Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Il nous faut refuser cette nouvelle surenchère sécuritaire

Service citoyen pour les mineurs délinquants -

Par / 25 octobre 2011

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je partage, pour beaucoup, les propos exprimés par notre rapporteur, Virginie Klès, au nom de la commission des lois. Et je me réjouis que la proposition formulée par mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat d’opposer la question préalable au texte de M. Ciotti ait recueilli un soutien majoritaire au sein de cette commission.

La proposition de loi de M. Ciotti, adoptée par l’Assemblée nationale, est issue d’un rapport commandé par le Président de la République. Il s’agissait, selon la lettre de mission, de « renforcer notre capacité à exécuter efficacement les peines prononcées ».

Parmi les propositions de M. Ciotti – très largement puisées dans celles de M. Bénisti, auteur de l’idée fallacieuse et très controversée du dépistage dès la crèche des bébés agités pour, selon lui, prévenir la délinquance – parmi donc ces propositions, figurait « une peine de service civique pour les mineurs délinquants récidivistes ».

Dans son rapport devant la commission des lois à l’Assemblée nationale, Éric Ciotti indique qu’il s’agit de créer le « chaînon manquant dans la gradation de la réponse pénale » ! À l’évidence, la délinquance est, pour la droite, un puits sans fond où elle puise de quoi justifier l’injustifiable !

Mes chers collègues, il est temps de mettre fin à cette escalade inutile.

Le 13 septembre, le Président de la République s’est rendu au centre éducatif fermé de Combs-la- Ville, puis, au centre pénitentiaire de Réau. Dans son discours, il reprenait l’une de ses litanies préférées et dont il a le secret : « Le mineur délinquant de 2011 n’a rien à voir avec le mineur délinquant de 1945 ». Ou encore : « Le mineur de 2011 est plus violent que le mineur de 1945 ».

Fort de ses certitudes dont chacune et chacun ici relèvera la pertinence, il apportait donc un soutien très explicite à la proposition de loi d’Éric Ciotti, ajoutant que le Gouvernement allait la reprendre.

Effectivement, monsieur le ministre, vous avez fait vôtre cette proposition de loi, puisque, non content d’engager la procédure accélérée, vous en avez profité pour ajouter des dispositions qui n’ont rien à voir avec le service citoyen, autrement dit, des cavaliers législatifs.

M. Jean-Pierre Michel. Très bien !

Mme Éliane Assassi. De surcroît, dans cet article 6 que vous avez donc ajouté, vous avez fait fi des décisions du Conseil constitutionnel, auxquelles vous prétendez pourtant vous conformer !

En effet, l’une concerne l’organisation des tribunaux et le rôle du juge des enfants et exige de recueillir l’avis de ces magistrats et, donc, un temps de réflexion. Ce temps, le Conseil constitutionnel vous l’a précisément accordé. Pour ce qui est de l’autre cas, vous tentez de contourner, une nouvelle fois, les limites posées par le Conseil en matière de comparution immédiate des mineurs.

Utiliser une proposition de loi en lieu et place d’un projet de loi vous permet d’éviter les réponses contenues dans toute étude d’impact et un « retoquage » par le Conseil d’État ! Rien que cela suffirait à rendre ce texte irrecevable.

Les motifs exposés par M. Ciotti pour justifier sa proposition de loi reposent sur le postulat de l’augmentation incessante de la délinquance des mineurs. Pourquoi s’évertue-t-il à masquer la réalité, à savoir que la part des mineurs stagne à 18 % ou 19 % de l’ensemble de la délinquance et baisse même légèrement, si ce n’est pour nous proposer un texte d’affichage qui joue, une nouvelle fois, avec les peurs ?

Mais, imaginons - un très bref instant - que je sois d’accord avec M. Ciotti,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce serait un événement !

Mme Éliane Assassi. … et que j’estime, moi aussi, que la délinquance des mineurs est en augmentation, je me permettrais alors de lui demander à quoi servent les multiples lois sécuritaires que son gouvernement a fait adopter par sa majorité au Parlement depuis qu’il est au pouvoir.

M. Louis Nègre. À protéger les citoyens !

Mme Éliane Assassi. Entre nous, en effet, l’arsenal législatif que nous avons désormais à notre disposition devrait largement suffire pour éradiquer cette délinquance.

Alors, soyons francs et osons le dire : depuis qu’elle est au pouvoir, la droite a échoué lamentablement sur tout ce qui a trait à la justice, particulièrement à la justice des mineurs, et sur tout ce qui a trait à la sécurité des biens et des personnes !

Mais, comme chacune et chacun le sait, nous sommes à quelques mois d’une échéance électorale et la droite a besoin de nous ressortir le thème de la sécurité pour racler des fonds de tiroirs électoraux.

Mme Catherine Troendle. Pas du tout !

Mme Éliane Assassi. Mais revenons à cette proposition de loi et posons-nous la question de l’efficacité du dispositif proposé.

Beaucoup de questions se posent, c’est vrai. Et comme aucune concertation, aucune réflexion n’a présidé à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Parlement, ces questions demeurent sans réponse et ne peuvent que susciter inquiétudes et oppositions.

C’est le cas parmi de nombreux magistrats de la jeunesse, parmi les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui s’expriment dans leurs organisations syndicales. C’est le cas également d’organismes comme l’UNICEF ou la Convention nationale des associations de protection de l’enfant, qui nous demandent de rejeter cette proposition de loi.

Mais c’est aussi le cas au sein d’une large majorité des membres de la commission de la défense à l’Assemblée nationale. Il faut bien dire qu’une telle opposition est loin d’être anodine, d’autant plus qu’elle reflète manifestement les inquiétudes des militaires.

Ainsi, partant du postulat selon lequel les réponses à la délinquance des mineurs ne seraient pas assez diversifiées, ce texte instaure, à l’intention de mineurs délinquants de seize ans, un « contrat de service en établissement d’insertion », en l’occurrence, en centre EPIDE.

Ce contrat pourrait valoir après trois décisions : la composition pénale, l’ajournement de peine ou une peine de prison avec sursis assortie d’une mise à l’épreuve.

Seraient donc concernés des mineurs ayant commis des actes relativement peu graves. Or, dans son rapport, Éric Ciotti évoquait les mineurs les plus difficiles, récidivistes ou multiréitérants ! Et le descriptif très inquiétant de l’état de la délinquance des mineurs dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi le suggérait, et ce d’autant plus que M. Ciotti y faisait état d’un sondage-plébiscite en faveur de sa proposition. Or la question posée à cette occasion portait sur l’application de son texte à des mineurs récidivistes. Le procédé est donc pour le moins contestable.

Il est vrai qu’appliquer ce service citoyen à des mineurs récidivistes paraissait d’emblée tout bonnement infaisable au regard des missions, du fonctionnement et du public accueilli dans les centres EPIDE.

Aujourd’hui, ces centres reposent sur un volontariat réel de la part des jeunes accueillis, et c’est un critère essentiel si l’on veut des résultats positifs. Or peut-on parler de décision volontaire quand le mineur est placé devant un choix réduit, entre deux sanctions ? Certes non ! Comme il est indiqué dans le rapport, il s’agit alors d’un « consentement sous contrainte ».

Ce texte, manifestement, crée une confusion, faisant du centre EPIDE une alternative pénale, ce qui n’est pas du tout sa mission : c’est avant tout un lieu de réinsertion pour des jeunes rencontrant des difficultés scolaires, marginalisés ou en voie de marginalisation.

De surcroît, en plaçant ensemble, ces jeunes et de jeunes délinquants sous le coup d’une sanction pénale, on n’évitera pas que l’attention soit portée sur ces derniers. Il paraît en effet évident qu’ils seront stigmatisés, du fait de différences de traitement, comme en matière de pécule ou d’autorisations de sortie. Or stigmatisation et efficacité se contredisent.

En matière d’encadrement, le texte flatte l’opinion publique en mettant en avant les notions d’autorité et de discipline, bref, la « rigueur militaire ». Or l’activité des EPIDE n’est pas militaire ; elle est de type éducatif.

Les encadrants ne sont pas des militaires d’active : ce sont d’anciens militaires, des enseignants, des éducateurs. User d’une certaine image de l’armée est donc ici illégitime et procède d’une manipulation des symboles, source d’inquiétude parmi les militaires eux-mêmes.

Quid aussi du financement du dispositif ? Le budget pour 2012 ne nous renseigne pas sur ce sujet.

Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à financer ce dispositif à hauteur de 8 millions d’euros, 2 millions étant à la charge du budget de la justice. Il s’agit d’un financement « en interne », nous a-t-il été indiqué. Autrement dit, il se fera au détriment d’autres actions de suivi, indispensables au quotidien, ou au détriment d’autres structures. Or la Protection judiciaire de la jeunesse, après avoir perdu 117 postes l’an dernier, perdra encore au minimum 106 équivalents temps plein en 2012. Et l’ouverture programmée de nouveaux centres éducatifs fermés aura pour conséquence, paradoxale, la fermeture de 20 foyers éducatifs.

Quand on sait, par ailleurs, que le nombre de jeunes concernés par la proposition de loi – entre 200 et 500, peut-être, mais rien n’est sûr... – sera ridiculement faible, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de l’opération.

En tout état de cause, l’accueil des mineurs dans les centres EPIDE n’est aujourd’hui pas effectif, malgré une décision prise il y a deux ans. Les premiers mineurs sont attendus dans les tout prochains mois.

Ces établissements, créés par une ordonnance du 2 août 2005, ont une certaine utilité dans leur domaine. Procéder à un détournement de leurs missions et de leur fonctionnement en décidant qu’ils accueilleront un nouveau public, c’est prendre le risque d’un échec.

Je rappelle aussi que les objectifs assignés au dispositif « Défense deuxième chance » n’ont jamais été atteints. En effet, ni le gouvernement qui a créé ce dispositif en 2005 ni ceux qui lui ont succédé n’y ont consacré les moyens nécessaires. Avec la révision générale des politiques publiques et l’abandon par l’État de nombre de ses missions, permettez-moi de douter que cela change.

Si ce texte devait être adopté, ce serait la sixième réforme de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante depuis 2007, et la dixième en dix ans.

La précédente réforme, relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, n’était pas encore entrée en vigueur que la proposition de loi de M. Ciotti était déjà sur le bureau de l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement. Encore une fois, cherchez l’erreur !

Cette réforme, très controversée, du 10 août dernier a pourtant procédé à un renversement des valeurs qui prédominaient lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945 : elle a instauré des sanctions plus sévères et plus rapides, un enfermement accru, la mise à l’écart du juge des enfants, du fait, notamment, de la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, l’extension des pouvoirs du Parquet, un nouveau rapprochement avec la justice des majeurs...

Mais, pour vous, ce n’est jamais suffisant. Il vous faut, encore et encore, modifier cette ordonnance.

C’est toute la conception défendue par le Gouvernement et M. Ciotti qui pose problème. Elle est bien connue, et l’auteur de la proposition de loi la rappelle dans l’exposé des motifs : les responsables, ce sont les parents. Entendons, par là, les parents appartenant aux classes populaires, qui seraient défaillants, démissionnaires.

Hélas, les gouvernements successifs se sont engouffrés dans cette impasse, choisissant de culpabiliser les parents plutôt que de les aider à surmonter leurs difficultés, notamment économiques et sociales. On les infantilise, on les culpabilise, on leur fait peur...

Rappelez-vous, mes chers collègues, la mise en scène imaginée par M. Ciotti, l’hiver dernier, pour vanter les avantages supposés de son contrat de responsabilité parentale. Il avait fait jouer à son attachée de presse, devant les caméras de télévision, le rôle d’une mère de famille éplorée !

M. Jean-Pierre Michel. C’était scandaleux !

Mme Éliane Assassi. Vous préférez, en présentant des textes comme celui-ci, entretenir l’amalgame entre enfance en difficulté scolaire et enfance délinquante.

Cette conception n’est d’ailleurs pas étrangère au projet du ministre de l’éducation. Se targuant d’être objectif, il promet d’évaluer les enfants de maternelle, les enfants de cinq ans, pour les classer en trois catégories : « rien à signaler », « à risque » ou à « haut risque ». Le démenti de M. Luc Chatel sur ce point, obtenu à la suite d’une légitime levée de boucliers, ne convainc pourtant pas.

Vous refusez de considérer, comme l’ont fait les auteurs de l’ordonnance de 1945, que les enfants sont des mineurs et que les mineurs délinquants sont des enfants en danger.

Ce qui ressort des principes de cette ordonnance, à partir de la distinction établie entre mineur et majeur, c’est la prévalence de l’aspect éducatif, la spécificité des procédures, mais aussi celle des juridictions.

En sept ans, sept rapports ont été commandés par le pouvoir sur la délinquance des mineurs, sans jamais de véritable concertation avec les magistrats en charge de l’enfance et de la jeunesse, avec les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, les éducateurs sociaux, les associations de terrain.

Sept rapports, et presque autant de réformes pour détricoter l’ordonnance de 1945, plutôt que de consacrer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre...

Monsieur le ministre, si le gouvernement auquel vous appartenez veut faire croire qu’il agit, c’est précisément parce qu’il échoue. Il cherche ainsi à détourner l’attention loin de sa politique économique et sociale désastreuse, et qui place nombre de familles dans des difficultés insurmontables. Il refuse de s’attaquer aux causes réelles du malaise de la jeunesse.

Favoriser des structures d’insertion professionnelle pour les jeunes délinquants est important, dites-vous. Qu’à cela ne tienne ! Décidons, mes chers collègues, de donner les moyens de concrétiser cet objectif, en concertation avec tous ceux qui sont susceptibles d’y contribuer.

La mobilisation des professionnels de la justice, après l’affaire de Pornic, était à la hauteur de ce que nous devons exiger pour la justice en général et, en ce qui nous concerne ici, pour la justice des mineurs. Mais vous demeurez sourd. Vous annoncez un budget de la justice en hausse ; la réalité est tout autre. L’exemple de la Protection judiciaire de la jeunesse est patent !

Dans le discours qu’il a prononcé à Réau, le Président de la République a vanté la perspective d’un projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines. Il s’inspirera, sans aucun doute, du rapport de M. Ciotti. (M. le garde de sceaux opine.)

Ce projet comprendra, a-t-il dit, un volet consacré au traitement de la délinquance des mineurs. Un de plus ! Pourquoi, dans ces conditions, vous précipiter pour soumettre la présente proposition de loi à l’examen du Parlement ?

Tout concourt donc à ce que nous refusions quelque nouvelle modification que ce soit de l’ordonnance du 2 février 1945, et tout particulièrement ce texte.

Permettez-moi de dire, une nouvelle fois, qu’il est dangereux de faire de la surenchère sécuritaire, au moment où d’importantes échéances électorales se profilent.

Mes chers collègues, il nous faut refuser ce nouvel affichage pénal. Pour sa part, notre groupe s’oppose à cette nouvelle loi de circonstance, irrecevable sur la forme comme sur le fond.

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