Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (réforme de la procédure législative) : question préalable

Par / 10 février 2009

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle adoptée d’une très courte tête ...

M. Jean-Pierre Bel. Laquelle ?

Mme Éliane Assassi. ... par le Congrès du Parlement au mois de juillet 2008 ...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À la majorité des trois cinquièmes, tout de même !

Mme Éliane Assassi. ... exige pour son application l’adoption de nombreuses lois organiques.

L’ordre dans lequel sont présentés au Parlement les projets de loi organique en question est loin d’être anodin.

Ainsi, ce n’est pas un hasard si le premier d’entre eux a été celui portant application de l’article 25 de la Constitution, car il concernait le retour des ministres au Parlement en cas de remaniement ministériel...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est important !

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas non plus un hasard si le deuxième texte qui nous est présenté est celui qui met en cause, et de manière radicale, le droit d’expression des parlementaires, en particulier le droit d’amendement, par le biais de l’article 13.

Enfin, ce n’est toujours pas un hasard si, sur les trois dispositions qui nous sont présentées aujourd’hui, la première à entrer en vigueur est celle qui concerne la réduction du droit d’amendement en séance publique.

Vous l’aurez noté, mes chers collègues, les quelques modifications qui auraient été susceptibles de revaloriser un tant soit peu le rôle du Parlement - je pense, par exemple, au référendum d’initiative partagée - devront attendre encore un peu...

Il est également singulier que le Gouvernement ait déposé le présent texte, qui concerne l’organisation des travaux du Parlement, sans attendre les conclusions des groupes de travail mis en place à l’Assemblée nationale et au Sénat pour réfléchir précisément à la réécriture du règlement de chacune des deux assemblées.

Dans ces conditions, il est difficile de croire que vous voulez vraiment renforcer le rôle du Parlement. Quel manque de respect et de considération de la part de l’exécutif pour les parlementaires que nous sommes !

Les trois dispositions concernées par le présent texte sont censées restaurer les droits du Parlement et brider l’exécutif. Or c’est précisément l’inverse qui va se produire. Car, sous couvert de deux innovations, à savoir la nouvelle procédure des résolutions parlementaires et des études d’impact - elles restent toutefois de portée très mineure et ressemblent plus à des alibis pour mieux faire passer la troisième mesure -, vous vous attaquez frontalement au droit d’amendement des parlementaires pourtant « imprescriptible », selon l’expression du président du Sénat.

Je m’explique.

En premier lieu, concernant l’article 34-1 de la Constitution, si la possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution peut apparaître de prime abord comme une avancée, à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite qu’il s’agit d’un droit formel, singulièrement pour l’opposition. En effet, les conditions de mise en œuvre de cette nouveauté sont telles que l’on peut s’interroger sur la portée qu’auront réellement les résolutions adoptées.

Le Gouvernement ne sera entendu qu’à sa propre demande et, s’il estime que ladite résolution met en cause sa responsabilité ou contient une injonction à son égard, il pourra s’y opposer. Le poids du pouvoir exécutif est, convenez-en, quelque peu excessif.

En pratique donc, le Parlement ne débattra que des propositions de résolution acceptées par le Gouvernement, c’est-à-dire les plus inoffensives, celles qui ne contrarieront pas les projets gouvernementaux. Ces résolutions ne seront alors que de simples vœux.

On le voit, avec cette disposition, il n’y a aucune revalorisation du rôle du Parlement.

Quant à l’opposition, elle est a priori complètement écartée de ce dispositif. En l’occurrence, la démocratie n’a rien à gagner.

En second lieu, s’agissant de l’article 39 de la Constitution, là aussi, nous avons quelques craintes, et c’est peu dire.

Nous ne sommes pas opposés à ce que les projets de loi soient précédés d’un exposé des motifs, voire accompagnés d’une étude impact, mais nous avons des doutes sur les intentions réelles du Gouvernement en la matière.

Comment parler de valorisation du travail parlementaire alors que les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les révisions constitutionnelles, les lois de programmation, ne sont pas soumis à cette obligation d’étude d’impact ? Nous estimons en outre que le contenu de ces études doit être précisé et élargi. En tout état de cause, il s’agit là d’une avancée très marginale.

J’en viens à présent à l’élément majeur de ce projet de loi organique - ce pour quoi tout a été fait -, à savoir la possibilité d’instaurer un temps global de discussion des textes, qui met automatiquement en cause le droit d’amendement.

Le prétexte avancé à l’envi par la droite pour justifier une telle disposition est l’obstruction parlementaire.

Pour commencer, je dirai qu’élaborer une loi est un processus long. J’ai la faiblesse de penser que le temps du débat en séance publique est important ; c’est même, me semble-t-il, un gage de qualité pour le travail législatif.

Bien sûr, ce temps du débat parlementaire n’est pas celui du Président de la République, qui confond action et agitation. Il veut aller vite, très vite. Chaque jour est l’occasion d’une annonce, d’une conférence de presse. Il passe d’un sujet à l’autre, si bien que l’opinion publique ne peut même pas se rendre compte si ces annonces sont suivies d’effet, si elles sont efficaces et pertinentes.

À chaque fait divers sa loi : rappelez-vous les animaux dangereux, les mini-motos, les récidivistes, les maladies psychiatriques, et j’en passe.

En réalité, le Parlement croule sous les projets de loi, en session ordinaire comme en session extraordinaire. Nous sommes en pleine inflation législative et vous venez nous parler d’obstruction !

Savez-vous, par exemple, que, en matière de sécurité, nous avons adopté seize lois entre 2002 et 2008 et que pas moins de cinq nouveaux projets de loi sont annoncés ? Savez-vous qu’au cours de l’année parlementaire 2007-2008 cinquante-cinq textes de loi ont été adoptés définitivement, contre quarante-six en 2006-2007 ?

Force est de constater que, compte tenu du rythme auquel nous légiférons, la plupart du temps en procédure d’urgence, nous sommes loin, très loin de l’obstruction.

Citez-moi ne serait-ce qu’un seul texte qui n’aurait pas été définitivement adopté par le Parlement en raison de l’obstruction ? Vous ne le pouvez pas !

M. Jean-Pierre Bel. Bonne question !

Mme Éliane Assassi. Les seuls textes qui n’aboutissent pas sont les textes d’origine parlementaire dont le Gouvernement et sa majorité ne veulent pas.

Le véritable problème auquel nous sommes confrontés en tant que législateurs est le suivant : nous légiférons trop, toujours dans la précipitation, sans aucune étude d’impact, souvent à la suite de faits divers, sous le coup de l’émotion et dans l’urgence.

Il en résulte un empilement de textes souvent bâclés, inapplicables, voire inappliqués faute de décrets d’application. En 2007-2008, un quart seulement des dispositions réglementaires d’application des lois a été pris. Le taux d’application des lois adoptées selon la procédure d’urgence n’est que de 10 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Gouvernement ne publie pas les décrets.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. C’est faux !

Mme Éliane Assassi. Prouvez-le, monsieur Karoutchi !

Quelle peut être, dans ces conditions, la sécurité juridique ? Quelle lisibilité de la loi peut-on avoir ? Comment le citoyen lambda, qui est censé ne pas ignorer la loi, peut-il s’y retrouver ?

La dégradation du travail législatif va s’accentuer, demain, avec ce texte qui réduit le temps du débat, le temps d’examen des textes et le droit de les amender pour les améliorer.

La lutte contre l’obstruction n’est donc pas le vrai motif de cette réforme. Ce que vous voulez, c’est museler l’opposition parlementaire.

Ce qui vous gêne, lorsque l’opposition dépose beaucoup d’amendements sur un texte, c’est que les débats en séance publique se prolongent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Ce qui vous gêne, c’est que ce temps soit mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les aspects pernicieux de tel ou tel projet de loi et que celle-ci puisse alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfastes.

C’est ce qui s’est passé avec le CPE, le contrat première embauche. L’obstruction parlementaire n’a pas empêché la mise en place du CPE, puisque le texte a finalement été adopté. C’est bien l’opinion publique qui, alertée par les débats parlementaires, s’est saisie de la question et a fait reculer le Gouvernement.

Lorsqu’ils agissent ainsi, les parlementaires de l’opposition jouent pleinement leur rôle. Reconnaissez, chers collègues, que la mobilisation de l’opposition contre un texte peut parfois vous rendre service. C’est le cas, par exemple, lorsqu’au sein même de l’UMP se manifestent des divergences sur un texte gouvernemental. Je pense ici au projet de loi sur le travail le dimanche, qui a été reporté à l’Assemblée nationale grâce à la contestation de la minorité parlementaire.

De plus, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous avez, vous aussi, usé du droit d’amendement, et c’est bien légitime : je pense notamment aux nationalisations, à l’école laïque, au PACS.

Pourquoi voulez-vous imposer un temps global, alors que la Constitution prévoit déjà des dispositions pour abréger nos débats : le recours aux ordonnances, les irrecevabilités des articles 40 et 41, le vote bloqué, la clôture de la discussion générale, l’article 49-3, sans oublier la spécificité du Sénat, mes chers collègues, à savoir la question préalable positive !

L’usage abusif de la procédure d’urgence - elle a concerné en 2007-2008 près de la moitié des projets de loi discutés par le Sénat - permet en outre à l’exécutif de gagner du temps en privant les assemblées d’une deuxième lecture.

Et, quand l’exécutif veut accélérer le processus législatif d’un texte qui n’est pas déclaré d’urgence, il demande au président de la commission saisie, lequel, en général, s’y plie, un vote conforme. N’est-ce pas précisément ce qui s’est passé l’an dernier pour la réforme constitutionnelle ?

J’ajoute que la discussion de la loi de finances pour 2008 a été la plus brève depuis plus de trente ans, sans doute à cause de la mise en place de la LOLF - la loi organique relative aux lois de finances -, dont les règles ont restreint les possibilités de déposer des amendements ; leur nombre a chuté de 25 % par rapport au précédent exercice.

On le voit, le vrai but de votre texte est non pas de lutter contre l’obstruction, mais de continuer à abréger davantage encore les débats publics, en bafouant le rôle des parlementaires, en réduisant leur droit d’amendement, en privilégiant le travail « discret » en commission au détriment de la séance publique, c’est-à-dire loin des citoyens et des journalistes, en dehors de toute transparence et de publicité des débats, bref en s’asseyant sur la démocratie...

Or la séance publique doit rester le lieu naturel du débat politique, de la confrontation des idées, de l’expression démocratique, et ce dans la plus grande transparence. C’est ce qu’attendent les citoyens de leurs parlementaires.

En réalité, cette réforme institutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy a été faite avant tout pour permettre au Président de la République de s’exprimer devant les deux assemblées réunies en Congrès et pour museler les parlementaires.

Car M. Sarkozy veut décider de tout, et tout contrôler. Ne se prend-il pas régulièrement pour le Premier ministre ? Ne fait-il pas les annonces importantes à la place des ministres ou des secrétaires d’État ? Surtout, il ne supporte pas les contre-pouvoirs.

D’où la réforme de l’audiovisuel public, qui marque le renforcement de l’emprise du Président de la République sur la télévision publique, menaçant ainsi l’autonomie de cette dernière, sans oublier les menaces sur la liberté de la presse.

D’où l’annonce de la suppression du juge d’instruction, faite par Nicolas Sarkozy en personne, pour éviter des enquêtes gênantes, ainsi que les atteintes récurrentes à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

D’où la réforme du travail législatif, qui va accentuer le poids déjà excessif de l’exécutif par rapport au législatif et porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Deux exemples sont à cet égard très évocateurs : la présence du Gouvernement en commission et la possibilité accordée au Président de la République de s’exprimer devant les parlementaires réunis en Congrès.

Depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, nous assistons à une évolution de nos institutions vers une hyper-présidentialisation de notre régime, déjà renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

Pour compléter le tableau du projet de société que veut Nicolas Sarkozy, il convient d’ajouter la réforme des territoires, dont le but est de supprimer certains échelons démocratiques gênants pour le pouvoir en place. Les communes, les départements, les régions sont des lieux de contre-pouvoir qu’il faut contrôler, d’autant plus qu’ils se situent majoritairement à gauche.

En résumé, le projet de loi organique tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire dévouée, dans un pays où il n’y aurait plus de contre-pouvoirs ni de contestation sociale - atteinte au droit de grève, criminalisation de l’action syndicale et militante, etc.

Pour conclure, tout ce que nous craignions à l’époque de la révision constitutionnelle est en train de se produire, toutes les critiques que nous avions formulées se vérifient aujourd’hui : bref, le scénario catastrophe est en marche !

Avec cette motion tendant à opposer la question préalable qu’au nom de mon groupe je vous demande d’adopter, mes chers collègues, vous pouvez mettre un coup d’arrêt à cette évolution dangereuse de nos institutions et à ses conséquences : un bipartisme renforcé, une hyper-présidentialisation du régime, une démocratie bafouée.

Comment espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? Qu’en sera-t-il demain de notre pacte républicain ? Une démocratie où la parole des parlementaires est contrainte, voire interdite, mérite-t-elle encore son nom ?

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