Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires avec le Bénin, le Congo, la Tunisie et le Sénégal

Par / 16 décembre 2008

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,

Nous sommes appelés aujourd’hui à examiner 4 accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement signés entre la France et les pays africains d’émigration suivants : le Bénin, la Tunisie, le Sénégal et le Congo.

Le gouvernement veut nous faire croire que ces accords auraient été signés dans l’intérêt de chacune des parties contractantes. Chacun sait pourtant ici que ces accords s’inscrivent dans la politique d’ « immigration choisie » prônée par la France et l’Europe.

Ces accords correspondent aux priorités définies par le Pacte européen sur l’immigration et l’asile adopté, le 16 octobre dernier, par le Conseil européen, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne.
On peut affirmer que la politique française et européenne de l’immigration consiste à instrumentaliser l’aide au développement et la migration légale dans le but de renforcer sa lutte contre l’immigration illégale.
Cette vision des migrations a encore été confirmée lors de la conférence interministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui s’est tenue le 25 novembre dernier et pendant laquelle a été adopté un programme de coopération triennal visant à encadrer la migration légale, contrecarrer l’immigration illégale et organiser le développement solidaire.

Les accords que vous faites signer aux pays africains de départ vous permettent de faire pression sur eux, d’exercer une sorte de chantage : vous leur promettez des possibilités de migrations légales - qui restent toutefois très limitées - et une aide au développement.
En contrepartie, vous leur demandez d’être les « gendarmes » de l’Europe c’est-à-dire de contrôler les flux migratoires depuis les pays de départ mais aussi de transit et de faciliter les réadmissions des personnes expulsées par la France.

A l’évidence, ces accords sont loin d’être équitables. La France a tout à y gagner tandis que les pays d’émigration sont pieds et poings liés et se voient dans l’obligation de faire la police chez eux en devenant les sous-traitants de la gestion des flux migratoires pour obtenir d’hypothétiques possibilités de migrations et autres aides au développement.

Cette situation résulte du déséquilibre entre les parties signataires : d’un côté nous avons des pays au contexte économique et politique encore fragile et de l’autre la France qui fait partie d’un ensemble de pays économiquement forts et dotés d’institutions communes telle que l’UE.
J’en viens aux principales critiques que je forme à l’égard de ces accords :

Tout d’abord, on nous dit que les pays signataires bénéficieront de possibilités de migrations légales pour leurs ressortissants. Mais celles-ci seront toutefois limitées en nombre et dans le temps. Il s’agit avant tout de migrations temporaires fondées sur la mobilité et l’incitation au retour des compétences dans le pays d’origine.

Ces possibilités de migrations légales concernent essentiellement des personnes hautement qualifiées et qui intéressent la France : hommes d’affaires, sportifs de haut niveau, artistes. Il s’agit également des cartes « talents et compétences » qui existent déjà dans le CESEDA.
Cet intérêt pour les métiers hautement qualifiés qui contribue à la « fuite des cerveaux » est contraire aux intérêts des pays de départ. En effet, ces fuites de « matières grises » qui caractérisent l’émigration du Sud vers le Nord entraînent pour les pays d’origine un manque de personnel (santé et techniciens notamment) ainsi que la perte de revenu national par le biais de l’impôt. A l’inverse, la main d’œuvre peu qualifiée dont ces pays disposent en grand nombre n’est que peu concernée par la migration de travail alors même que les besoins existent en France. Ce qui risque de renforcer les déséquilibres dans les pays d’origine.
On voit bien là le « tri » que veut faire le gouvernement français en application de sa politique d’immigration choisie. C’est cette même logique qui prévaut avec le projet de « carte bleue » européenne.
S’agissant ensuite, de l’aide au développement, je considère qu’elle ne doit pas être un moyen de faire pression sur les migrants établis en France encore moins une monnaie d’échange dans le cadre de négociation d’accords de gestion concertée des flux migratoires.
Ainsi que le souligne la déclaration des Nations unies sur le droit au développement : le développement est un droit et, en tant que tel, ne peut être soumis à conditions.
En ce qui concerne à présent la lutte contre l’immigration illégale, les accords prévoient des clauses relatives à la réadmission des personnes en situation irrégulière et une coopération policière visant à renforcer la surveillance des frontières, au démantèlement des réseaux criminels de passeurs et à la lutte contre la fraude documentaire. Je tiens à préciser que je ne suis pas favorable à ce que ce genre de coopération soit comptabilisé au titre de l’aide au développement.

La France et l’Europe veulent désormais non plus empêcher les migrants de pénétrer en Europe mais les empêcher de quitter leurs pays d’origine. Ce contrôle des flux migratoires en amont est moins cher et moins aléatoire qu’une expulsion du territoire français qui n’est pas toujours effective. Cela fait autant de sans papiers potentiels en moins qui pourraient - une fois entrés sur le sol français - s’y maintenir en situation irrégulière.
Les clauses de réadmission contenues dans ces accords sont très importantes pour la France. Car pour pouvoir renvoyer de façon effective les personnes en situation irrégulière arrêtées et placées en centre de rétention, il est indispensable de s’assurer de la coopération des autorités des pays concernés singulièrement en ce qui concerne la délivrance des laissez-passer qui permettent d’organiser le renvoi des personnes qu’on souhaite expulser. Ce qui n’est pas toujours le cas. Certains pays sont en effet peu coopératifs en matière de laissez-passer. Et pour cause, il faut savoir que les migrants envoient dans leurs pays d’origine des sommes bien supérieures à celles prévues par le budget de l’aide publique au développement. Ils participent ainsi au développement sur place des villages et de projets locaux et font vivre les membres de leurs familles restés au pays.
Ces accords vont donc permettre de formaliser une obligation de réadmission et d’obtenir plus facilement les laissez-passer permettant d’assurer le renvoi effectif des étrangers. A l’exception des accords avec le Sénégal et la Tunisie, davantage concernés par la migration de transit, les accords prévoient un engagement à réadmettre également les migrants des pays tiers en situation irrégulière qui, pour venir en France, seraient passés par leur territoire.
Ces dispositions sont particulièrement intéressantes pour le ministère de l’immigration qui se fixe chaque année des objectifs chiffrés en matière d’expulsion effective du territoire. Pour 2009, ces objectifs sont fixés à 30 000. Pour parvenir à ces objectifs, la France souhaite également favoriser les retours volontaires en proposant son dispositif d’aide au retour volontaire aux personnes qui font l’objet d’une OQTF.

Le renforcement du volet sécuritaire a des conséquences sur les droits et les parcours des migrants qui sont contraints alors d’emprunter des itinéraires de plus en plus longs, de plus en plus coûteux et de plus en plus dangereux.
On retrouve cette logique répressive avec la directive européenne sur le retour qui généralise l’enfermement des étrangers jusqu’à 18 mois ainsi que leur éloignement, ou encore avec les renvois groupés par avion...
Pourtant ceux qui migrent ne le font pas par goût des voyages mais par obligation pour tenter une vie meilleure ailleurs, y compris au péril de leur vie. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder ces femmes, ces enfants, ces hommes qui embarquent sur des radeaux de fortune et dérivent ensuite des jours et des nuits en mer, il n’y a qu’à faire le décompte annuel des morts en Méditerranée. Ils savent que c’est dangereux, pour autant ils sont toujours aussi nombreux à tenter leur chance vers l’Eldorado européen.

Vouloir que les flux migratoires s’adaptent aux capacités d’accueil d’un pays : marché du travail, situation du logement, existence de services sanitaires, sociaux, scolaires, etc. c’est méconnaître ou ignorer la réalité des migrations dans le monde singulièrement s’agissant de leurs causes multiples : famines, guerres, maladies, catastrophes climatiques, misère, etc. C’est nier le droit à la liberté de circulation des hommes et des femmes dans le monde.
En tout état de cause, dans le contexte actuel de crise économique et de récession, la France et l’Europe ne pourront pas accueillir les migrants issus d’une migration de travail. L’immigration illégale, dans ces conditions, ne pourra que perdurer.

L’aide au développement évoquée dans ces accords aura bien du mal à se concrétiser compte tenu de la baisse continuelle des autorisations d’engagement pour les actions bilatérales de développement solidaire.
Ce qui au-delà pose la question du sort des migrants de retour chez eux avec l’aide à la réinstallation qui risquent rapidement de se retrouver confrontés à des difficultés financières.

Si les possibilités de circulation ne sont pas au rendez-vous, si l’aide au développement est absente, alors il faut se poser la question suivante : que restera-t-il de ces accords ? Uniquement le volet "lutte contre l’immigration illégale" avec le renforcement de la coopération policière qui profitera à la France et à l’Europe qui veulent être à n’importe quel prix des « forteresses imprenables ».

A la lumière de ces observations, vous comprendrez que nous ne puissions voter en faveur de tels accords.

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