toute épreuve dans leur couple puisque le titre de séjour sera retiré si les époux se séparent pendant les 4 années qui suivent le mariage. Quand on sait qu’en moyenne dans notre pays deux tiers des couples se séparent au bout de 3 ans de vie commune, cela ferait sourire si le sujet n’était pas aussi grave.
Le regroupement familial tel que régi par votre texte va précariser surtout les femmes dans la mesure où environ 80 % des conjoints rejoignant sont les épouses.
Par ailleurs, il faut noter que le gouvernement se défausse complètement de la politique de l’immigration sur les maires qu’il s’agisse des attestations d’accueil, du contrôle de la validité des mariages et des reconnaissances de paternité, des conditions de logement et de ressources nécessaires pour bénéficier du regroupement familial, de vérifier la bonne intégration des personnes à la société française, d’organiser une cérémonie d’accueil en mairie etc.

Comment les élus trouveront-ils le temps d’assumer toutes ces nouvelles prérogatives ? Au détriment de quelles autres missions les assumeront-ils ? L’égalité de traitement des citoyens sera-t-elle assurée d’une commune à une autre ? A-t-on demandé tout simplement l’avis aux maires ?
Si l’on ajoute à cela les mesures contenues dans un autre projet de loi , celui sur la délinquance des mineurs qui fait du maire le « shérif local », il me semble que cela fait beaucoup de charges supplémentaires pour les collectivités locales sans aucune compensation.
Les enfants ne sont pas épargnés par votre politique d’immigration dévastatrice, ils en sont même les premières victimes. Comment peut-on étudier quand ses parents sont menacés d’expulsion du territoire et donc que l’on est soi-même menacé ?

Beaucoup sont celles et ceux qui s’élèvent contre vos choix politiques en la matière. C’est d’ailleurs grâce à l’énorme mobilisation initiée notamment par le « réseau Education sans frontière » (RESF) que vous faites aujourd’hui preuve de mansuétude à l’égard de 800 familles étrangères parents d’enfants nés en France. Nous prenons actes de vos déclarations. Cependant elles ne pourraient suffire quand on sait que plus de 10 000 enfants vivront toujours sous la menace d’une expulsion du territoire.
Je veux saluer ici l’action de ce réseau qui vous a fait prendre conscience de la dureté de votre texte. En proposant l’organisation de parrainages, RESF a décidé de placer tous ces enfants sous la protection d’élus et de citoyens. Ce faisant, cette association a fait le choix de l’accueil et de la solidarité, de la lutte commune pour une société plus juste, riche de ses diversités.

Depuis la semaine dernière, je suis la co-marraine d’une jeune étudiante sans-papiers menacée d’expulsion à la fin de son année scolaire. Je le dis avec force et même si c’est politiquement incorrect : je préfère avoir quelques problèmes avec la justice plutôt que d’en avoir avec ma conscience ! Je protégerai donc cette jeune fille comme toutes celles et ceux qui ont cette épée de Damoclès au dessus de leur tête.
Avec mon groupe nous avons déposé un amendement - qui vaut mieux qu’une simple circulaire- permettant de garantir le droit à l’éducation scolaire des enfants étrangers au-delà du 30 juin 2006.

Votre projet précarise également les garanties procédurales en matière de droit des étrangers avec la création d’une nouvelle mesure d’éloignement du territoire : l’obligation de quitter le territoire français.
Les décisions de refus de séjour et les décisions de l’éloignement se trouvent ici regroupées ; ce qui ne permettra plus de prendre en compte la situation des personnes quant à leur droit au séjour, à leur souhait de repartir volontairement et aux conséquences d’un retour forcé au regard de leurs droits fondamentaux.

Cette réforme de l’éloignement institue une procédure de recours contentieux spécifique dans le seul but de réduire le délai de recours.
Les possibilités de contester les décisions de l’administration devant les tribunaux vont se trouvent restreintes laissant aux préfectures toute latitude pour appliquer leur pouvoir discrétionnaire, source d’arbitraire.

Loin de désengorger les tribunaux administratifs, saisis de recours contentieux à la fois contre les décisions de refus de séjour et contre les mesures de reconduite, le système proposé se révèle être en réalité d’une grande complexité.
Il va de surcroît contribuer à généraliser le recours au juge unique en matière de droit des étrangers.
Déjà considérés comme des citoyens de seconde zone, vous faites à présent des étrangers des justiciables de seconde zone. C’est inadmissible !

Quant à l’outre-mer, on assiste à la mise en place d’un véritable régime dérogatoire au droit commun, comme s’il s’agissait d’une terre d’exception.
La situation si compliquée soit-elle outre-mer ne peut à mon sens justifier l’instauration d’un régime d’exception : recours non suspensif en matière de reconduite à la frontière étendu à l’ensemble de la Guadeloupe, visites sommaire des véhicules, élargissement des possibilités des contrôles d’identité...

Le droit d’asile n’est pas épargné par votre réforme. Déjà, malmené par la loi du 10 décembre 2003 de M. Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, le droit d’asile l’est encore un peu plus avec votre texte.
On voit bien là que - quelles que soient les querelles intestines, les batailles de pouvoir au sein de la majorité UMP à la veille de l’élection présidentielle - vous êtes tous unis quand il s’agit d’appliquer votre politique ultralibérale qui se fait contre les gens.

Votre texte opère ici sciemment une confusion entre l’exercice d’un droit inaliénable -celui du droit d’asile régi par la convention de Genève pour des personnes en danger fuyant leur pays - et la question de l’immigration.
La loi de 2003 a introduit la notion de « pays d’origine sûrs » à laquelle je rappelle que nous sommes opposés puisqu’elle constitue une restriction supplémentaire au droit d’asile. Une liste nationale des pays d’origine sûrs a donc été établie par l’OFPRA dans l’attente d’une liste européenne.

Mais comme vous vous êtes rendus compte que la liste européenne allait être moins étendue que la liste établie par l’OFPRA, vous vous êtes précipités pour modifier une fois de plus la législation afin de prévoir la possibilité d’une coexistence de ces deux listes !!
Quant à l’allocation temporaire d’attente créée par la loi de finances pour 2006 pour restreindre les droits des demandeurs d’asile - qui n’est pas encore appliquée faute de décrets d’application- vous proposez déjà d’augmenter les cas d’exclusion de son bénéfice.

La remise en cause du droit d’asile ne serait pas complète si on ne s’attaquait pas au statut des centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, qui ne devront accueillir dorénavant que les personnes admises au séjour au titre de l’asile ou ayant une demande d’asile en cours d’examen auprès de l’OFPRA ou de la CRR.
La mission d’insertion qui est la mission première des CHRS n’est pas évoquée dans le texte.
A cet égard, la circulaire du 21 février 2006 concoctée par le premier ministre et le ministre de l’intérieur pour faciliter notamment les conditions d’interpellation d’étrangers dans et à proximité d’un centre d’hébergement me fait craindre que la seule solution proposée aux déboutés du droit d’asile sera une reconduite à la frontière.

Votre projet impose aux associations et organismes qui assurent aujourd’hui l’hébergement des demandeurs d’asile un contrôle étroit du public accueilli (pas de réfugiés, pas de déboutés) ainsi que des sanctions lourdes contre les organismes gestionnaires récalcitrants.
J’en viens à présent à l’intégration -et oui car on l’aurait presque oublié !- le présent projet de loi concerne aussi l’intégration.

Ah parlons-en de l’intégration à la sauce UMP !
Notion floue par excellence -quelle différence doit-on faire entre insertion, intégration, respect des principes de la République ? Source d’arbitraire -les maires et les préfets n’auront-ils pas une grande liberté pour récompenser ceux qui méritent ou non des papiers ?- bref, cette indéfinissable condition d’intégration se trouve généralisée dans ce texte.
Le contrat d’accueil et d’intégration qui devient ici obligatoire n’est en réalité qu’un contrat de mise sous surveillance, un contrat de suspicion, de précarisation accrue.

En réalité, l’intégration ne vous sert qu’à constituer une condition supplémentaire, un obstacle donc, à la régularisation de nombre de situations administratives.
Alors que depuis 1984 -année de création de la carte de résident de 10 ans- l’accès à un titre de séjour longue durée était un instrument légal d’intégration de dizaines de milliers de migrants, on assiste depuis la loi du 26 novembre 2003 à un retournement majeur dans la conception de l’intégration, renforcé aujourd’hui par votre réforme.
Dorénavant, la délivrance d’un titre de séjour devient la « récompense » à l’intégration.

Or, l’intégration suppose un minimum de stabilité dans le droit au séjour permettant un véritable ancrage dans le pays d’accueil non soumis à l’aléa ou à la précarité.
L’intégration ne va-t-elle pas par ailleurs au-delà de l’apprentissage de la langue du pays d’accueil et du rappel des valeurs de la société française ? Ne résulte-t-elle pas d’une politique volontaire en matière économique, culturelle et sociale permettant à chacun de trouver sa place au sein de la communauté nationale ?

Ne suppose-t-elle pas enfin l’octroi du droit de vote que les élus communistes réclament en vain depuis des années ?
Ne suppose t-elle pas la régularisation de celles et ceux que l’on appelle « les sans-papiers » à l’instar de ce qui s’est passé en Espagne et plus récemment en Italie ?
Que vous le vouliez ou non, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d’articles de loi.
D’autres choix sont pourtant possibles et nécessaires. Il n’y a aucune fatalité en l’espèce.

Plutôt que de s’attacher à fermer les frontières aux peuples du sud, pourquoi ne pas s’atteler à la mise en place de vraies coopérations qui s’attaqueraient au nord comme au sud, à l’ouest comme à l’est, à la primauté des marchés financiers sur le développement et l’emploi et qui iraient à l’encontre de la guerre économique et de la mise en concurrence des hommes et des peuples qui en découlent ?
Il faut permettre aux pays d’émigration d’avoir les moyens de se développer pour conserver dans leur région d’origine les populations pour lesquelles émigrer est un choix par défaut, un choix forcé, un non choix. Oui, l’Homme a des milliers de raisons de ne pas migrer, de rester dans son pays !

Le plus souvent, il ne quitte pas les siens par plaisir ; le plus souvent il fuit la guerre, la dictature, la misère et la faim. Le plus souvent aussi, il choisit un pays où il a les meilleures chances de réussir, pas de devenir le meilleur délinquant ! Il va là où la société est la plus fluide, la plus attentive aux capacités de chacun. Si c’est la France, et bien, pour ma part, j’en suis fière !
Si nous avons vraiment la préoccupation de ces peuples, alors annulons la dette des pays en voie de développement ; développons les coopérations, échangeons plutôt de choisir unilatéralement, instaurons une taxe sur les transactions financières, consacrons 1% de notre PIB pour des actions de coopération...

Les immigrés venant de régions pauvres transfèrent souvent vers leurs familles restées au pays des sommes supérieures à l’aide au développement attribuée par les Etats comme la France. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OMI) évalue ainsi à plus de 200 milliards de dollars par an l’argent rapatrié par les immigrés dans leur pays natal.

En matière de co-développement, je m’interroge sur l’absence dans votre texte de toute référence aux recommandations de la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine. C’est d’autant plus étonnant que le rapporteur de cette commission est le même que celui qui rapporte sur votre projet de loi.
J’en arrive à la fin de mon propos.
Et bien évidemment, je vous annonce que les sénatrices et sénateurs du groupe Communistes, apparentés et citoyen voteront contre le présent projet de loi.
Ils le font, -n’en déplaise à certains- en faisant preuve d’une grande responsabilité. Il ne s’agit pas seulement ici de faire acte de résistance ; notre vote est un acte républicain car il réaffirme les valeurs de notre République : Liberté, Egalité, Fraternité auxquelles je rajoute Solidarité.

Et que nous soit épargné ici le coup du bon sens populaire qui dans la bouche de celles et ceux qui défendent ce texte a surtout le goût du populisme !
Ce texte est profondément inhumain, pervers et dangereux et il s’inscrit naturellement dans le projet de société ultralibéral de la droite et de son gouvernement.
Ce texte est une véritable entreprise de démolition du statut des étrangers doublé d’un renforcement du contrôle et de la surveillance des populations étrangères guidée par l’obsession sécuritaire.

Ce texte, est un laboratoire d’attaques qui vont toucher l’ensemble des nationaux puisque tous vivent sur le même sol, se côtoient, travaillent ensemble, vont à l’école ensemble...

Nous ne pouvons laisser faire. Tout au long du débat, nous démontrerons la nocivité de ce texte pour les étrangers mais au-delà pour l’ensemble du peuple de France.
Nous avons déposé des amendements de suppression évidemment mais nous ferons également quelques propositions pour essayer d’améliorer ce qui pourrait l’être. Mais je réaffirme avec force, notre condamnation de ce texte dont, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous êtes peut être l’auteur mais qui est la propriété de tout le Gouvernement de la droite parlementaire.

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